Lors du débat, au Sénat sur le projet de révision des lois de bioéthique de 1994, le ministre de la Santé, Jean-François Mattéi et le ministre de la Recherche, Claudie Haigneré, se sont prononcés sur les enjeux de cette révision.

Extraits.

 

Jean-François Mattéi : " Exceptions précises "

Sur le sens de la bioéthique : " Nous sommes à un tournant pour la conception même de ce qu'on appelle la bioéthique... (ce mot) est ambigu car il laisse croire que la biomédecine façonne sa propre éthique... On ne réinvente pas l'éthique à chaque nouvelle découverte scientifique ! "

Sur la définition de l'embryon : " [Le législateur] a édicté un régime fondé sur le principe du respect dû à l'embryon, solennellement inscrit à l'article 16 du Code civil... mais il n'a pas voulu définir cet embryon... Si nous ne pouvons trancher la question de la nature de l'embryon, nous pouvons et devons définir quelle doit être notre conduite à son égard. "

Sur la recherche sur l'embryon : " Le gouvernement prend pour fondement essentiel l'article 16 du code civil, qui prévoit que "la loi [...] garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie".

" Les perspectives thérapeutiques liées à l'utilisation des cellules souches embryonnaires ne sont encore qu'un pari et l'expérimentation animale est notoirement insuffisante.

" Seules des exceptions précises et strictement encadrées permettent de porter atteinte à l'embryon comme l'interruption volontaire de grossesse et, plus récemment, le diagnostic préimplantatoire.

" Le gouvernement vous propose de rester dans cette logique d'exception par rapport à cet interdit fondateur qui nous enjoint le respect de l'embryon qui est la clef de voûte de notre édifice législatif en matière de bioéthique.

" Le gouvernement souhaite donc, non pas légaliser la recherche sur l'embryon, mais permettre que certaines recherches soient menées sur certains embryons..

" Il est indispensable de mener de front des recherches sur les cellules embryonnaires et sur des cellules souches adultes, afin de comparer leur efficacité, mais aussi leur innocuité pour l'homme...

" Néanmoins, cette solution représente un bouleversement ontologique...pour l'embryon quand les lignées de cellules souches qui en seront tirées, (elles) aboutiront à sa destruction...

" La possibilité de mener des recherches sur l'embryon aura un caractère dérogatoire et transitoire...

" La recherche sur l'embryon est avant tout une recherche pour l'embryon.

" Nous sommes dans une situation d'urgence. On ne peut qu'être préoccupé du décalage entre les progrès réalisés pour diagnostiquer les problèmes du fœtus et, plus récemment, de l'embryon, et les moyens dont on dispose pour les traiter. Le biais qui en résulte en faveur de l'élimination plutôt que du traitement alimente un discours récurrent mais aussi de moins en moins irréaliste, sur le tri eugénique des êtres humains et sur la décence ou l'acceptabilité de ces pratiques devenues plus indolores...

" Un seul autre but peut être assigné à la recherche sur l'embryon : celui d'évaluer les perspectives thérapeutiques. Je souhaite que ces recherches puissent être conduites dans des conditions strictement encadrées.

" Il ne pourra s'agir que d'embryons conçus in vitro... Cette recherche doit faire l'objet d'un protocole qui, après une évaluation scientifique et éthique, sera ou non autorisée. "

Sur le clonage : " Le clonage dit "thérapeutique" n'est pas acceptable, pas plus que la possibilité... que des embryons soient créés pour les besoins de la recherche sur les techniques d'AMP. Cette possibilité... porte atteinte à la dignité de l'être humain : elle repose sur la conception d'embryon à des fins de recherche ; elle passe par la destruction de ces embryons...

" Le clonage programme un humain comme un objet fabriqué en fonction d'une commande. La loi doit réprimer fermement toute tentative qui porterait atteinte à notre conception de la personne humaine...

" C'est pourquoi, je vous propose... la création d'une nouvelle incrimination, baptisée "crime contre l'espèce humaine"... Il viserait tant le clonage à but reproductif que les pratiques eugéniques tendant à l'organisation de la sélection des personnes. "

Claudie Haigneré : " Transgression limitée "

Sur l'embryon : " La destruction inévitable de l'embryon sur lequel seront conduites ces recherches me semble éthiquement acceptable pour deux raisons : parce que la notion de bénéfice indirect peut être invoquée à bon escient... Et parce que à l'heure actuelle, un grand nombre d'embryons surnuméraires... sont disponibles et, quoiqu'il advienne, destinés à être détruits.

" La forte attente de la communauté scientifique de lignées de cellules souches embryonnaires... ne doit cependant pas nous faire oublier que la création de ces lignées passe par la destruction d'un ou plusieurs embryons humains...

" La transgression du principe de protection de la vie humaine dès son commencement, inévitable dans ces recherches, est donc limitée à l'étape de constitution de ces lignées. Il m'apparaît important que le législateur puisse accepter cette transgression dans une finalité thérapeutique...

" Les nouvelles connaissances qui pourront être obtenues...me paraissent justifier que le cadre législatif soit assoupli, à titre dérogatoire, et peut être pour une durée limitée. Autant d'éléments qui nous invitent à assumer avec courage cette transgression, dans le respect d'une exigence éthique élevée. "

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