Voilà, nous y sommes. La société française est sommée de choisir : oui ou non va-t-elle permettre aux homosexuels d’accéder au mariage et au plein exercice de la parentalité ? Que l’on ne s’y trompe pas : que DSK ait voulu court-circuiter Lang ou Fabius dans la course présidentielle, peu importe, là n’est pas l’enjeu.
Les socialistes eux-mêmes ne maîtrisent plus la question, ni le chef de l’État quand il veut " ouvrir le débat " sur l’amélioration du Pacs.
Trois logiques de fond
La revendication homosexuelle est l’aboutissement de trois logiques sociales de fond qui convergent aujourd’hui, rendant le débat inéluctable. Tout d’abord, une logique de la reconnaissance des identités, formulée dans le langage des droits de l’homme. L’individu se construit une identité particulière (corse, catho, gay etc.) ; grâce à la protection juridique qu’il revendique, il cherche à objectiver cette identité en la faisant reconnaître par tout le corps social. Dans le cadre de l’État démocratique, celui-ci est sommé de garantir l’exercice de droits égaux pour tous sous peine d’être accusé d’être un instrument de domination et de discrimination au détriment d’une minorité particulière ; d’où le foisonnement des différentes " phobies " actuelles.
La deuxième logique est celle de la " révolution sexuelle ". La sexualité s’émancipe de tout lien à la procréation. Celle-ci ne devient qu’une option parmi d’autres, offerte à la souveraine liberté d’individus utilisant leur corps comme ils l’entendent. C’est le sexe sans l’enfant (contraception) ou bien l’enfant sans le sexe (PMA).
La troisième logique est celle du discours sociologique : toute institution est le résultat d’une construction sociale et historique, toujours subjective, instrument d’une domination dont la manifestation première mais cachée consiste à classer, ordonner, définir, différencier bref hiérarchiser et discriminer.
Que l’on ne s’y trompe pas, c’est en s’appuyant sur de tels principes que la revendication homosexuelle s’impose désormais comme faisant inéluctablement débat. Ceci est une première victoire, car l’initiative de Noël Mamère — procéder à un mariage gay dans sa mairie de Bègles — et sa récupération par le Parti socialiste a pour but de politiser la question.
Or dès qu’une question devient politique, elle entre dans le processus de la discussion démocratique dont l’objectif est de déterminer des normes communes, des limites. Le plus souvent, le consensus se fait sur des limites qui apparaissent comme contingentes, des conventions négociées. Dès lors, la discussion démocratique est évidemment perméable à tout ce qui invoque une plus grande justice, ici l’extension et l’égalité des droits.
Tout cran d’arrêt sur un tel curseur démocratique apparaît donc immédiatement arbitraire. C’est pour cela que la position actuelle de l’UMP est intenable à moyen terme. Vouloir renforcer le dispositif contre l’homophobie et améliorer le Pacs c’est , de facto, concéder son bien-fondé à la revendication homosexuelle.
En effet, tout refus du " mariage gay " est d’ores et déjà interprété comme le signe d’une homophobie latente et hypocrite. Or la société française, à tort ou à raison, est mue par une exigence de transparence et d’authenticité. L’opposition à l’union homosexuelle légale est donc déjà contre-productive, au seul niveau politique et de la rhétorique.
De plus, il faut être aveugle pour ne pas voir que le terme d’homophobie a pour fonction de neutraliser comme injuste, donc irrecevable dans un État de droit, tout discours et toute disposition tendant à s’appuyer sur une représentation naguère commune, celle que le discours gay officiel stigmatise sous le vocable poétique d’" ordre hétéro-patriarcal ". Objectif : culpabiliser définitivement tous ceux qui pensent que, sans très bien savoir pourquoi, le mariage est un engagement entre un homme et une femme.
C’est bien là le véritable enjeu de ce débat. Oui ou non, la société française va-t-elle rompre avec cet ordre multimillénaire articulant différence des sexes et différence des générations par le mariage ?
La bataille politique des définitions
Didier Eribon est l’un des principaux promoteurs de la cause homosexuelle (Hérésies, essais sur la politique de la sexualité, Fayard 2003). Philosophe, enseignant à l’EHSS, il est toujours très clair dans ses prises de parole. Au journaliste qui lui demande si la revendication du mariage n’est pas conformiste, il avoue sans que celle-ci " est en fait plus subversive que le discours de la subversion. Elle a un effet de déstabilisation de l’ordre familial, sexuel, du genre, beaucoup plus fort que la subversion incantatoire " ("Regards", n°5, mai 2004).
L’objectif principal de cette stratégie de subversion est de réduire l’ordre conjugal à une simple opinion, fut-elle encore majoritaire, et de toute façon injuste parce que discriminatoire. L’évidence commune doit se justifier, sous peine d’apparaître comme un préjugé.
Or par définition, le sens commun ne tire pas sa puissance d’évidence des raisons qu’il peut produire sur lui-même, mais du fait qu’il est la formulation la plus primitive d’un principe de l’ordre humain immanent au mœurs : " Cela va sans dire. " Quand le sens commun devient un préjugé, il bascule dans l’obscurantisme antidémocratique, CQFD. La stratégie d’intimidation est donc efficace mais elle se trahit par son caractère intrinsèquement violent.
De droit, la société démocratique est celle qui s’auto-gouverne en s’auto-limitant ; délimiter, c’est-à-dire définir. La bataille politique des définitions a commencé. L’objet convoité est le sens commun de la société française à l’égard du mariage et de la parentalité : qu’est-ce qu’un homme, une femme, un mariage, des parents ?
Cette bataille peut être l’occasion d’une prise de conscience. Le mariage gay, pierre d’achoppement ?
Thibaud Collin est professeur agrégé de philosophie. (c) Photo Afsp-Luc Pâris
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