école

Professeur de SVT, Mathieu Stévenin décrit l’intrusion des maux de la société au sein de son collège, situé dans une zone semi-rurale. 

Les zones semi-rurales, comme celle où vous enseignez, subissent la précarisation et les fermetures d’usines. Comment le ressentez-vous dans votre établissement ?

On a des enfants d’agriculteurs, on a des enfants d’artisans, on a des enfants d’ouvriers. On a une communauté turque aussi. Mais on n’a pas tous les problèmes qu’on va avoir dans des ZUP par exemple. On n’est pas en ZEP même si je me demande si on ne devrait pas l’être. Non pas qu’on multiplie les incivilités, il n’y a pas tant de problèmes que ça, mais on a une grande misère sociale. Il y a eu une usine qui a fermé il y a plusieurs années de cela et énormément de personnes se sont retrouvées au chômage.

Il n’y a pas une immense pauvreté mais il y a quand même une grande misère et on voit tout de suite le corollaire avec la problématique des parents. C'est-à-dire qu’on a des parents qui, soit sont minés par la dépression, sont devenus alcooliques, ou alors des parents qui bossent dur très loin et, du coup, ils sont épuisés quand ils rentrent et donc pour s’occuper des enfants c’est compliqué. Donc on allume la télé, on les colle devant. Mais, à côté de ça, la plupart des gamins ont la télé dans leur chambre, quand ce n’est pas un ordinateur avec une connexion internet. Du coup, ça crée un climat qui n’est absolument pas propice au travail.

Et donc l’école accueille toute la misère, non pas du monde, mais au moins de son environnement. Pensez-vous que vos élèves ont un manque de repères ?

Non. Ils ont des repères qui sont très clairs. C’est le fric, la célébrité et le sexe. Mais, paradoxalement, il y a zéro passion. C’est impressionnant. C'est-à-dire qu’ils n’ont rien dans leur vie à part regarder la télé, faire du shopping, l’ordinateur, facebook. Quand j’ai un élève qui me dit qu’il fait du bicross ou du skate, je trouve ça génial. Quand j’ai un élève qui me dit qu’il adore la pêche, je trouve ça remarquable. Et c’est une chance pour eux. Ils ne s’en doutent pas.

J’ai une théorie là-dessus : une théorie de mécanique des fluides, c'est-à-dire que vous avez un réseau, vous allez alimenter en eau et la flotte ira systématiquement là où c’est le plus facile de passer. A partir du moment où vous ouvrez en grand la réception de la télé, ce sera beaucoup plus simple d’emmagasiner ça que d’ouvrir un bouquin ou de faire autre chose. On s’aperçoit ainsi que les élèves n’ont plus à fournir d’efforts dans la journée.

On ne peut pas remonter le torrent à contre-courant. Il y a un tel écart entre ce que nous aimerions leur demander en classe et ce qu’ils vivent chez eux, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ?

A cela s’ajoute encore un autre problème : celui de la formation des professeurs, qui laisse à désirer. Pouvez-vous nous raconter votre expérience en IUFM ?

Il y avait deux types de formations. Il y avait une formation générale sur le fonctionnement de l’établissement etc … et après on avait l’IUFM où on apprenait à construire nos cours et le classique dont tout le monde parle : « comment gérer sa première heure de cours » deux semaines après avoir eu sa première heure de cours. On voit difficilement comment ils peuvent faire autrement. Ça sert pour les années qui suivent.

Ça a été compliqué cette année d’IUFM. Je n’ai pas accroché avec ma tutrice de lycée. Ma tutrice de collège était géniale, je lui dois absolument tout -toujours dans cette optique de « l’élève au centre du système » mais elle n’avait pas le choix. C’est surtout un des intervenants de l’IUFM qui m’a énervé parce que c’était le faux cool. A la fin de l’année il nous a fait passer un questionnaire scandaleux, soi-disant anonyme. Il nous questionnait sur ce qu’on pouvait penser de telle orientation sexuelle, de l’immigration. Peut-être quatre, cinq pages de questions. Je ne sais pas si c’était une directive de l’IUFM. Il nous a sorti une excuse, de sondage ou je ne sais quoi, mais c’était scandaleux.

Les années d’IUFM j’en garde simplement une année avec ma tutrice qui m’a appris à gérer une classe. Si elle n’avait pas été là, ça aurait été une catastrophe.

Propos recueillis par Laurent Ottavi.