En marge de l’actualité politique internationale, souvent dramatique, qui fait la "une" des media, la "police" de la mondialisation, le combat quotidien de l’OMC et de l’ORD (Organe de Règlement des Différends de l’OMC) contre l’éternelle tentation protectionniste, fait discrètement son bonhomme de chemin, à "décrypter" dans la masse de l’actualité quotidienne de second plan.
En page 7 de son édition du mercredi 1er septembre, La Tribune titrait : "L’OMC autorise Bruxelles à contrer la loi antidumping américaine." Cette seconde condamnation intervient après la condamnation il y a quelques mois de la loi "Foreign Sales Corporation", accordant des exonérations fiscales aux sociétés américaines exportatrices, qui autorisait "en rétorsion" l’application de surtaxes de 4 milliards de dollars aux produits américains (dans le but évident d’incitation au désarmement du protectionnisme américain, et non d’encourager l’escalade du protectionnisme au plan mondial).
La nouvelle condamnation des États-Unis par l’OMC " autorise l’Union européenne et sept autres pays (Brésil, Canada, Chili, Inde, Japon, Corée du Sud et Mexique) à dresser des barrières douanières sur certains produits américains en rétorsion à l’amendement Byrd, une législation anti-dumping jugée illégale par l’OMC en septembre 2002 (!) (1) . Cet amendement permet au gouvernement fédéral de reverser les taxes anti-dumping perçues par les douanes américaines aux entreprises ayant dénoncé des actes de dumping ". On suppose que les candidats à une telle dénonciation n’ont pas dû manquer.
Les mesures protectionnistes ayant de tout temps été adoptées au nom du refus de la concurrence déloyale et plus récemment au nom du refus du "dumping", on ne doutera nullement de la justesse des positions de l’OMC, organisation aussi neutre et impartiale qu’on puisse l’attendre d’une institution humaine, dont toutes les parties prenantes citées auparavant sont membres et qui applique les règles du jeu universellement admises par ses fondateurs.
En quoi la nouvelle est-elle bonne ? Certainement pas parce qu’elle condamnerait les États-Unis en tant que tels (d’ailleurs l’ORD ne juge qu’au cas par cas et l’UE est loin de pouvoir se réjouir systématiquement de ces arbitrages). Mais parce qu’elle démontre que l’OMC est prête à dénoncer le protectionnisme d’où qu’il vienne, même du pays qui a coutume de faire la leçon au reste du monde en cette matière, et singulièrement à l’Europe ; que, par conséquent, l’OMC n’est pas le simple porte-voix de la plus grande des puissances qui ont présidé à sa naissance. Non inféodée, elle se place au-dessus des parties nationales ou régionales, comme on peut l’attendre d’une organisation internationale. L’OMC quant à elle ne confond heureusement pas les mots et les choses et examine objectivement les situations sur lesquelles elle est amenée à se prononcer.
Elle n’est pas non plus le Cheval de Troie d’une mondialisation débridée à condamner indistinctement à la façon de l’altermondialisme. Elle n’est pas a priori favorable au " bloc " des pays les plus riches, mais se pose au contraire en garant d’une mondialisation équitable et ordonnée où les tricheurs ne peuvent pas longtemps avoir gain de cause au détriment des joueurs honnêtes. Pour les chrétiens en quête de justice distributive, l’OMC illustre assez bien, sur le plan international, ce " modèle d’économie libre " à proposer au monde (et au Tiers-Monde en particulier), modèle d’un "système où la liberté dans le domaine économique est encadrée par un contexte juridique ferme qui la met au service de la liberté humaine intégrale"(2), défendue par la doctrine sociale récemment actualisée par Jean-Paul II dans Centesimus annus.
On notera pour s’en réjouir également que, s’il y a matière à s’opposer ici aux États-Unis, c’est par "libéralisme" et au nom du droit de chacun au libre-échange. Il est parfaitement normal en effet d’un point de vue libéral de dénoncer les entraves américaines au libre-échange et d’une manière plus générale le protectionnisme américain, monétaire en particulier (qu’est ce que le dollar flottant sinon un droit de douane variable aux mains du Trésor américain ?). Mais il devient alors contradictoire de s’en prendre au libéralisme américain puisqu’on en déplore la transgression. Il faut choisir en l’espèce entre anti-libéralisme et anti-américanisme. Il est plaisant, sur ce dossier du moins, de souligner que l’Union européenne est en pratique plus libérale que les Etats-Unis et fait par là le " bon choix ", le seul choix "mondialement" (universellement) acceptable.
Meilleure nouvelle encore, après l’échec en septembre 2003 de la conférence de Cancun, salué ici même comme historique et fécond dans la durée (Décryptage du 19 sept. 2003), le libre échange Sud-Sud se développe, en dehors même des négociations commerciales multilatérales (NCM) et de leur agenda dominé par les superpuissances commerciales, via la récente résolution de la CNUCED (3) de relance du " système global de préférences commerciales (SGPC ou désarmement douanier accentué entre PED) " entre les pays en développement (La Tribune du 18 juin 2004). Le monde sous-développé tourne enfin la page de la rhétorique stérile, cesse d’accuser l’Occident de piller le Tiers-monde et de s’apitoyer sur lui-même, pour prendre en main son sort et approcher plus concrètement la question de son développement en profitant mieux de la mondialisation.
Une alliance stratégique se dessine entre une CNUCED (organisation multilatérale partielle, lobby des PED) idéologiquement désintoxiquée et une Organisation mondiale du commerce chargée d’appliquer les règles du jeu d’une économie mondialisée pour le plus grand bénéfice de tous, et en particulier des plus pauvres -- ce dont les chrétiens des pays riches ne peuvent en principe que se réjouir, même si cela passe par le heurt ici ou là de quelques tropismes invétérés liés à de malencontreuses erreurs d’aiguillage idéologique passées.
L’option préférentielle pour les pauvres plaide concrètement, non pour une perfusion budgétaire du Nord vers le Sud, qui entretient la corruption et la mal-gouvernance, mais pour un supplément de libéralisation permettant à plus d’hommes de s’en sortir par eux-mêmes, par le travail et dans la dignité. Le sympathique "commerce équitable" (Décryptage, 14 mai 2004) est d’ailleurs une des formes possibles d’un échange libéré qui se développera dans sa multi-dimensionnalité. Un libre échange des choses qui limitera sans doute d’ailleurs aussi bien des migrations d’hommes…
Nul besoin, face à cette alliance logique et souhaitable dans la perspective d’un bien commun mondial à promouvoir, de se faire trop peur dans les chaumières du " Nord " avec des caricatures de la réalité. Après quarante ans de libéralisation des échanges mondiaux sous la houlette du GATT, on est toujours très loin du libre-échange intégral comme en témoignent les exigences nouvelles des pays du Sud. Ce dont il s’agit n’est donc pas le passage du jour au lendemain, dans une évolution de type Big Bang, d’une situation de barrières (parfois) élevées à l’échange international, à un démantèlement complet de ces barrières. Il s’agit bien plutôt d’orienter les NCM dans le sens d’un reflux accéléré des protections douanières, générales ou sélectives, directes ou indirectes (par les subventions), notamment dans le domaines agricole, en prenant en compte la situation des pays les plus défavorisés. Cela passe sans doute par l’organisation d’un dialogue privilégié OCDE-CNUCED sous l’égide de l’OMC, et dans le cadre des prochaines négociations multilatérales. Il s’agit plutôt d’entamer une lente désintoxication de l’assistanat généralisé et de freiner la subventionite aiguë dans les pays " riches ", au demeurant souvent contre-redistributive, dont certains secteurs économiques sont bénéficiaires et finalement victimes, afin encourager la reconversion vers la qualité, la diversité, la valeur ajoutée et le service, qui seuls permettront d’assurer " l’autofinancement " propre à toute activité économique soutenable.
Notes
(1) Pour être précis, l’ORD permet aux divers plaignants ci-dessus nommés de frapper les produits américains " de droits d’importation additionnels s’élevant jusqu’à 72 % des sommes perçues au titre de l’amendement Byrd " (idem).
(2) Centesimus Annus, 42.
(3) Conférence des Nations unies sur la Coopération et le Développement, composée de pays en développement.
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