Il ne fait aucun doute que la Grèce sortira de l'euro à brève échéance. Les solutions qui pourraient permettre de l'y maintenir sont toutes exclues. La première serait que l'Europe garantisse la dette d'État grecque qui ainsi deviendrait une dette de toute l'Europe. Le règlement de l'euro ne le permet pas et cela pour des raisons évidentes : le précédent serait inacceptable.

La Grèce n'a pas demandé à l'Europe la permission de faire des déficits, bien au contraire, elle en a fait une partie dans son dos. Si chaque pays pouvait ainsi tirer des chèques sur l'ensemble européen, on irait vite au laxisme généralisé. Et d'ailleurs même si cette prise en charge était possible, l'opinion allemande ne la permettrait pas sachant qu'à la fin, c'est l‘Allemagne qui devrait payer.
Assistance ou déflation
L'autre solution serait d'accroître les transferts financiers nets de l'Europe (celle de Bruxelles, pas de celle Francfort) en direction de la Grèce. Si l'aide budgétaire proprement dite n'est pas non plus permise, il serait en théorie possible d'accroître le montant des aides régionales que, à l'instar de tous les pays en retard, perçoit la Grèce. De cela non plus il n'est pas question. Pour les mêmes raisons : le précédent serait là aussi dangereux et les réticences allemandes insurmontables.
On sait d'ailleurs que si aujourd'hui il faut mettre 100, ce sera demain 200, puis 3000 et à la fin, les Grecs ne seraient plus que des assistés de l'Union européenne. On mesure là les limites de la solidarité européenne, corollaire pourtant nécessaire de l'euro selon tous les économistes. Une étude passionnante de Laurent Davezies [1] a montré que les flux de solidarité européenne, via le budget de l'Union, ne représentaient qu'environ le dixième des flux nationaux (par exemple de Ile-de-France vers le Limousin, à travers les retraites, les administrations, etc.). Cela ne suffit pas pour compenser les effets dévastateurs de l'euro sur les économies les plus faibles.
La troisième solution est d'imposer au peuple grec un plan de déflation drastique analogue à celui que le gouvernement Laval tenta d'imposer aux Français en 1934 ; réduction du nombre des fonctionnaires et de leurs salaires, réduction des retraites, coupes claires sur les dépenses publiques. Soit le contraire de ce qu'a promis le nouveau gouvernement conduit par le socialiste Papandréou, fraichement élu.
Au vu de l'état d'esprit de l'opinion grecque, en particulier du succès des dernières grèves et de ce qu'on sait du tempérament rebelle des Grecs (sans que cela ait de notre part rien de péjoratif), il ya peu de chances qu'un tel plan aboutisse. Personne n'aime les plans de rigueur, à plus forte raison s'ils sont imposés de l'extérieur. Et même si ce plan réussissait, 5 ou 10 % de déflation ne suffiraient pas ; c'est 30 % au moins qu'il faut pour rétablir la compétitivité de l'économie grecque.
Il est bien évident que ces 30 % de rééquilibrage ne pourront être obtenus que par une dévaluation et donc par la sortie de l'euro. C'est ce qui est sans doute nécessaire pour rétablir sinon l'équilibre du budget, du moins celui des comptes extérieurs. Pendant quelque temps après cette dévaluation, la Grèce deviendra la destination touristique la moins chère du monde. L'afflux des touristes devrait alors relancer l'économie du pays.
Face à la Turquie
Le cas grec n'illustre pas seulement l'absence de solidarité économique et financière au sein de la zone euro mais aussi l'absence de solidarité militaire. Les commentateurs n'ont pas manqué de souligner qu'une des causes du déficit grec était le montant anormalement élevé — pour l'Europe — de ses dépense militaires (4,5 % du PIB). La raison est que la Grèce fait face à un ennemi traditionnel, la Turquie, dix fois plus peuplé, et avec lequel les relations demeurent tendues. Si la défense européenne n'était pas un vain mot, la Grèce n'aurait pas à s'en faire : elle saurait qu'en cas de problèmes avec la Turquie, elle pourrait compter sur la solidarité de tout le bloc des 26. Or c'est le contraire qu'elle doit envisager. Toute la machine européenne vit aujourd'hui dans une turcomania qui explique la poussée vers l'adhésion d'Ankara.
On retrouve là un peu le scenario yougoslave : l'Europe occidentale préfère les musulmans aux orthodoxes, couve d'un oeil doux les Turcs, dont on s'obstine à ne pas voir les retards en matière de droits de l'homme et, depuis le début, méprise les Grecs, alors même que ces derniers sont dans l'Europe et les autres non. Quelles explications pour cette étrange attitude ? L'oubli de l'histoire et du rôle majeur joué par les Grecs à l'orée de l'Europe, la véritable, pas celle des bureaucrates ? La haine de soi qu'au gré de certains entretiendrait l'Europe ? Ou tout simplement l'influence diffuse de l'Amérique sur les esprits, une Amérique qui soutient la Turquie et s'est toujours méfiée des Grecs, trop proches des Russes ? On ne sait.
Le talon d'Achille
Qu'adviendra-t-il quand la Grèce sortira de l'euro ? Sur le plan économique, rien. Si les marchés étaient rationnels l'euro devrait être renforcé comme une cordée l'est quand elle a largué ses poids morts. S'ils ne le sont pas et que l'euro baisse, ce serait tant mieux pour toute l'économie européenne. Mais sur le plan financier, il y a peu de doute que la spéculation s'attaquerait alors à des pays plus importants que la Grèce et presque aussi en difficultés, comme l'Espagne ou l'Italie. Leur situation serait la même que celle de la Grèce aujourd'hui : faute qu'une solidarité véritable soit possible et dans l'impossibilité de faire les réformes douloureuses que même les Français ne font pas, la sortie de l'euro serait inévitable. À la fin, l'euro redeviendrait ce qu'il n'a jamais cessé d'être, le mark, c'est-à-dire une monnaie adaptée au tempérament du peuple allemand mais pas à celui du peuple grec, ni même à celui du peuple français ou du peuple italien.
Si les conséquences économiques d'un tel scénario sont parfaitement gérables, il aurait, sur le plan politique, l'effet d'un cataclysme : l'euro est le second étage de la construction européenne ; le marché unique est le premier. Se retrouvant à nu, ce dernier serait aussi fragilisé. Si Francfort chute, combien de temps tiendra encore Bruxelles ? Il est trop tôt pour le dire.
Il est une vieille expression grecque qui nous est familière : celle du talon d'Achille. La Grèce est bien le talon d'Achille de l'Europe. Il ne s'agit que d'une petite partie du corps mais c'est la survie de tout le corps qui est en jeu.
La crise grecque illustre la fragilité de l'euro. Malgré les efforts de colmatage, il n'est pas sûr que la monnaie unique résiste au choc. Et après ? L'édifice européen tout entier risque de s'en trouver fragilisé. Avec quelles conséquences ?

 

Conférence-débat

Roland Hureaux animera une conférence-débat sur le thème :
L'Europe de Bruxelles survivra-t-elle à la crise économique et financière ?
Lundi 8 mars 2010 à 19h
Salle municipale - 16, rue des Graviers, Neuilly-sur-Seine
M° Pont-de-Neuilly ou Sablons (ligne 1)
Entrée libre