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Professeur de SVT dans un collège semi-rural de la région Centre, Mathieu Stévenin raconte son quotidien dans les salles de classe, et notamment sa confrontation aux méthodes des pédagogistes. 

Vous avez écrit un article dans Causeur magazine sur une initiative pédagogique que vous avez prise en fin d’année scolaire. Vous aviez décidé de ne plus suivre les méthodes des pédagogistes et de transmettre des savoirs. Comment avez-vous été amené à faire ce choix ?

On sent bien qu’on perd du temps, qu’on n’arrive pas à finir les programmes et puis que les enfants sont assez lassés du système. A chaque fois que dans un cours j’étais amené à passer en mode « cours magistral », je voyais que les élèves étaient bien plus captivés avec, systématiquement, à chaque fois, beaucoup de questions auxquelles je ne pouvais pas forcément faire face faute de temps. Après, j’ai eu des absences - qui n’ont pas été remplacées - donc j’ai dit « autant en profiter ». Ça n’a pas été une vraie surprise … Si, la réaction de l’élève a été une vraie surprise.

C'est-à-dire ?

Je pense que, paradoxalement, ils ont trouvé plus d’interaction dans un cours magistral où, finalement, ils reçoivent mais aussi ils se posent beaucoup d’interrogations. On est obligé d’être un petit peu hors programme dans ce type de fonctionnement. Pourquoi pas, ça ne me dérange pas du tout. S’ils ressortent à la fin de l’année avec plus que ce qu’on doit leur donner et qu’ils ont ce qu’on doit leur donner, il n’y a pas de problème. En plus, j’utilise un tableau blanc numérique, ils sont captivés et eux comme moi on ne voit pas le temps passer. 

Suivez-vous de nouveau les méthodes pédagogistes ?

Oui. On est surveillé puisqu’on nous demande de renseigner un cahier de texte sur ce qu’on a fait pendant le cours. Le jour de l’inspection, l’inspecteur demande les cahiers de texte. Maintenant, on est même passé sur un mode de fonctionnement de cahier de texte électronique, c'est-à-dire qu’on est sur le serveur de l’établissement et on le renseigne directement en ligne. Ce qui est assez pratique puisque, imaginez que les élèves n’aient pas eu le temps de noter tout le cours à la fin de l’heure, ils peuvent se connecter depuis chez eux pour aller voir. Sauf que cela peut permettre aussi à l’IPR de consulter quand il veut le cahier. Donc, comme je suis un père de famille responsable, je ne vais pas non plus aller me tirer deux balles dans le pied. Mais c’est vrai que cette semaine encore ça m’a énervé. 

Concrètement, ces méthodes appliquées dans les salles de classes, qu’est-ce que ça donne ? 

Il y a deux méthodes phares. D’abord, ça va être la démarche déductive, c'est-à-dire que l’élève va être face à une problématique, il y a tout un travail pour que l’élève se pose cette problématique, ensuite on va lui donner les moyens de construire lui-même l’expérimentation qui va lui permettre de répondre à la problématique, il va mener l’expérimentation –et s’il n’a pas le temps, on va lui donner les documents qui permettent de dire, suite à l’expérimentation, voilà ce qui se passe – et il en tirera une conclusion qui lui permettra d’avoir son cours . Je ne dis pas que ce n’est pas bon mais il ne faut pas que ce soit systématique. Ce n’est pas évident pour les élèves. Ils sont en quatrième, c’est aller un peu vite quand même. Et puis surtout on perd du temps. C’est très bien de faire ça une ou deux fois dans l’année, pourquoi pas. Pareil pour les tâches complexes : on lance la problématique et « maintenant dites moi ce que vous voulez ». Alors ça c’est très sympa. Par contre, ça demande beaucoup de boulot à l’enseignant parce qu’il faut préparer toutes les choses possibles et imaginables en amont. Ça suppose qu’on se soit dit « qu’est ce que l’élève va bien pouvoir me demander ». C’est une heure et demie très sympa. Beaucoup de travail en amont de l’enseignant mais c’est vrai que nous, du coup, on ne fait que distribuer des documents pendant une heure et demie et les élèves peuvent s’éclater. Le projet est ambitieux mais on n’a pas le temps de faire ça.

En plus, il faudrait peut-être voir un petit peu les réalités en face. On a des élèves qui ne savent plus lire, qui ne savent plus écrire surtout. Je pense que pour aborder ces démarches là il faut quand même avoir un certain nombre de connaissances.

D’autre part, on a quand même un certain nombre d’élèves qui sont dans un système profondément inadapté. Des élèves qui ne sont pas scolaires pour un sou, qui ne demandent qu’une seule chose, c’est de pouvoir bosser avec leurs mains : d’être dehors, de bouger.

Et là se pose la question du collège unique …

Je pense que, quand on les orientait en fin de cinquième, c’était pas mal. Après il ne faut peut-être pas exagérer non plus mais c’est vrai qu’en fin de troisième on a des élèves qui sont à bout, qui subissent le cours plus qu’autre chose et on ne peut rien leur proposer. Après il y a tout une problématique des parents mais c’est un autre problème.

Le silence des professeurs face à ces problèmes que vous nous décrivez, c’est de la peur ?  

Non ce n’est pas de la peur. Pour être tout à fait honnête, c’est simplement qu’on a beaucoup de choses à faire qui nous demandent un effort colossal et on n’a pas le temps de se battre contre un truc qui n’a pas de nom et qu’on ne peut même pas identifier. On va dire l’IPR, mais l’IPR il a ses directives. 

Il y a aussi une problématique idéologique. J’ai une collègue que j’aime beaucoup qui va tous les ans à la fête de l’Huma et elle réclame de l’autorité. Ça ne m’étonne finalement pas qu’on le retrouve chez des gens très à gauche. Par contre, les profs un peu plus libéraux, eux, sont vraiment à côté de la plaque. Le constat, on ne peut pas ne pas le faire puisqu’ils le voient au quotidien mais il y a un pas qu’ils n’osent pas franchir. 

Diriez-vous que les directives du ministère brisent votre liberté pédagogique ?

Oui je pense. Et comme le ministère de l’Education nationale est dirigé par des idéologues, de toute manière, je ne pense pas qu’il y ait de remise en question possible.

J’avais un chef d’établissement qui reprochait en conseil de classe à un prof sa moyenne, et moi aussi on m’a demandé de remonter ma moyenne. Si une phrase ne veut rien dire et que je mets zéro, mes moyennes tombent à six. Je suis obligé de fonctionner maintenant en mots clés. On voit le sens qu’a voulu donner l’élève à sa phrase. Si la phrase n’est pas bien construite, je mets quand même les points. J’ai aussi été convoqué par des parents de la FCPE parce qu’ils n’étaient pas contents que j’interroge à l’oral au début de chaque cours les élèves. Ils préféraient que je passe à l’écrit parce que c’est plus égalitaire, parce que des élèves sont embêtés à l’oral.

Propos recueillis par Laurent Ottavi.