Mgr Tony Anatrella, prêtre, psychanalyste et consulteur au Conseil pontifical pour la famille, est cette semaine l'un des orateurs d'un colloque qui se tient au Vatican sur Les aspects pastoraux du traitement des maladies infectieuses .
Or il vient de faire l'objet de dénonciations pour abus sexuels, de la part de deux anciens patients. Pour le cardinal Javier Lozano Barragan, président du Conseil pontifical pour la santé, organisateur du colloque, ce genre d'accusation relève d'une campagne contre l'Église . La révélation concomitante des deux accusations suscite en effet le trouble, et plaide pour une machination , ce qu'affirme l'avocat de Mgr Anatrella qui a déposé une plainte en dénonciation calomnieuse.
À titre préliminaire, une observation de principe s'impose, qui ne préjuge pas du fond de la présente affaire. S'agissant des faits allégués eux-mêmes, nous ne disposons d'aucune autre information que celles qui ont été, assez complaisamment, diffusées par la presse. Nous ne pouvons donc prendre parti. Mais l'expérience doit nous rendre extrêmement prudents : en l'espèce, la plus grande réserve est recommandée, a fortiori de la part de ceux qui entendent protéger les personnes en cause [1]. On peut donc s'étonner de la publicité qui entoure l'évènement, et de l'intention de ceux qui l'instrumentalisent. Car s'il y une certitude, c'est que les idées défendues par Mgr Anatrella sont de plus en plus combattues, et notamment au sein même d'une partie de l'Église de France. Voici un éclairage sur les termes de la controverse.
Dans la ligne de mire : la position du Magistère sur la question homosexuelle et plus précisément l'instruction de la Congrégation pour l'éducation catholique Sur les critères de discernement vocationnel au sujet des personnes présentant des tendances homosexuelles en vue de l'admission au séminaire et aux ordres sacrés [2], que Tony Anatrella a publiquement soutenue. Rappelons que le cœur du texte affirme que l'Église, tout en respectant profondément les personnes concernées, ne peut pas admettre au séminaire et aux ordres sacrés ceux qui pratiquent l'homosexualité, présentent des tendances homosexuelles profondément enracinées ou soutiennent ce qu'on appelle la culture "gay" .
Ce qui semble avoir mis le feu aux poudres, c'est le commentaire et la présentation de cette Instruction par Mgr Anatrella dans l'Osservatore Romano du 30 novembre 2005. Pour faire bref, on retiendra deux articles critiques du père Philippe Lefebvre, dominicain, professeur d'Écriture sainte à l'université de Fribourg, et dont le Nouvel Obs nous apprend qu'il a reçu les confidences d'un des accusateurs de Mgr Anatrella.
Ces deux articles qui ont paru à quelques mois de distance, encadrent en quelque sorte les accusations contre T. Anatrella, depuis son soutien à l'instruction du Vatican, à sa plainte contre X pour dénonciation calomnieuse et diffamation. Le premier article a pour titre Le sexe du prêtre : affaire de divan ou de divin ? Questions à l'auteur du Règne de Narcisse (lamaisondieu.com, janvier 2006 et Lumière et Vie, mars 2006) ; le second Les dérapages de Mgr Anatrella (lamaisondieu.com, novembre 2006).
La critique du père Lefebvre
La critique de fond que le père Lefebvre adresse à Mgr Anatrella tient en quelques mots : le psychanalyste s'appuie sur une conception freudienne de la sexualité et il l'applique sans aucune médiation au champ théologique et ecclésial. Une déduction scientifique, qu'il serait d'ailleurs utile de discuter, est l'unique base d'une pratique humaine et sociale. Le scientifique éclaire la décision, c'est lui qui a le dernier mot. L'admission aux ordres sacrés dont parle l'auteur se fait donc sans recours au sacré.
Le père Lefevbre oppose à cette approche qu'il estime scientiste , une lecture attentive de ce que la Bible révèle de l'action de Dieu dans le concret de la chair humaine blessée et sauvée. Il précise : J'ai bien compris que l'Instruction était un bref rappel disciplinaire sur un point précis et n'a pas à entrer dans toute une théologie biblique pour étayer son propos : il n'est partant pas requis non plus qu'un commentaire déploie des références scripturaires nombreuses. Il serait néanmoins important, pour un commentateur qui aborde l'intimité des êtres, de faire sentir que le premier spécialiste de l'humain et de ses structurations est Dieu, le Créateur.
Quelques paragraphes plus bas, le professeur d'Ancien Testament réagit à la caractérisation de l'homosexualité comme inachèvement et immaturité foncière de la sexualité humaine . Voici ce qu'il écrit : Il faut voir, dans chaque cas particulier, ce que les personnes dans l'homosexualité vivent vraiment. Et pour certaines d'entre elles, cet inachèvement est une occasion où Dieu se manifeste, cette immaturité un lieu où Dieu déploie sa force. Bibliquement parlant, on appelle cela la logique des Béatitudes : le manque irrémédiable comme occasion de Dieu.
Jusque-là, difficile de penser autre chose ! Mais poursuivons la lecture : Dire que cela ne peut pas s'appliquer dans le domaine sexuel, c'est à nouveau limiter l'action divine et donner une version expurgée du salut : Jésus nous sauve, mais il y aurait quand même des domaines sans avenir avec lui. Remarquons que Mgr Anatrella n'a jamais dit que Dieu ne pouvait intervenir dans le domaine sexuel. Il cherche à manifester les raisons anthropologiques sous-jacentes à l'Instruction qu'il commente. Celle-ci s'appuie sur le Catéchisme de l'Église catholique qui rappelle la doctrine sur le caractère objectivement désordonné de la tendance homosexuelle.
Quelle est la cible ?
Le père Lefebvre met-il alors son savoir biblique au service de l'Instruction afin de compléter le commentaire de Mgr Anatrella, commentaire qu'il peut trouver, probablement pour de bonnes raisons, trop unilatéral ? Lisons la fin du paragraphe : Un prêtre marqué par les tendances homosexuelles peut présenter des risques à terme ; il peut aussi être expérimenté pour parler de la vie reçue de Dieu là où elle fait le plus défaut. Faut-il au nom du risque encouru interdire l'accès des ordres sacrés à tout homme homosexuel sans distinction ? Cela serait une attitude bien peu virile, la preuve d'une immaturité qui refuse d ‘assumer des risques. Qui est critiqué dans cette phrase ? Anatrella, certes, mais Anatrella commentant une Instruction voulue par le Saint-Père et Anatrella ne faisant que reprendre la thèse essentielle du même document. Dès lors l'attitude bien peu virile et l'immaturité ne qualifient pas simplement le commentateur mais bien aussi la Congrégation qui a publié ce texte en union avec le Pape.
On aurait pu attendre une autre contribution plus constructive pour aider à recevoir ce texte et justement que le père Lefebvre mette au service des critères de discernement vocationnel une anthropologie biblique sur le corps sexué. Celle-ci existe, c'est l'admirable lecture biblique effectuée par Jean Paul II ; on peut certes regretter que Mgr Anatrella ne s'y réfère pas dans son commentaire, regretter également que Mgr Anatrella s'appuie sur une anthropologie d'inspiration freudienne et non pas biblique ; mais on peut surtout regretter qu'un professeur d'Écriture sainte mette son énergie et son anthropologie biblique au service de la disqualification d'une Instruction romaine.
Ce qui était en germe se déploie pleinement dans le second article, au ton fortement polémique.
Alors même que les accusations contre Anatrella étaient connues, le père Lefebvre ne prend aucune précaution d'usage (présomption d'innocence, danger d'une campagne calomnieuse) et enfonce le clou : Face à cette aventure que Dieu propose ["la réflexion sur ce qu'est un homme, une femme", ndlr], certains préfèrent en rester à des modèles préfabriqués, à des théories sur ce qu'est l'humain ; ils révèlent ce faisant qui ils sont. Et, théorisant et invectivant, ils dévoilent qu'ils ont probablement quelque chose à cacher. Dans la Bible, c'est très net : invoquer la loi à tout bout de champ, développer des tas de théories et de normes, c'est souvent manifester qu'on n'est pas tout à fait en phase avec ce que l'on préconise à grands cris.
Et quelques lignes plus bas, le père Lefebvre avance que les thèses d'Anatrella procède[nt] davantage d'une peur du monde, d'une peur de soi-même peut-être .
*Thibaud Collin est philosophe. Il a publié le Mariage gay, les enjeux d'une revendication (Eyrolles, 2005).
Notes
[1] Les abus sexuels ne laissent généralement aucune preuve derrière eux et les accusations reposent presque exclusivement sur des témoignages qui sont d'autant plus fragiles et sujets à caution qu'ils se réfèrent à des faits plus anciens. De plus, leur appréciation est toujours très délicate : tous les éducateurs, médecins, prêtres et autres acteurs sociaux qui sont en contact avec des personnes fragiles sur ce plan, surtout quand elles sont jeunes, savent qu'ils peuvent se trouver, parfois malgré eux, dans des situations délicates ou ambigües qu'un adversaire malveillant peut exploiter à leur détriment.
Or le délit pour abus sexuel est devenu un délit absolu , auquel il faut absolument un coupable, de préférence en vue, et dont on ne peut pas se défendre pour les raisons précitées : la charge de la preuve est systématiquement inversée pour peser sur l'accusé qui, en pratique, n'a rien à opposer que sa propre parole. D'où le grand nombre d'erreurs en la matière, des accusés à tort qui mettent parfois des années à s'extraire non sans de graves dommages (cf. les affaires Outreau et Baudis par exemple), et parfois même le suicide de qui s'est avéré ensuite innocent.
[2] Documentation catholique, n° 2349, 1er janvier 2006
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