La cathédrale de Nantes vient d'être victime des flammes. La réduction en cendres de notre patrimoine religieux est en train de devenir en France une très mauvaise habitude… mais nos élites sont comme mithridatisées.
Un suspect a été trouvé, puis relâché. Il semble que le bénévole, un ressortissant rwandais travaillant pour le diocèse, n’ait rien à se reprocher : tant mieux pour lui, tant pis pour l’enquête. On peut quand même s’interroger, au passage, sur la pertinence de confier la fermeture de la cathédrale à un réfugié au statut incertain. Faisons-nous si peu de cas du trésor de nos cathédrales que nous en laissions si facilement les clefs à une personne qui n’a manifestement pas le profil adéquat en termes de responsabilité ?
A la colère sourde de tant de citoyens qui ne peuvent que serrer les poings de rage et de douleur, mais se sentent terriblement impuissants, viennent répondre quelques protestations politiques de tous bords, venues inévitablement commenter le drame, la perte patrimoniale irréparable – notamment un magnifique orgue remontant pour ses parties les plus anciennes au XVIIème siècle. Mais globalement, du côté des dirigeants, il semblerait qu’il n’y ait pas de quoi fouetter un chat : les pompiers ont bien travaillé, que demande le peuple ? Emmanuel Macron comme Jean Castex n’ont pas cru utile, dans leurs déclarations officielles, de témoigner leur empathie aux croyants touchés au cœur, une fois de plus.
Passée la gestion de l’urgence, des esprits fertiles en solutions d’avenir commentent à qui mieux mieux la tragédie nantaise. Dans les colonnes du Figaro, ou de Libération, on peut lire ce constat terrible : nos églises sont de véritables musées, elles renferment des trésors inestimables, dignes parfois de figurer au Musée du Louvre ou au Musée de Cluny, mais elles sont loin de bénéficier des attentions et des égards dont profitent les pièces superbes qui sont exposées dans ces hauts-lieux culturels. Les cathédrales comme les églises sont les grandes oubliées du patrimoine, et le simple visiteur ne réalise pas toujours, en remontant une nef noircie par les siècles, que se cachent, dans une chapelle de bas-côté ou au-dessus d’un autel secondaire, une toile d’un très grand maître, ou une statue inestimable. Et ces pièces sont à la merci du vol, de la dégradation, de la destruction. Bien. Nous les remercions du constat lucide : nos églises sont de véritables musées, cela est certain, mais nos apprentis défenseurs du patrimoine religieux n’entendent certes pas en rester là. L’étape d’après du raisonnement n’est-elle pas : qu’attend-on pour les transformer définitivement en musée ? Autre avantage à la muséification des édifices religieux : quand une église brûle, quand un tabernacle est profané, quand une statue de la Vierge est réduite en morceaux, exit la christianophobie, il ne s’agit plus « que » de dégradation patrimoniale. C’est moins dangereux politiquement à commenter, les conclusions à en tirer ne sont pas morales, spirituelles et identitaires, mais simplement administratives et budgétaires.
Nous perdons aujourd’hui le joyau de nos cathédrales, car nous ne voulons plus voir en elles que des artefacts culturels. Les réactions officielles sont en cohérence avec cette idée. Ministres et personnalités semblent oublier, comme d’autres à l’époque de la tragédie de Notre-Dame, qu’une église est un lieu de foi qui ne vit fondamentalement que par la présence du culte en ses murs. La déchristianisation se porte bien, et s’assume à tous les niveaux, y compris au sein du clergé, où certains préfèrent parler d’accidents, écartent avec promptitude les options criminelles, et sanctifient les brigadiers du feu, au lieu de mettre en première place l’atteinte qui est faite avec une récurrence dramatique aux lieux où devraient s’incarner la foi catholique en France aujourd’hui. Le diocèse de Nantes écrit à la suite du drame : « nous n’oublions pas que l’Eglise, ce sont d’abord les chrétiens rassemblés. » Certes, mais si les « lieux de rassemblement » transmis par nos pères ne sont plus là pour nous insuffler leur beauté et leur force, incarner et transmettre la foi n’a plus tout à fait le même sens. Remettre l’église au centre du village n’a jamais été aussi indispensable.
Constance Prazel