En publiant l’encyclique Laudato si’, le pape François a-t-il écrit une encyclique sur l’écologie ? A-t-il manifesté un engagement d’écologiste ? Je préférerais dire qu’il a fait œuvre d’écologue. J’ose même dire qu’il a fondé (peut-être sans le vouloir) l’écologie vraiment scientifique, au sens de ce que sera la science dans l’avenir, une fois que son caractère de « technoscience » aura été intégré dans un nouveau modèle de savoir, à la fois plus large et plus précis – et dont l’application compte moins d’effets mortifères.
Il n’y a pas de science sans la puissance du concept. Les plus anciens exemples en sont sans doute le concept d’attraction universelle, ou le principe d’inertie. Par ces concepts surpuissants, notre esprit saisit et imagine à la fois l’essentiel structurant qui définit l’un de ses objets. Une fois acquise la définition de base vraiment conceptuelle et féconde, et la méthode de son emploi, l’esprit cesse de tâtonner sans résultat, il vole de vérité en vérité avec aisance et certitude.
La science de la maison et de la famille
Quelle est donc cette définition si féconde ? Tout simplement, rejoignant ici la sagesse du langage, l’encyclique nous dit que l’écologie est d’abord la science (logos) de la maison (oikos, oikia) et de la famille (oikos, oikia). Cette maison est celle de la famille humaine. La terre est (pour l’instant ?) l’unique maison que possède cette famille. L’écologie est la science de la planète terre considérée comme la maison de cette famille.
Mais cette famille fait elle-même partie d’une famille plus large, qui est la famille de tous les êtres, qui est en même temps maison universelle – famille-maison de toutes les créatures, construite et rassemblée autour du Créateur, qui est le Père commun à tous, le Père de la famille universelle, qui inclut toutes les espèces, animales, végétales, minérales. Tous lui ressemblent, soit plus, soit moins, et donc tous ont entre eux un air de famille. « Toutes les créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres » (n. 42). Cela s’appelle, en philosophie, la participation ou l’analogie universelle, ou encore l’analogie de l’être.
Chaque être a sa famille et aussi sa maison. C’est pourquoi, plus généralement, « l’écologie étudie les relations entre les organismes vivants et l’environnement où ceux-ci se développent » (n. 138). Elle est l’étude de la « maison » de chaque organisme, de chaque espèce. Et comme nous vivons tous dans l’ensemble que nous formons ensemble, chacun est à la fois maison pour les autres et cousin membre de la famille universelle. Tel semble être, d’un point de vue philosophique, le sens le plus profond de la référence à saint François d’Assise.
Un lieu de solidarité
Tous les êtres sont les uns pour les autres à la fois des cousins, plus ou moins éloignés, et des pierres de sa maison, des aides, des aliments ou des remèdes pour son corps. Cette maison est une famille et une famille de familles. La nature n’est pas qu’un lieu de concurrence, mais d’abord un lieu de solidarité, où tout est lié à tout et dépend de tout pour être et être bien. « L’interdépendance des créatures est voulue par Dieu. Le soleil et la lune, le cèdre et la petite fleur, l’aigle et le moineau : le spectacle de leurs innombrables diversités et inégalités signifie qu’aucune des créatures ne se suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en dépendance les unes des autres, pour se compléter mutuellement, au service les unes des autres » (n. 86).
L’Homme est dans la maison la seule famille qui sait, ou qui pourrait savoir que nous vivons tous en famille dans l’Être. Il est pour ainsi dire l’adulte responsable, ou le grand frère, au milieu de ses tout jeunes frères et sœurs qui ne savent pas parler.
C’est pour cela que cette maison est aussi comme la sœur de l’Homme, et, en un sens, sa mère.
Celui qui hausse ici les épaules devrait comprendre qu’il le fait par soumission à un idéal scientifique en partie dépassé. Ce sentiment « franciscain » n’est pas un « romantisme irrationnel » (n. 11) et « un obstacle à dépasser » (n. 54). Il n’est que l’épanouissement affectif d’une conception vraie, qui ne fait plus violence à l’Homme. Il porte aussi en germe des modes d’action raisonnables et sages, qui ne font plus violence à la nature, à notre maison. La science est-elle raisonnable, si la technique qui en sort, faute de prendre en considération d’autres régimes de connaissance et de vérité, et faute de renoncer à une pratique toute de consommation, de domination et de propriété, détruit l’Homme et toute vie avec lui ?
Humanisme intégral
On ne peut étudier la famille sans la maison, ni la maison sans la famille. L’écologie ne peut être environnementale seulement. Elle doit aussi être sociale, économique, politique et culturelle : une écologie intégrale (chapitre 4). Ce terme fait sans doute pendant à la notion d’« humanisme intégral ». L’encyclique manifeste clairement comment c’est l’« humanisme anthropocentrique », ou si l’on préfère, exclusif, qui est la racine de la crise écologique, autrement dit, du délabrement croissant de la maison commune (chapitre 3). L’écologisme intégral est un humanisme intégral et un humanisme intégral est un écologisme intégral.
L’Homme est né dans cette maison, et il en fait vraiment partie, pourtant ce n’est pas elle qui l’a engendré en totalité.
"« Bien que l’être humain suppose aussi des processus évolutifs, il implique une nouveauté qui n’est pas complètement explicable par l’évolution d’autres systèmes ouverts. [...] La capacité de réflexion, l’argumentation, la créativité, l’interprétation, l’élaboration artistique, et d’autres capacités inédites, montrent une singularité qui transcende le domaine physique et biologique. La nouveauté qualitative qui implique le surgissement d’un être personnel dans l’univers matériel suppose une action directe de Dieu [...] » (n. 81).
"
Si l’Homme fait partie de la maison commune qu’est la nature, s’il est tout formé de sa matière et de son humus, et si cependant, il vient d’ailleurs, il en résulte cette conclusion évidente, mais surprenante, que la nature est naturellement liée à cet ailleurs d’où vient en elle l’Homme, cet être qui vient d’ailleurs. Il y a donc un mystère de la nature, de la physis.
La révélation de ce mystère, c’est la bonne nouvelle (= l’Évangile) de la création (chapitre 2).
La crise écologique
Mais l’Homme se conduit étrangement. Il ne sauvegarde pas la maison commune. Il manque de douceur envers le reste de la famille. Il se moque du Père. Et la maison craque, la maison menace ruine — elle menace de lui tomber sur la tête. C’est la crise écologique (chapitre 1).
"« Cette sœur, écrit François, crie en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. La violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants. »
"
L’encyclique reste prudente. « Dans certaines discussions sur des questions liées à l’environnement, il est difficile de parvenir à un consensus. Encore une fois je répète que l’Église n’a pas la prétention de juger des questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais j’invite à un débat honnête et transparent, pour que les besoins particuliers ou les idéologies n’affectent pas le bien commun » (n. 188).
La condition de sauvegarde de la maison et de la famille, c’est la sagesse, la spiritualité, la bonne éducation (chapitre 6). Elle inspire la politique et l’économie d’un monde nouveau (chapitre 5), qui est le seul qui puisse avoir un avenir.
(A suivre.)
Henri Hude est philosophe, ancien élève de l’ENS, directeur du Pôle Éthique des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Sur ce sujet, lire l'Ethique des décideurs (Économica, 2004).
Pour aller plus loin :
Laudato si', le texte intégral (pdf)
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