L'année scoute 2003 commence dans l'émotion sucitée par les nouvelles réglementations qui vont désormais encadrer nos activités. Ce sujet capture actuellement toute notre attention.

Pour peu qu'on s'intéresse un tant soit peu aux faits de société, ou simplement que l'on soit attentif à ce qui se passe dans l'environnement social, il n'est pas possible d'ignorer que le poids des réglementations pèse de plus en plus lourd.

Non pas que les règlements se " durcissent ", le terme serait trop fort et inapproprié, mais ils se multiplient à l'envi pour couvrir tout le champ de nos activités quotidiennes dans ses moindres détails. Chez nous, on n'interdit pas : on entrave.

Le scoutisme n'a pas échappé à ce phénomène administratif. On a commencé, pour simplifier la grille de lecture, par le faire disparaître nominativement des textes au prétexte que le mot " scout " n'était pas juridiquement recevable. Après un siècle d'existence, il était grand temps de s'en apercevoir. Donc, exit cette encombrante anomalie qui était protégée par feu le précieux " arrêté de 98 " (arrêté ministériel encadrant l'organisation et le fonctionnement des associations agréées de scoutisme)... dont on nous assure, a posteriori d'ailleurs, qu'il était illégal. Nous ne répondons plus désormais qu'aux doux et poétiques vocables de " CLSH " et " CVL " qui désignent respectivement les Centre de Vacances Sans Hébergement et les Centres de Vacances et de Loisirs.

Cette nouvelle donne administrative a trois conséquences fâcheuses :

- La première est qu'on peut craindre, en enlevant le nom, d'oublier la chose.

- La seconde est que nous ne sommes pas un centre de loisirs et de vacances, mais un mouvement d'éducation plus proche dans ses buts de l'école que d'un parc d'attractions. Notre pédagogie nécessite des conditions très spécifiques. Nous retirer cette possibilité d'assumer notre spécificité, c'est nous retirer notre raison d'être.

- La troisième est que l'inflation réglementaire, parfaitement inutile, va demander une dépense d'énergie qui sera perdue pour notre mission éducative et désamorcera les bonnes volontés de nos jeunes chefs.

Il faut profiter de l'occasion pour faire comprendre au plus grand nombre que le problème scout peut être posé comme une illustration, parmi d'autres, d'un fait de société beaucoup plus général auquel il conviendrait que d'aucuns réfléchissent au-delà des limites du petit monde scouto-scout.

 

Si nous sommes tous, et dans bien des domaines, plus ou moins victimes d'un encadrement administratif tatillon, c'est parce que la société (c'est-à-dire en fait, nous) le réclame. Notre génération " sécu-parapluie " rêve de risque zéro et de quiétude absolue. Et si d'aventure ça marche de travers, il faut vite exorciser le mauvais exemple qui rappelle cruellement que la fatalité existe et que le système reste faillible. Pour se rassurer, on débusque donc en urgence des responsables.

 

Cet état de fait ne résulte pas, à mon sens, d'une mauvaise volonté " politique ". Pour cela, il faudrait que ceux qui détiennent les pouvoirs gouvernent le corps social. Or tout montre qu'ils ne font que le gérer. C'est-à-dire qu'ils obéissent à ses attentes et se donnent les moyens d'établir l'ordre nécessaire pour les satisfaire. En l'occurrence, pour satisfaire cette exigence sécuritaire de la société que nous formons, on réglemente. Qu'importe pour beaucoup, en effet, le carcan réglementaire, dès lors que sont assurés le pain et les jeux du cirque.

 

Quelque part, cependant, il doit y avoir un petit sentiment de mal-être qui flotte. Derrière les barreaux qui le rassurent et soi-disant le protègent, le citoyen se demande obscurément s'il est le visiteur du zoo ou le singe qu'on vient regarder. Alors il se rassure en faisant du bruit : il parle. Et dans le discours officiel ou privé, souffle le grand vent d'une liberté généreuse... mais théorique et vouée aux entraves.

 

Au bout du compte se met en place une société schizophrène, où par exemple on exalte les jeunes à la prise de responsabilités alors que dans le même temps, le gouvernement, sans autre état d'âme, durcit les contraintes administratives qui freinent et alourdissent leurs initiatives.

 

Que faire devant cette situation qui nous inquiète et surtout, ce qui est plus grave, déroute nos jeunes ? Changer la société ou lutter contre elle ? Ce n'est pas notre mission. Nous n'en avons pas les moyens et ce n'est pas souhaitable. En effet, il ne faut pas trop noircir le tableau : malgré ses défauts, notre société démocratique et civilisée a quand même de bons côtés.

Si nous n'avons pas à proposer à nos jeunes des modèles de société, nous avons en revanche la responsabilité de les éduquer. À nous de savoir en faire des hommes et des femmes de courage, de fidélité et de lumière. Si nous réussissons cela, alors nous pouvons espérer que succède à notre frileuse et tristounette génération " sécu-parapluie " une joyeuse génération " sagesse-courage " qui saura mettre en place une société plus noblement humaine.

 

Or notre scoutisme est une École qui, par un jeu joyeux et magique, permet de réaliser cette éducation. N'en déplaise à quelques penseurs sceptiques et autres philosophes rassis, ce jeu est toujours efficace et la méthode éducative originelle, celle imaginée et mise au point par Baden Powell, est toujours pertinente. C'est pourquoi nous défendrons bec et ongles notre scoutisme pour qu'il garde son droit de cité, son authenticité, son indépendance. Nos jeunes ne nous pardonneraient, du moins je l‘espère, aucune compromission sur ce point.

 

Qu'on nous laisse donc un peu en paix pour faire avancer nos projets.

Pierre Lonchampt est commissaire général scout de la Fédération du Scoutisme européen (FSE).

Cet article est extrait du bulletin mensuel d'information des Guides et Scouts d'Europe. Reproduit avec l'aimable autorisation des Guides et Scouts d'Europe. Texte intégral sur www.scouts-europe.

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