Un soi-disant plan du gouvernement pour apurer la dette de la Sécurité sociale (Les Echos du 9 juin) vient d'être esquissé. Comme on va le voir, ce plan est inquiétant : il témoigne d'une volonté délibérée d'utiliser des faux-semblants pour déguiser la réalité et contourner la loi.
À moins qu'il s'agisse de confusion intellectuelle, d'absence complète du sens des réalités économiques et comptables, ce qui ne serait guère plus rassurant.
Comment les déficits de la Sécurité sociale se manifestent-ils ? Ils commencent par gonfler la dette de l'ACOSS (l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale) envers son banquier, la Caisse des dépôts et consignations (CDC). À plusieurs reprises, quand cette dette est devenue trop énorme, elle fut transférée à la CADES, Caisse d'amortissement de la dette publique, qui en paye les intérêts et en rembourse progressivement le principal à l'aide de la CRDS (Contribution pour le remboursement de la dette sociale), impôt de même nature que la CSG.
Après qu'il eût été décidé de transférer 50 Md€ de dettes de l'ACOSS à la CADES, une loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale disposa en son article 20 qu'à l'avenir, tout nouveau transfert devrait être accompagné d'un accroissement de ressources de la CADES suffisant pour que la date d'extinction de sa dette ne soit pas reculée. Obligé d'opérer un nouveau transfert de dette (au minimum 20 Md€, et de préférence 25 ou 30), le gouvernement Sarkozy-Fillon [1] est donc à la recherche d'une nouvelle ressource pour la CADES. Comment faire, puisque ce gouvernement ne veut pas augmenter les prélèvements obligatoires ?
La solution actuellement envisagée est la suivante : faire verser des sommes à la CADES par un ou des organismes qui, en l'absence de nouvelle recette, deviendront de ce fait déficitaires ou encore plus déficitaires. Au regard de la loi, ce versement programmé pour une période suffisante sera considéré comme une ressource, alors même qu'il aboutira simplement à créer et développer une nouvelle dette au fur et à mesure que sera remboursée, avec les intérêts requis, la dette de la CADES. Il s'agit tout bonnement de faire emprunter par un ou plusieurs organismes de quoi payer les intérêts et rembourser le principal de la dette dont la loi exige l'extinction.
Comment le gouvernement envisage-t-il concrètement de procéder ? Selon Les Echos (9 juin), pour ne pas accroître les prélèvements, le projet qui tient la corde consiste à flécher vers la CADES des recettes alimentant le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Une autre solution (qui, en pratique, reviendrait au même) serait de relever le taux de la CRDS en diminuant d'autant la part de CSG qui va au FSV .
Cagnotte et déficit
Le FSV constituerait-il une tirelire dans laquelle il serait possible de venir piocher ? Que nenni ! Les comptes de cette institution [2]
affichent un solde déficitaire cumulé de 5 Md€ au 31 décembre 2007. Mais en France, quand on n'a pas de tirelire, on peut néanmoins s'imaginer disposer d'une cagnotte : souvenons-nous que la moindre amélioration des recettes de l'État, susceptible de réduire un peu le déficit voté en loi de finances, a été considérée comme une cagnotte permettant des dépenses supplémentaires.
Or donc le FSV prévoit pour cette année une amélioration de ses résultats, qui passeraient d'un déficit de 89 millions en 2007 à un excédent de 636 millions en 2008, grâce à une rentrée croissante de recettes (CSG principalement) et à une légère diminution des dépenses (en particulier les transferts à la branche vieillesse en contrepartie de la validation de droits à pension pour les chômeurs). Le bon sens voudrait que l'on laisse le FSV utiliser cet excédent pour rembourser ses dettes. Mais le Gouvernement lui a trouvé un tout autre usage, dans le genre cagnotte : quitte à remettre le FSV dans le rouge, il envisagerait (toujours selon Les Échos) de lui ponctionner 1,5 Md€ par an au profit de la CADES.
Les dettes du FSV prennent pour leur immense majorité la forme d'un simple retard de paiement des sommes dues à la branche vieillesse au titre du chômage. Dans le rapport FSV sur l'année 2006 [3] on prend connaissance de ceci : Au 31 décembre 2006, la dette du FSV vis-à-vis des régimes en matière de chômage est évaluée à 5 625,5 M€ , dont 5 505,4 M€ dus à la CNAV et 120,1 à la MSA. Autrement dit, la Sécurité sociale est créancière du FSV et débitrice de la CDC.
Pomper le FSV au profit de la CADES aura pour effet d'accroître sa dette vis-à-vis de la sécurité sociale, ou du moins d'en empêcher le remboursement. La dette de la Sécurité sociale vis-à-vis de la CDC croîtra plus rapidement, et le recours à un nouveau transfert de dette à la CADES devra s'effectuer à plus brève échéance. Mais dans l'immédiat une astuce aura été trouvée pour contourner la lettre de la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale pour 2004. L'esprit de cette loi – trouver de nouvelles ressources si on n'est pas capable de résorber les déficits – aura, quant à lui, été violé par des manœuvres que, dans le privé, on appellerait de la cavalerie. Quant à l'avenir, aucune solution n'aura été mise en œuvre pour le rendre différent du passé.
On connaissait la méthode consistant à creuser un trou pour en boucher un autre. Elle va ici bénéficier d'un nouveau perfectionnement : après avoir creusé le trou de la CADES pour boucher celui de l'ACOSS, comme il faut s'engager à boucher progressivement le trou ainsi creusé à la CADES, on le fera en augmentant à due concurrence le creusement futur du trou de l'ACOSS.
Autrement dit, pour résorber la dette de l'ACOSS vis-à-vis de la CDC, on la transférerait à la CADES, et au lieu d'une véritable ressource, pour payer les intérêts et rembourser celle-ci recevrait des sommes que l'ACOSS emprunterait au fur et à mesure à la CDC !
Astuce supplémentaire
Une astuce supplémentaire est à l'étude : faire prendre en charge par la branche famille une plus forte proportion de la majoration de pension que le régime général attribue aux parents de trois enfants et plus. De 60 % actuellement, cette proportion pourrait grimper à près de 100 %. Dans ce cas, le FSV pourrait payer à la branche vieillesse ce qui lui est dû : le déficit serait transféré au niveau de la branche famille. Dans ce cas comme dans l'autre, il se retrouverait en accroissement de la dette de l'ACOSS envers la CDC.
Cette variante dans l'application de la méthode des vases communicants fait un peu plus que déplacer le déficit et la dette pour ne pas les résorber ; elle présente ce que certains (mais pas l'auteur de ces lignes !) considéreront comme un avantage : quand la CNAF est dans le rouge, le gouvernement a une raison présentable de rogner les prestations familiales, opération bien plus facile à réaliser que des économies en matière de retraites. Il existe donc une possibilité de déboucher sur quelques économies : si ce second projet aboutit, une fois de plus ce sont les ménages avec enfants qui en feront les frais. On aura un tout petit peu diminué la cavalerie, mais au détriment des prestations familiales.
Bien entendu, le gouvernement aura ainsi géré de manière exemplaire le délicat problème de la dette de la sécurité sociale et œuvré à la mise en œuvre d'une grande politique familiale volontariste...
*Jacques Bichot est économiste, professeur à l'Université Jean-Moulin (Lyon III).
[1] On me pardonnera cette formule, inexacte en droit constitutionnel, mais dont le réalisme politique peut difficilement être contesté.
[2] Consultables sur son site www.fsv.fr
[3] Celui sur l'exercice 2007 n'est pas disponible à ce jour.
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