[Source: Politique Magazine]
Avec Quand la gauche agonise (Le Rocher, 212p., 17,90€), le journaliste et essayiste Paul-François Paoli jette un regard sans concession sur notre pays. Pour lui cependant, l’idéologie post-nationale qui sous-tend la « République des bons sentiments » est en train de dépérir. Réjouissant !
Qu’est-ce que la république des bons sentiments et en quoi serait-elle de gauche ? Il y aurait donc une république de gauche et une république de droite ?
A mes yeux, en effet, deux visions de la République se superposent parfois dans nos discours. La première s’est incarnée dans la philosophie politique de la Ve République : elle exprime une certaine idée de l’état dont la fonction est de déterminer le bien commun de la nation, puis de le mettre en œuvre. Tâche ô combien complexe et qui suppose que les partis et les groupes sociaux s’inclinent à un moment donné devant un principe d’intérêt général, principe qui n’est pas la synthèse ou la juxtaposition des intérêts particuliers mais relève d’un choix politique qui peut brider ou frustrer telle catégorie. Dans cet esprit, la République est un principe de décision.
Cette vision est incompatible avec celle en vogue aujourd’hui à gauche, mais aussi chez certains libéraux, pour qui la République est avant tout un ensemble de principes humanitaires qu’il faut rendre compatibles avec les lois du marché ou avec divers mouvements sociétaux. C’est cette république que j’appelle la « République des bons sentiments ». Laquelle, d’une certaine manière, ne relève plus de l’ordre politique mais de l’incantation morale ou sentimentale. Ainsi nous exhorte-t-on à accepter le fait accompli de l’immigration massive. Pour les libéraux, les affaires économiques et les bons sentiments vont ensemble ; pour Aubry ou Mélenchon, nous avons pour devoir d’accueillir les déshérités. Les desiderata des Français deviennent, dans ce cadre, subsidiaires.
A l’encontre d’un certain discours convenu, notamment chez les hommes politiques, vous distinguez la France et la République. En quoi cette distinction vous semble-t-elle nécessaire et même indispensable ?
Ces deux mots expriment tout simplement des ordres de réalité distincts. La France désigne un ensemble de réalités d’ordre géographique et historique, civilisationnel aussi, et elle peut également désigner une population : les Français. La République désigne des institutions et des valeurs. Ces deux réalités ne se confondent pas ! Vous pouvez être anarchiste ou royaliste et vous sentir Français à votre manière, ou encore vous définir comme républicain avant tout. A gauche notamment, on le voit chez certains militants du Grand Orient de France : les valeurs de la République – liberté, égalité, fraternité –, transcendent le fait d’être ou de ne pas être français. Ces valeurs relèvent de l’universel, lequel prime par principe sur le particulier.
Justement, la polysémie parfois contradictoire de ce mot ne condamne-t-elle pas « la République » à n’exister qu’à travers des « valeurs » indéfinies et finalement introuvables ?
Certes. D’une certaine manière, les Français sont pris aux piège de principes qu’ils ont érigés en dogmes impérissables et qu’ils ne sont même pas en mesure de définir. La notion ronflante de fraternité, notamment, est aussi vague qu’ambiguë. On ne sait pas dans quelle mesure elle est, ou non, impérative, ni à qui elle s’adresse : aux Français ou à l’humanité en général ? De fait, elle relève moins de la politique que de l’invocation humanitaire. Mais, d’une part, cette philanthropie a été démentie par le xxe siècle et ses hécatombes. Et, d’autre part, on peut se demander à quel titre les Français seraient voués à se sentir les « frères » de l’humanité alors qu’ils ont déjà tant de mal à se supporter les uns les autres…
Quand est-ce arrivé durant notre histoire ? En 1793, lors des massacres de Vendée ? En 1871, durant la répression des Communards ? La seule fois où la France a été un tant soit peu fraternelle, c’est durant l’Union sacrée contre l’Allemagne en 1914. C’est que la fraternité, exceptée dans un sens métaphysique ou religieux, suppose un ennemi. On est d’autant plus frères que l’on exclut de cette fraternité celui que l’on combat. Voyez les musulmans salafistes qui n’ont que le mot de fraternité à la bouche.
Pierre Manent propose de refonder la laïcité « à la française » – première des « valeurs républicaines » –, synonyme d’éradication du religieux dans l’espace social. Pour lui, la limiter à la distinction du politique et du religieux permettrait de réaffirmer les racines chrétiennes de notre pays tout en jugulant les exigences d’une partie des musulmans…
Je pense en effet que nous devons assumer nos traditions culturelles chrétiennes – mot que je préfère à celui de racine – et sortir du paritarisme laïciste de la gauche pour qui toutes les religions se valent. Comme si l’on pouvait ignorer que la France a été catholique dans ses profondeurs alors que l’islam est une religion d’importation récente ! Comme si l’on pouvait ignorer tout ce que la France et l’Europe doivent au christianisme en termes d’art et de civilisation !
La gauche, qui a combattu avec tant d’énergie l’église sous la IIIe République, est aujourd’hui désemparée face à un islam qu’elle a concouru à installer durablement en France et qui pourrait devenir son tombeau historique. Il convient cependant de distinguer l’islam politique, notamment salafiste, qui a pour vocation d’islamiser la société et les musulmans en tant qu’individus qui sont dignes de respect. Et les musulmans a-politiques, qui sont la majorité et rejettent aussi bien la burqa que l’idée de communauté séparée, ont évidemment le droit de vivre leur culte tranquillement.
La gauche agonise, dites-vous. Accréditez-vous l’idée selon laquelle la France se droitise ? Pourquoi ?
L’Histoire est ironique et cruelle. La gauche dépérit car elle a perdu à la fois les catégories populaires, qui demandent la sécurité et un contrôle strict de l’immigration, en particulier musulmane, et une intelligentsia qui ne reconnaît plus, dans la France communautarisée et partiellement islamisée d’aujourd’hui, le pays de Voltaire et de Renan. S’ajoute à cela un phénomène plus profond. La France est le seul pays où être de gauche n’est pas une opinion comme une autre mais relève quasiment d’une forme de religiosité et de statut moral et intellectuel. C’est à gauche que se déroule sans cesse des débats sémantiques qui relèvent du fétichisme idéologique.
C’est à gauche qu’ont lieu les psychodrames familiaux comiques entre Hamon et Mélenchon, Montebourg et Aubry… Pour cette gauche-là, la question n’est pas tant de faire régresser le chômage ou de combattre l’islamisme que de savoir si, oui ou non, une mesure est, ou non, de gauche. On l’a encore vu récemment avec le débat erratique sur la déchéance de la nationalité ! De Gaulle méprisait par-dessus tout cet esprit. C’est cette gauche-là qui périclite aujourd’hui et il faut s’en réjouir car c’est l’intérêt de la France.
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