Vivre à Rome les canonisations de Jean XXIII et de Jean-Paul II fut sans conteste une grande grâce. Moins de dix ans après sa mort, voilà que le pape de notre jeunesse est enfin saint, que le pape du “N’ayez pas peur d’ouvrir les portes au Christ !” peut être l’objet d’un culte public.
Joie ! Grande joie ! Du Santo subito des funérailles en 2005 à ce 27 avril 2014, nous voulons saluer la rapidité hors du commun avec laquelle l’Église, dans sa sagesse, a canonisé un géant de notre modernité, son grand signe des temps à l’évidence ; nous voulons bien sûr remercier Benoît XVI l’artisan aux côtés de François pour cet événement si lourd de sens pour le monde entier.
Mais pour qui a vécu la béatification le 1er mai 2011, la canonisation attendue, trois ans après, apparaît malgré tout quelque peu déroutante.
Au ciel bleu, à la décoration des colonnades, à la remarquable exposition à l’intérieur même de la place Saint-Pierre, aux deux millions de pèlerins font écho un ciel gris où menace la pluie, la nudité des colonnes, une interminable queue loin de Saint-Pierre aux musées du Vatican, moins d’un million de pèlerins. Jusqu’au pape François affichant une mine très grave.
Contre toute attente, l’embellie est venue de Benoît XVI qui a éclairé la cérémonie de son sourire simple aux deux apparitions relayées par l’écran géant. Ne parlons pas des journalistes qui en ont rajouté une couche, toujours prompts à dénigrer un pontificat qu’ils continuent à regarder sans hauteur, prompts à mépriser également « les hordes de Polonais » ainsi qu’ils le disent. Faisons malgré tout une place à part à Jean-Marie Guénois, l’envoyé spécial du Figaro, dont la couverture de l’événement fut particulièrement juste.
Les Polonais, rocs de foi, si fidèles
Parlons-en justement des Polonais. Nous les avons vus et nous les avons admirés. Jeunes et vieux, très unis, infatigables, au-delà des contingences matérielles, ils avaient fait des heures de car, n’ayant pas toujours d’hôtel, munis de pliants pour quelques heures de repos, avalant une maigre boîte de pâté sur le pouce, un vieux café coulant d’un thermos malmené. Ils ont attendu des heures durant sans dormir parfois pour arriver les premiers sur la Place Saint-Pierre.
Et alors ?
Doit-on en moralisateurs consommés agiter le chiffon rouge du danger du culte de la personnalité ? Doit-on montrer du doigt ces gens simples et humbles qui viennent montrer leur affection au pape sorti de chez eux ? Doit-on en censeurs, en gens qui savent, en gens d'importance, plaquer des schémas d’un catholicisme bon teint sur ces rocs de foi si fidèles ? Qui peut s’octroyer de manière si légère de sonder ainsi leurs reins et leurs cœurs avec tant d’arrogance ?
M’ont particulièrement choquée les fouilles opérées par une sécurité au zèle douteux à leur égard, autant au moment de la canonisation et de la messe d’action de grâce qu’à celui de l’accès à la basilique. Et de faire sortir tout son sac à dos à une pauvre femme, de casser méchamment le bâton d’un drapeau rendant le tissu inutile, d’arrêter justement un jeune prêtre à la barrière de sécurité d’entrée à la Basilique. Sur six portiques, deux seulement étaient ouverts. La file d'attente s’étirait avec une lenteur d’escargot, une file immense prenant naissance à l’autre bout de la Place Saint-Pierre et se rétrécissant en une sorte de colimaçon pour pouvoir exister.
Désorganisation et bonne humeur
Trois heures de queue dans une désorganisation pénible pour accéder quelques minutes aux tombeaux des nouveaux saints. Mais rien ne semblait devoir décourager.
Et nous pas moins que d’autres ! Ça priait le chapelet ! Ça chantait des cantiques ! Ça prenait patience dans la bonne humeur même quand ça resquillait plus haut...
Si pour près d’un million de personnes présentes à Rome, deux portiques seulement étaient ouverts, pour quelle sorte d’événement les six pourraient-ils donc être ouverts en même temps ? C’est la question que je me suis posée sans jamais pouvoir trouver de réponse.
En sortant de la basilique, à trois heures de l’envol pour Paris, au moment d’un dernier au-revoir, les roses orange et rouges du parvis de la place Saint-Pierre semblaient contre toute morosité un cœur brûlant, battant fort, bravant le gris de plomb qui enveloppait soudain le Vatican. C’est cette dernière image avec ce « Suscipe » poignant du Gloria (58:56) de la messe de canonisation la veille que je voulais emporter, image empreinte de la ferveur de tous ceux qui ont voulu coûte que coûte, jamais découragés, dire « Merci ! » à Jean-Paul II, qui ont voulu dire peut-être aussi « Pardon ! » de n’avoir pas toujours su mieux servir son enseignement lumineux.
Mémoire et identité
Ces grandes cérémonies de canonisation, rassemblements hors du commun, n’en déplaise aux grincheux, ne servent pas à rien, édifient, donnent de la force. Chacun repart nourri, plus apte à évangéliser, ressourcé par la joie du moment et de la communion fraternelle. Ce n’est pas de l’énergie gâchée ni de l’argent gaspillé, encore moins un culte de la personnalité à écraser dans l’œuf. C’est un hommage nécessaire, un témoignage d’importance, une mémoire pour une si grande identité...
Hélène Bodenez
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