La tempête ne semble pas s'apaiser. Chacune des deux affaires est grave par elle-même : la levée de l'excommunication des évêques consacrés par Mgr Lefebvre en 1988 et la tenue de propos négationnistes par un homme d'Église.
Toutes deux sont susceptibles à elles seules de soulever l'émotion. Que l'auteur des seconds soit un des bénéficiaires de la première ne pouvait que faire dégénérer les passions. C'est ce qui est arrivé.
Il est encore trop tôt pour en dresser le bilan ; mais pas impossible de formuler quelques réflexions à partir des réactions enregistrées. Les évêques de France se sont efforcés de distinguer soigneusement les deux affaires, d'éviter d'entrer dans les polémiques et, surtout, d'accueillir le geste de Benoit XVI et de le faire accueillir par leurs ouailles avec autant d'exactitude que possible. Grâces leur en soit rendues, même si l'on peut déceler des nuances assez nettes entre le communiqué très court, voire abrupt, du Conseil permanent des évêques de France et ceux, plus ouverts et positifs de Mgr Ricard ou de Mgr Vingt-Trois.
Une réaction a attiré l'attention, celle de Mgr Hippolyte Simon, vice-président de la Conférence des évêques de France et archevêque de Clermont, en forme de lettre ouverte publiée sous le titre Qui a intérêt à salir la réputation du Pape ? . Non seulement parce qu'elle est plus développée que les autres, mais aussi parce qu'elle pose de bonnes questions. Elle peut nous servir utilement de guide.
1/ Il y a bien eu manipulation
On sait maintenant de façon certaine que Mgr Williamson, s'il est l'auteur incontestable des propos négationnistes, n'est pas l'auteur de la manipulation elle-même, ni lui ni la Fraternité sacerdotale Saint Pie X (FSSPX). Ses propos datent du début du mois de novembre ; ils ont été tenus devant un journaliste suédois venus l'interviewer en Autriche à l'occasion de l'ordination diaconale d'un converti suédois ; ils sont passés totalement inaperçus à ce moment-là, d'une part en raison de l'insignifiance de l'événement qui en a été l'occasion, d'autre part en raison de leur auteur dont tout le monde connaît le caractère incontrôlable et les idées délirantes sur beaucoup de sujets.
C'est en Allemagne que l'affaire est sortie par le biais d'un article de l'hebdomadaire allemand Spiegel, deux mois et demi plus tard, le 22 janvier, c'est-à-dire le lendemain de la signature du décret de levée des excommunications. Cette synchronisation est évidemment délibérée ; elle a donc une signification précise. Dans un pays où la Shoah demeure une question ultra-sensible, où Benoit XVI n'est pas apprécié (le cardinal Ratzinger ne l'était déjà pas quand il était cardinal-archevêque de Munich), où les sanctions prises contre certains théologiens progressistes ont été mal reçues, et où la confrontation avec les protestants n'est pas simple, il est clair que l'affaire a été instrumentalisée pour déstabiliser le Pape et contrer la ligne exigeante qu'il souhaite imprimer à l'Église.
N'oublions pas que c'était déjà en Allemagne, à l'occasion de son dernier voyage, qu'est née la controverse dite de Ratisbonne dont on sait qu'elle résultait d'une déformation des propos qu'il avait alors tenus [1].
Ce constat ne diminue aucunement le caractère inacceptable et scandaleux des propos de Mgr Williamson ; mais il permet de comprendre où se situe l'enjeu du scandale organisé.
2/ Une démarche non politique
Il ne faut pas avoir une vision dialectique du gouvernement de l'Église. S'il est vrai que la levée des deux préalables que constituaient l'autorisation de la forme extraordinaire du rite latin et la levée des excommunications met les intégristes au pied du mur, le Pape ne l'a certainement pas fait dans ce but, parce que sa démarche n'est pas politique. Il l'a dit à plusieurs reprises, ses motifs sont beaucoup plus importants et profonds.
Le premier tient à sa conviction, ancienne et fondée, qu'il y a eu une violence injuste dans la façon dont la réforme liturgique a été concrètement appliquée et la forme extraordinaire du rite latin interdite de fait. Quant à sa réhabilitation, je n'aurai pas la cruauté de renvoyer certains de ses adversaires à leurs déclarations antérieures sur ce sujet : beaucoup voyaient dans la coexistence des deux formes un biritualisme inacceptable auquel ils se sont vivement opposés. Pour Benoit XVI qui a su rappeler la filiation naturelle de l'une à l'autre et leur identité fondamentale, il fallait réparer cette violence pour permettre aux adeptes des deux formes non plus de diverger conflictuellement mais de converger pacifiquement.
Le second s'est fondé sur l'acte objectif de repentir (repentir commençant et incomplet, mais réel) exprimé officiellement pour la première fois par le supérieur de la FSSPX, auquel le Pape n'avait pas le droit de ne pas répondre en tant que père miséricordieux . Il l'a fait par la levée des excommunications. Cela dit, il faut l'entendre de façon exacte : la secrétairerie d'État l'a clairement rappelé dans la note de mise au point qu'elle a publiée le 5 février (procédure tout à fait exceptionnelle !) : le décret du 21 janvier les libère d'une sanction canonique ; cela ne change rien à la situation juridique de la FSSPX qui ne jouit d'aucune reconnaissance canonique au sein de l'Église catholique. Quoique libérés de l'excommunication, ces quatre évêques n'exercent pas de fonction canonique dans l'Église et leur ministère est illicite .
3/ Y a-t-il eu une faute de communication ?
Le reproche est facile, mais... La secrétairerie d'État a confirmé ce dont on se doutait : le Pape ignorait les propos de Mgr Williamson au moment de la levée de son excommunication. Qui peut d'ailleurs imaginer que le Vatican scrute en permanence la moindre déclaration de chacun des 4 000 évêques de l'Église catholique, a fortiori celle d'un dissident à l'occasion d'un événement passé ? Le phantasme des services secrets du Vatican sachant tout à travers le monde a la vie dure.
Quel démiurge aurait pu parer un tel guet-apens et gérer sa communication de façon à le désamorcer ? Objectivement aucun. On se gardera donc de faire la leçon à Rome. J'ai noté la colère du responsable de la salle de presse du Vatican qui s'est emporté contre les manques d'information dont il a souffert de la part des services de la Curie au cours de ces derniers jours ; ces services sont faits d'hommes qui ont les défauts de tous les hommes. Quiconque a dû gérer une communication de crise, sait bien que c'est toujours ainsi que cela se passe !...
Au demeurant, on ne rappellera jamais assez que la communication de l'Église est d'abord une affaire de communion et qu'il lui est essentiel de ne pas céder à la tyrannie du médiatique : Le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit.
Derrière ce reproche s'en cache en réalité un autre. Si Rome n'a pas averti les évêques auparavant, c'est aussi pour une raison que tout le monde connaît : pour éviter précisément des tentatives de blocages, dont le Saint-Siège a de trop malheureuses et nombreuses expériences. Le cas récent du motu proprio Summum pontificum de 2007 n'a pas été oubliée : les évêques français, informés avant sa parution et, pour certains, consultés, ont fait des pieds et des mains pour l'empêcher. Même observation à propos de l'érection de l'Institut du Bon Pasteur à l'automne 2007 dans le diocèse de Bordeaux. En arrière-plan, se dévoile une revendication non avouée des Églises locales : celle d'avoir le pied sur le frein.
4/ Quelle priorité à présent ?
La nécessité de régler en priorité le débat théologique et d'obtenir des intégristes des assurances claires et complètes avant d'aller plus loin, est un argument qui laisse perplexe. D'ailleurs, certains intégristes formulent la même exigence, vue de leur côté évidemment. Pourquoi ? Parce que les opposants au rapprochement des deux bords s'accordent sur un point : c'est le meilleur moyen de s'affronter et de fermer toutes les issues, en faisant en sorte que chacun campe sur des positions doctrinaires exprimées de façon inconciliable.
S'il est néanmoins un effet visible du scandale, ce sera sans doute un durcissement des positions sur ce point, afin d'éviter tout malentendu ultérieur. C'est ce que semble dire avec assez de clarté la secrétairerie d'État dans sa mise au point : La condition indispensable à une reconnaissance de la FSSPX est l'adhésion au concile Vatican II, ainsi qu'au magistère de Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et Benoit XVI. En ce sens, les auteurs de la manipulation ont réussi leur coup.
Toutefois, dans la phrase suivante, la secrétairerie d'Etat précise que le Saint-Siège ne manquera pas, selon les modalités retenues opportunes, d'approfondir avec les intéressés les questions demeurant ouvertes, de manière à trouver une solution complète et satisfaisante des raisons d'une fracture aussi douloureuse .
La démarche adoptée par Benoît XVI est en effet celle d'une approche la moins conflictuelle possible afin de donner toutes ses chances à la bonne volonté. Démarche qui a montré son efficacité à l'occasion de l'érection de l'Institut du Bon Pasteur à l'automne 2007 : dès lors que la soumission au Saint-Père et à l'Église est clairement déclarée, qu'est accepté le principe du retour dans la communion avec la discipline qui doit l'accompagner, y compris dans la façon de s'exprimer à l'endroit du pape et des évêques, et que se manifeste concrètement une volonté sincère de recourir au dialogue pour discuter, et si possible régler, les points de divergences, fussent-ils graves, alors on peut passer à la question du statut canonique sans attendre que tout soit réglé.
Quels sont en effet les points-clés qui constituent des préalables pour l'Église ? Ils sont au nombre de quatre, correspondant aux quatre grandes parties du Catéchisme : la foi dont le cœur s'exprime dans le credo ; les sacrements, c'est-à-dire la réception du salut et de la grâce divine ; les principes de la morale résumés dans le Décalogue, et la prière de l'homme se tournant vers son Père avec le Notre Père.
Qui peut être tenu hors de l'Église s'il souscrit à ces quatre piliers ?
Ensuite, viennent les aspects théologiques et ecclésiologiques en jeu, indéniablement sérieux, mais dont certains peuvent demeurer controversés sans mettre en péril l'unité : on l'a vu à l'occasion des discussions conduites avec d'autres théologiens très opposés à Rome mais pas pour autant tenus en dehors de la communion. Le dialogue sur ces questions peut demander du temps ; il ne saurait se conduire sur les estrades et sous la pression. Son succès nécessite un apaisement des esprits.
Apaisement ? Il monta dans la barque, suivi de ses disciples. Et voici qu'une grande agitation se fit dans la mer, au point que la barque était couverte par les vagues. Lui cependant dormait. S'étant approchés, ils Le réveillèrent en disant : "Au secours, Seigneur, nous périssons !" Il leur dit : "Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ?" Alors, s'étant levé, Il menaça les vents et la mer, et il se fit un grand calme. Saisis d'étonnement, les hommes se dirent alors : "Quel est Celui-ci, que même les vents et la mer Lui obéissent ?" (Mt VIII, 23-27).
[1] Ratisbonne : bref décryptage de la manipulation, Décryptage, 18 septembre 2006.
- Voir aussi la note de la Secrétairerie d'Etat à propos de la levée des excommunications
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