Le dossier du Conseil d'orientation des retraites (COR) chiffrant quelques scénarios destinés à réduire le déficit de nos régimes de retraite a été rendu public ce 11 mai après-midi. Il est intéressant à bien des aspects.
1/ Enfin, une étude d'impact a été réalisée en utilisant des moyens un peu moins rudimentaires que les calculs de coin de table et le doigt mouillé !
2/ L'ampleur de l'effort à accomplir était déjà connue : le VIIIe rapport du COR, daté du 14 avril, montrait qu'à l'horizon 2020, pour que le taux de remplacement des revenus professionnels par les pensions ne diminue pas, et que l'équilibre financier soit réalisé sans augmentation des prélèvements (cotisations ou impôts), il faudrait que l'âge moyen à la liquidation des pensions augmente de cinq ans. Mais il s'agissait d'une information fournie sous forme d'un graphique un peu difficile à lire (une abaque , comme dit le COR) et qui n'a guère été soulignée dans les médias, davantage centrés sur les projections de déficit à l'horizon 2050.
3/ Il a fallu attendre la publication de ce dossier pour savoir ce que le gouvernement entendait par relèvement de l'âge légal de la retraite : un relèvement identique de l'âge d'ouverture du droit au départ (aujourd'hui 60 ans) et de l'âge d'annulation de la décote (actuellement 65 ans). Pourquoi être resté ainsi dans le vague ? Heureusement que les études d'impact obligent le loup à sortir du bois, amènent le gouvernement à indiquer à la population et à ses élus sur quelles hypothèses il travaille.
4/ Ce dossier montre que les mesures mettent du temps à produire leurs effets : c'est seulement en 2030, dans vingt ans, que ceux-ci seront pleinement atteints. Autrement dit, attendre 2003 pour prendre de nouvelles dispositions après celles de 1993 a été une négligence coupable. Et la pauvre loi du 21 août 2003, comme je l'ai qualifiée dès sa sortie [1], nous a fait beaucoup de mal en donnant l'impression que les pouvoirs publics agissaient, alors qu'ils se contentaient de faire trois pas en avant et deux pas en arrière [2] en croisant les doigts pour que l'amélioration de l'emploi permette de basculer des cotisations de l'assurance chômage sur les retraites [3].
Idem pour la soi-disant réforme des régimes spéciaux en 2007, poudre aux yeux que j'étais un peu seul à dénoncer sur le moment, et que tous les spécialistes reconnaissent aujourd'hui comme telle.
Dirigisme
5/ Le choix des scénarios dont les effets ont été simulés montre à quel point le Medef – car c'est lui qui en a fait la demande – est en phase avec la mentalité bureaucratique, dirigiste et antilibérale qui prévaut au sommet de l'État. Car ce qui a été testé, c'est la continuation des mesures d'augmentation de la durée d'assurance requise pour échapper à la décote, et l'augmentation des deux âges légaux, autrement dit les solutions qui ne misent pas sur la capacité des Français à se retrousser les manches s'ils sont mis dans une situation de liberté responsable.
Il est loin le temps où l'organisation patronale proposait la retraite à la carte avec neutralité actuarielle et unification des régimes – formule que son ancien vice-président, Denis Kessler, préconise toujours (Le Figaro du 4 mai 2010).
6/ Les simulations réalisées pour le COR montrent clairement que les dispositions qui ont été testées ne suffisent pas : elles réduisent au mieux de 38 % le déficit prévu pour 2020, et de 41 % celui de 2030. Ce résultat devrait inciter les pouvoirs publics à penser à la solution que proposent des hommes comme Alain Madelin, Denis Kessler ou votre serviteur. Il est hélas à craindre que prévale le vieux réflexe dirigiste : si une mesure bureaucratique ne donne pas les résultats escomptés, lui en ajouter d'autres.
Illusoire taxation
7/ Ces autres mesures, les syndicats les réclamaient depuis le début, et le président de la République semble décidé à leur donner (au moins partiellement) satisfaction : il s'agit de taxer le capital. Pour comprendre la stupidité d'une telle proposition, il suffit de relire un article publié dans Libération du 12 juin 2003 par trois économistes de gauche, Elie Cohen, Jean-Paul Fitoussi et Jean Pisani-Ferry. Le titre en est parfaitement clair : L'illusoire taxation du capital. Leur raisonnement ne l'est pas moins :
Les recettes d'une taxation des revenus du capital seraient proportionnelles à l'évolution de ces revenus, donc intimement liées aux caprices de la conjoncture. Le financement des retraites serait en partie indexé sur les cours de bourse. Mais surtout, serait-il légitime de faire appel à la solidarité pour financer un système qui n'est pas ... solidaire ? [...] Un point de prélèvement sur les seuls revenus du capital rapporte aujourd'hui moins d'un milliard d'euros par an ; il faut encore une fois se rendre à l'évidence : c'est seulement en mettant à contribution les salaires ou les retraites que l'on peut dégager des ressources à la hauteur du problème.
Hélas, la gauche, pas plus que la droite, ne fait attention à ce que disent les économistes qui ont de la sympathie pour elle.
8/ Aux arguments de ces collègues, j'ajouterai qu'il faut savoir ce que l'on veut : développer l'épargne en vue de la retraite, c'est-à-dire compter sur le capital et ses revenus pour la retraite par capitalisation ; ou bien assigner à la répartition une proportion des revenus de capitaux qui ne soit pas purement symbolique ? On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre.
9/ Il en va de même pour la palinodie que nous chantent divers parlementaires de la majorité à propos du bouclier fiscal : on ne peut pas d'un côté se lamenter sur l'instabilité des dispositions fiscales, qui fait fuir les fortunes vers des pays moins versatiles, et de l'autre, à la première occasion, demander de revenir sur des dispositions dont l'encre est à peine sèche.
10/ L'élévation des bornes d'âge de liquidation de la retraite , comme dit le COR, porterait la fourchette de 60-65 ans actuellement (60-62,5 ans pour la fonction publique) à 63-68 ans pour les assurés sociaux nés en 1962 (la cohorte 1962, en jargon). Le rythme serait d'un trimestre de plus pour chaque année. Une personne née en 1952, ayant assez de trimestres et comptant prendre sa retraite le 1er avril 2012, se verrait donc contrainte d'attendre le 1er octobre.
Contrainte
Contrainte : c'est là que le bât blesse ! Avec une retraite à la carte, cette personne aurait le choix : partir quand même à son soixantième anniversaire, mais avec moins que prévu ; ou prolonger (pas forcément de 6 mois, peut-être d'un an ou davantage), pour approcher ou dépasser le montant de pension envisagé. Et cela sans que la CNAV soit affectée en aucune manière par son choix, du fait de la neutralité actuarielle. À diminution du déficit égale, la possibilité d'agir sur le taux de la pension, dans le cadre d'une retraite à la carte avec neutralité actuarielle, minimiserait le désagrément pour les assurés sociaux, chacun choisissant ce qui, pour lui, compte tenu de sa situation, serait la moins mauvaise solution. Il est regrettable que le COR n'ait pas été mandaté pour étudier ce type de formule, laquelle a été présentée notamment ici même [4].
11/ Pour le régime général, l'action sur l'âge de la retraite aboutirait à diminuer le nombre de pensionnés, par rapport à l'évolution prévue en l'absence de mesures nouvelles, de 930 000 en 2020, et de 1,7 million en 2030. Les économies se chiffreraient à 7,4 milliards en 2020 et 12,6 en 2030 ; les rentrées de cotisations supplémentaires à 1,9 et 3,8 milliards. 16,4 milliards de mieux en 2030, cela est appréciable, mais ne représente cependant pas tout à fait la moitié des 34 milliards de déficit que les projections sans changements de règles donnent pour cette échéance. Et ensuite la situation recommencerait à se dégrader, la couverture du besoin de financement à l'horizon 2050 tombant à 27 %. Autrement dit, décaler les âges légaux de 3 ans ne peut constituer qu'un commencement — et qui plus est un commencement insuffisant, compte tenu du retard qui a été pris.
12/ Les chiffres ci-dessus concernent le seul régime général ; le COR a fait effectuer le même travail pour la fonction publique d'État, mais il était impossible de le réaliser pour chacun de nos 40 régimes. Tant que nous n'aurons pas unifié notre système de retraites par répartition, nous aurons les plus grandes difficultés à faire de bonnes simulations, et donc à piloter le système de façon intelligente et efficace.
*Jacques Bichot est économiste, auteur de : Retraites. Le dictionnaire de la réforme, L'Harmattan, 2010.
[1] Sauver les retraites ? La pauvre loi du 21 août 2003, l'Harmattan, décembre 2003.
[2] Pas en avant : augmentation progressive de la durée d'assurance requise pour obtenir le taux plein dans le régime général ; même chose dans le régime des fonctionnaires, et introduction de la décote dans ce régime. Pas en arrière : dispositif carrière longue (qui a rapidement plongé le régime général dans le rouge) et diminution progressive de la décote.
[3] À cet égard, le COR a publié de bien cruelles projections de la situation financière de l'UNEDIC à long terme : même si le taux de chômage revient à 4,5 % et si la productivité augmente de 1,8 % par an sur longue période, il ne serait pas possible de basculer à terme, de l'UNEDIC au régime général, plus de 1,8 point de cotisation. Avec des hypothèses moins favorables, mais encore passablement optimistes (chômage à 7 % et productivité augmentant de 1,5 % l'an) on arrive à 0,7 point de cotisation à transférer, et cela guère avant 2020, sauf à empêcher Pôle Emploi de rembourser la totalité de son endettement actuel. Or le seul régime général aurait besoin d'environ 8 points de cotisation supplémentaires pour équilibrer ses comptes en 2030.
[4] "Retraites, publicité et perspectives de réforme", Libertepolitique.com, 23 avril 2010
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