Après son rapport 2006 sur L'enfant au cœur des nouvelles parentalités (le statut du tiers-parent ), Mme Dominique Versini vient de publier, pour 2007, un rapport consacré aux adolescents en souffrance .
Ce plaidoyer pour une véritable prise en charge présente un constat et des chiffres alarmants, mais sa cécité idéologique est révélatrice : comment accompagner le mal-être des jeunes sans s'attaquer aux choix de société qui en sont la cause ?
Le rapport 2007 du Défenseur des enfants relève que 15 % des 11-18 ans, soit 900.000 adolescents seraient en grande souffrance . On compte 40.000 tentatives de suicide par an, majoritairement de la part de jeunes filles – le suicide constituant la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 15-25 ans. Le rapport insiste aussi sur la flambée des demandes de consultations en pédopsychiatrie depuis 15 ans (plus de 70 %) et des polyaddictions (alcool-tabac-cannabis), en constante augmentation, qui commencent de plus en plus tôt chez les enfants.
Dépendances
Il observe spécialement, au sujet du cannabis – que d'aucuns, rappelons-le, veulent libéraliser – que sa banalisation est complète, nombre d'adultes s'alarmant à peine de voir leur enfant en consommer régulièrement , bien qu'elle soit associée notamment à un risque certain de schizophrénie. Il est encore question de l'ecstasy, des amphétamines et de la cocaïne, consommées dans des proportions plus élevées que celles de la population générale, sans oublier l'usage de psychotropes dès l'âge de 14 ans.
Quant à l'alcool, le rapport révèle que l'arrivée aux urgences pédiatriques de filles ou de garçons âgés de 12-13 ans en coma éthylique n'est plus rare , que près de 28 % des 15-19 ans déclareraient avoir été ivres plus de quatre fois dans l'année, et que 30 à 40 % des premières relations sexuelles auraient lieu sous alcoolisation.
Le rapport dénonce également l'envahissement de la pornographie, aisément accessible sur l'Internet (y compris par les téléphones portables), de sorte qu'à 14 ans, deux garçons sur trois et 36 % des filles auraient vu des films pornographiques, la violence, qui passe par des jeux dangereux ou des auto-mutilations, l'anarchie des comportements alimentaires, provoquée notamment par la tyrannie de la mode, ou encore la "cyberdépendance" qui coupe ses victimes du réel et des relations sociales.
Une société passive
Tout cela est aussi frappant qu'alarmant. Ce qui ne l'est pas moins, c'est l'ordre en lequel toutes ces données sont présentées. Le rapport Versini indique en préambule que la société est chamboulée , et que cela constitue un facteur de vulnérabilité pour les adolescents. Mais à y regarder de près, il ne décrit pas cela comme une cause, productrice des effets décrits, mais simplement comme une donnée sociologique dont on est invité à prendre acte. Il observe seulement que le mal-être des adolescents est fréquemment en résonnance avec celui éprouvé par leurs parents et l'ensemble de la société .
S'il évoque ainsi notamment les évolutions économiques, la mondialisation, la précarité, l'inadéquation du système scolaire ou les métamorphoses de la famille , voire le divorce qui y joue un rôle capital, il ne met aucune hiérarchie entre ces éléments. Certes, il fait le constat général , selon lequel les ruptures affectives, surtout lorsqu'elles sont mal accompagnées, retentissent sur la construction psychique des enfants et que, conjuguées aux difficultés économiques, à la solitude et à l'isolement des parents , elles aggravent le mal-être inhérent à l'adolescence .
Cependant, il ne faut pas voir en ces mots une critique de ces ruptures, même s'il en résulte que près de 2,5 millions d'enfants sont élevés dans une famille dite "monoparentale", et que cette dernière, est-il observé, cumule toutes les difficultés. Ce ne sont pas ces ruptures, à proprement parler, qui sont jugées la cause des déséquilibres sociaux et psychiques dénoncés. La cause tient en ce que la société n'a pas été préparée à penser ces bouleversements, elle les supporte plus qu'elle ne les accompagne .
La famille absente
Voici le maître-mot : accompagner. Il ne s'agit pas d'assigner des causes parce qu'il ne s'agit pas non plus d'y remédier. On décrit des maux, les phénomènes sociologiques dont ils sont les résonances et l'on propose des adaptations pour en limiter ou en corriger les effets insupportables. Le monde évolue, c'est un fait. Il faut s'y adapter. "Panta rei" : telle est la loi de toutes choses. Le malheur, figurez-vous, est entré dans la vie de beaucoup d'enfants par notre impréparation. Tout ce que nous avons évoqué d'ailleurs plus haut, les dépendances diverses, les violences, la pornographie, tout est rangé dans le plan du Rapport au chapitre des manifestations de la souffrance psychique ou de ses nouvelles formes , pas de ses causes. Ainsi la responsabilité morale — individuelle ou collective — se trouve diluée dans la sociologie.
La suite du Rapport vient d'ailleurs conforter cette analyse. Un rapport digne de ce nom propose des solutions. Aujourd'hui, on préfère parler d'ailleurs de pistes , ce qui engage moins et paraît plus intelligent — allez savoir pourquoi. Ici, il est question de repérage du mal-être des adolescents , de dépistage, de prévention des risques, d'entourage, d'écoute. On propose des lignes d'écoutes 24 heures sur 24 , des Points d'accueil et d'écoute jeunes hétérogènes (sic), des équipes mobiles, des services hospitaliers. Mais vous ne trouverez pas un traître mot sur ce qui est pourtant le cœur, l'essence du problème : la restructuration ou la revalorisation du cadre familial, lieu immédiat et naturel, en tous les sens du terme, lieu nécessaire de l'édification de la personnalité d'un enfant.
On ne vous parle pas non plus de la restauration du rôle du père ou de la mère, ni de leur égale nécessité dans cette édification. On propose d'accompagner des enfants disloqués pour éviter qu'ils n'aient des comportements ou des psychismes (trop) déviants, mais on s'interdit de réfléchir à ce qui peut et doit permettre d'éviter ces dislocations. Il est vrai qu'il y aurait tant d'acquis démocratiques supposés insurpassables à remettre en cause !
Pour en savoir plus :
■ L'auteur propose la totalité de son analyse sur son blog Hermas.info
■ Le rapport Adolescents en souffrance: plaidoyer pour une véritable prise en charge
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