Texte de la communication de la Fondation Europa au congrès de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne-Comece à l'occasion du cinquantième anniversaire des Traités de Rome, le 25 mars 2007.
Pour en savoir plus sur ce sujet, on pourra se reportera au discours du pape Benoît XVI aux participants du congrès, où la Fondation de service politique était représentée par Mme Élizabeth Montfort, également secrétaire générale de la Fondation Europa.
CONVAINCUS qu'en construisant la paix on pose les conditions d'un authentique humanisme intégral, [...] préparant ainsi un avenir serein pour les générations à venir[1] , rappelant et partageant les espoirs et les idéaux des Pères fondateurs[2] , nous espérons que le processus d' européisation se poursuive avec courage et énergie, fournissant une réponse effective aux attentes de millions d'hommes et de femmes qui se savent liés par une histoire commune et qui espèrent en un destin d'unité et de solidarité[3] .
Nous voulons apporter notre contribution à ce processus d' européisation et de réunification, conscients qu'il s'agit d'une contribution modeste mais authentiquement passionnée, en assumant nos responsabilités de citoyens et en participant, dans le cadre de ce qui nous est propre, au travail d'analyse et à la formulation d'idées et de propositions pour poursuivre graduellement et progressivement, l'idéal européen, non seulement comme réunification géographique et culturelle, mais aussi comme efficience interne et efficacité sur le plan international afin d' accomplir notre mission historique : Réunification préparée et prévue soit comme acceptation des principes reconnus par l'Union européenne, soit comme capacité d'accueil réciproque de cette même Union européenne ;
Efficience comme adoption de règles claires et essentielles pour le fonctionnement interne ;
Efficacité comme présence coordonnée et partagée, c'est-à-dire unitaire, sur l'échiquier international. Nous voulons apporter notre contribution, modeste mais passionnée. Cette contribution s'inscrit dans le cadre de notre autonomie et de notre responsabilité propre tout en se situant librement dans le sillage de l'Église, c'est-à-dire dans une adhésion libre et cordiale au magistère du pape et de nos évêques, sûrs que l'homme porteur de sens religieux apporte une proposition spécifique à l'amélioration de la société.
Nous situant dans la ligne de pensée des Pères fondateurs de l'Europe qui s'en sont inspirés, il nous faut avant tout mentionner de façon particulière le principe de subsidiarité, issu du droit naturel et que la doctrine sociale de l'Église a fait sienne en lui donnant son expression la plus achevée. Comme le soulignait Jean-Paul II, selon le principe de subsidiarité une société d'ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d'une société d'ordre inférieur en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l'aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun[4] . Il nous apparaît essentiel que, dans la poursuite de l'édification de la maison commune et dans l'amélioration de son fonctionnement interne, on s'attache à le mettre en œuvre conformément à ce qu'il signifie selon le droit naturel, c'est-à-dire en respectant la nature propre de chaque niveau social ou politique et en valorisant le rôle, non de substitution, mais d'assistance du niveau supérieur à l'exercice des compétences du niveau inférieur. En revanche, il serait dommageable de voir ce principe progressivement détourné pour aboutir à des mécanismes concrets d'organisation qui, par exemple sous prétexte de rechercher un effet plus grand des politiques envisagées, fonctionneraient en sens inverse et procèderaient par aspiration vers le centre.
De ce point de vue, sans doute serait-il profitable, au moment où les États membres s'interrogent sur la façon de redonner une impulsion de progrès à l'ambition européenne, de se demander si l'interprétation qui est donnée aux compétences communautaires actuelles ne se traduit pas par des débordements du centre qui brouillent rôles et responsabilités et qui finissent aussi par dérouter, sinon mécontenter, les Européens eux-mêmes.
En deuxième lieu, il semble également opportun de se demander où en est la présence coordonnée et partagée de l'Europe sur l'échiquier international, et s'il ne faudrait pas procéder à un examen de conscience. L'Europe est-elle réellement présente là où le monde l'attend ? Sans minimiser tel ou tel résultat déjà obtenu, l'instabilité du monde rend souvent criante l'absence de l'Union européenne, en tant que telle, dans le règlement de crises où elle aurait pu et dû jouer un rôle positif. Ses partisans sincères ne sauraient s'y résigner et devraient s'engager davantage dans les deux domaines où l'on a absolument besoin d'elle comme facteur de paix et de stabilité : la politique étrangère et la défense.
Nu ne méconnaît l'extrême complexité de ces questions, ne serait-ce qu'au regard des traités et alliances déjà conclus ; on ne sous-estime pas non plus la difficulté de dépasser le stade de la concertation à l'intérieur d'un aréopage d'États aux histoires, aux traditions et aux intérêts très divers. Mais, en se fondant sur ce qui a déjà été entrepris par certains de ses membres pour mettre en commun une partie de leurs moyens diplomatiques ou militaires, on est en droit de se demander si le moment n'est pas venu de franchir un pas de plus, au moins pour ceux qui se sentent prêts, afin de démontrer que leur union n'est pas seulement fondée sur des intérêts économiques mais qu'elle a un sens plus profond.
En troisième lieu, nous désirons collaborer avec tous ceux qui, quelles que soient leur culture, leur religion ou leur race, habitent notre continent, chacun selon son identité propre, afin que le dialogue soit véridique et constructif[5] , pour rendre notre vie commune conforme aux droits fondamentaux de l'homme. Et c'est là notre engagement. Les droits et les valeurs fondamentaux qui sont à la base de la dignité humaine, comme la liberté religieuse et la liberté des Églises, dans toutes leurs dimensions, sont une preuve très sûre du respect réel de toutes les libertés et de tous les droits de l'homme[6] , impliquant nécessairement la jouissance d'autres libertés comme la liberté de pensée, d'expression, de communication, de réunion, d'association, d'éducation de ses enfants.
La condition préliminaire nécessaire pour donner des bases solides à un tel processus est le respect de toutes les cultures et traditions qui ont construit l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui, Europe qui est considérée avec espérance par de nombreux pays moins avantagés de l'hémisphère sud qui attendent d'elle une action équilibrée et civilisatrice. Ces valeurs qui constituent le patrimoine très précieux de l'humanisme européen représentent l'apport intellectuel et spirituel caractéristique qui a modelé l'identité européenne au cours des siècles et qui appartiennent au trésor culturel propre de ce continent[7] . Ces valeurs, les valeurs chrétiennes, représentent le facteur d'unité le plus imposant et le plus évident[8] .
D'où découle une seconde condition au plein effet de ces valeurs. La référence aux racines chrétiennes de l'Europe ne relève pas simplement du rappel historique, ou du symbole. Elle inclut nécessairement une dimension anthropologique : celle d'une vision de l'homme inscrit dans un ordre social selon un ensemble de droits et de devoirs qui sont ceux que le droit naturel, synthèse des apports de Jérusalem, d'Athènes et de Rome, a progressivement dégagés en leur donnant un contenu substantiel. En ce sens, elle n'est pas dénuée de contenu normatif.
C'est à la lumière de cette question centrale d'un arrimage sur le droit naturel que prend son sens la Charte des droits fondamentaux de l'Union. Malgré le caractère incontestablement positif de ses stipulations, son contenu et sa portée réels demeureraient ambigus et sujets à interrogation si les droits qui y sont exprimés devaient être considérés et interprétés non en référence au droit naturel, c'est-à-dire avec un contenu rationnel, universel et objectif, mais de façon positiviste et formelle, comme c'est hélas le cas de plus en plus souvent. En particulier, il conviendrait de s'assurer qu'un principe, souvent considéré comme prédominant par les organes communautaires, celui de la non-discrimination, n'est pas utilisé comme clé ultime de leur interprétation.
La culture chrétienne doit donc être prise en compte dans le monde social et politique européen pour cela, mais pas seulement. Parce que la vision chrétienne de l'homme et de la société est partagée par des millions de citoyens européens, et parce que marginaliser une culture et une tradition présentes à notre époque en la présentant comme simple résultante historique est une blessure faite à la liberté et mine le destin d'unité et de solidarité[9] . Un patrimoine qui a largement contribué à modeler l'Europe des nations et l'Europe des peuples.
Le respect de toutes les cultures et traditions qui ont construit l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui comporte l'affirmation d'une laïcité réelle et nécessaire des institutions qui met de côté les positions hostiles ou exclusives pour assumer des positions d'attention et de dialogue avec toutes les cultures et traditions, y compris la culture héritière de ces valeurs, les valeurs chrétiennes, qui constituent le patrimoine le plus précieux de l'humanisme européen[10] . Pour collaborer à l'instauration de ce type de laïcité, nous nous engageons à un dialogue authentique, à partir de notre identité, mais ouvert, cordial et respectueux, avec le double désir d'apprendre de tous et de souligner surtout ce qui nous unit, dans le respect de l'identité de chacun. La disponibilité au dialogue et la recherche du dialogue s'adressent à tous.
De ce point de vue, nous prions pour la contribution importante que nous espérons voir émerger de la troisième Assemblée œcuménique européenne qui se tiendra du 4 au 9 décembre 2007 à Sibiu, en Roumanie, afin qu'elle soit orientée, comme l'a dit le Saint-Père en recevant le Comité préparatoire, vers la recherche difficile, mais constante et commune, de la vérité.
Avec d'autres, nous pensons que nous aussi nous pouvons, en toute humilité, apporter une contribution significative à la construction d'une société civile et politique européenne plus démocratique et accueillante à tous, parce que ce sont les citoyens moraux souvent inspirés par la religion qui favorisent la démocratie[11] .
Nous pouvons reprendre les paroles de Robert Schuman, le jour de son discours fondateur de la communauté européenne, le 9 mai 1950 : la démocratie doit son existence au christianisme : la démocratie moderne reconnaît l'égalité des droits de toutes les personnes humaines, sans distinction, ni exception. C'est le christianisme qui, le premier, a enseigné l'égalité de nature de tous les hommes...
Pour cette raison, les formes d'indifférence , voire de discrimination envers telle ou telle culture, y compris religieuse, constituent un déficit pour la vie démocratique.
En outre, attentifs aux recommandations du philosophe Jürgen Habermas qui indique la nécessité de penseurs capables de traduire les convictions spécifiques de la foi chrétienne dans le langage du monde sécularisé pour les rendre efficaces dans un monde nouveau, nous nous efforcerons de le réaliser, avec l'aide des politiques, des universitaires et des intellectuels prêts à un tel travail, à commencer par les Universités catholiques que la grande tradition chrétienne du continent a consacrées.
Association pour la Fondation Europa,
partenaire de la Fondation de service politique.
Traduction française Eric Iborra.
Pour en savoir plus :
■ Discours du pape Benoît XVI (extraits) : "L'Europe se renie elle-même en niant les valeurs universelles"
■ Site de la Comece
■ Site de la Fondation Europa
Notes[1] . Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de prière pour la paix 2007.
[2] . Adenauer, Schumann, De Gasperi ainsi que Monnet, Spaak, etc.
[3] . Jean-Paul II, Message aux participants de la rencontre Vers une constitution européenne , juin 2002.
[4] Jean-Paul II, Centesimus annus, 1991, n. 48.
[5] . Benoît XVI, Rencontre avec le Corps diplomatique accrédité auprès de la République turque, novembre 2006 : Notre monde doit toujours prendre davantage conscience du fait que tous les hommes sont profondément liés les uns aux autres et les inviter à situer par conséquent leurs différences historiques et culturelles non pour s'opposer les uns aux autres mais pour se respecter mutuellement.
[6] . Ce que disait déjà il y a plus de soixante ans le grand juriste italien Carlo Arturo Jemolo.
[7] . Voir note 3.
[8] . Qu'il suffise de penser à l'importance du monachisme, à son action harmonisatrice et à son action de sauvegarde du patrimoine culturel.
[9] . Dans bon nombre de milieux européens on vérifie concrètement la vérité de l'affirmation suivante : Je m'opposerai à ce que tu dis, mais je me battrai pour que tu puisses le dire .
[10] . Le cardinal Raffaele Martino dans son discours sur La religion dans l'espace public a dit : Un régime politique authentiquement laïc accepte soit que les chrétiens agissent chacun en tant que chrétiens sans se déguiser en agnostiques, soit que l'Église rende publiques ses appréciations sur les grandes questions éthiques qui sont en jeu . C'est dans l'intérêt de la politique même parce que si celle-ci prétend vivre comme si Dieu n'existait pas, elle finit par se dessécher et par perdre conscience de l'intangibilité de la dignité humaine. Retenons que cela vaut pour toutes les confessions .
[11] . Cardinal Angelo Scola, Discours du 10 septembre 2006 : Le scénario d'aujourd'hui et de demain pour les stratégies compétitives : religion et politique. Les pères fondateurs avaient déjà voulu d'une certaine manière un Etat laïc sans laïcisme d'Etat. La sphère politique est clairement distincte de la sphère religieuse, mais disposée à dialoguer avec elle parce qu'elle est bien consciente qu'aucun gouvernement ne peut produire de citoyens moraux, mais au contraire que ce sont les citoyens moraux souvent inspirés par la religion qui favorisent la démocratie .
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