Le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) paraît cette année début juillet, avec un retard de quelques semaines sur son habituelle publication en juin. Les résultats 2011 avaient déjà été fournis le mois dernier dans une note du Secrétariat général de la CCSS ; en revanche les prévisions 2012, pour n’être pas périmées au moment même de leur publication, devaient tenir compte des mesures gouvernementales les plus récentes, et de la récente révision à la baisse des prévisions de croissance faites par l’INSEE pour 2012 : telle est la raison de ce petit retard.
Ce rapport ne concerne que le régime général, y compris le Fonds de solidarité vieillesse (FFSV), élément important puisque le jeu des vases communicants permet au Gouvernement de faire porter à ce fonds une part plus ou moins importante du déficit, selon comme cela l’arrange. Pour 2011, il s’agit de 3,5 milliards d’euros sur un déficit total de 20,9 milliards.
La protection sociale, une femme voilée
Il faut en avoir conscience : ces 21 milliards ne représentent qu’une partie du déficit 2011 de notre système de protection sociale. La retraite des fonctionnaires de l’État, à elle seule, ajoute une quinzaine de milliards, difficiles à isoler au sein du déficit de l’État. L’ARRCO est dans le rouge à hauteur de 2 milliards. Les régimes spéciaux (SNCF, RATP, Mines, etc.) ont un déficit, comblé par le Trésor public, d’environ 7 milliards. Quant à l’Assurance chômage, elle affiche pour 2011 un déficit de 2,5 milliards, qui devrait s’accroître en 2012 et 2013. Le déficit du régime général représente ainsi moins de la moitié du problème de la protection sociale.
Ce problème, la CCSS en donne un aperçu plus complet (mais pas totalement : il y manque notamment l’UNEDIC) dans les comptes qu’elle livre généralement en septembre. L’émiettement institutionnel de notre protection sociale constitue un véritable casse-tête pour ceux qui ont mission de donner une vision globale de sa situation financière. Les transferts que les pouvoirs publics effectuent de façon discrétionnaire et désordonnée d’une institution à une autre, pour des raisons d’opportunité politicienne, achèvent de brouiller les cartes et de diluer les responsabilités : le résultat d’une institution donnée dépend dans une large mesure de la façon dont elle bénéficie de transferts en provenance d’autres institutions, et dont elle réussit à éviter d’être elle-même victime de tels transferts.
Le déficit de la branche famille, artifice pour voiler celui des retraites
Par exemple, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) affiche un déficit de 2,6 milliards pour l’année 2011, après 0,3 milliard en 2008, 1,8 en 2009 et 2,7 en 2010. On pourrait croire que cette évolution reflète une générosité accrue de notre système de prestations familiales. Il n’en est rien. En fait, le déficit provient de la ponction effectuée sur la branche famille au profit de la branche vieillesse. Les majorations familiales de pension ont en effet progressivement été mises à la charge de la CNAF, qui n’en peut mais.
En 2010, l’augmentation de 2,9 % des charges de cette caisse ne provient des prestations familiales qu’à hauteur de 1,6 point de pourcentage ; le transfert au FSV (qui ensuite fait passer l’argent à la branche vieillesse) explique, lui, 1,4 point : presque autant. En 2011, il représente davantage : 1,6 % pour le transfert au FSV contre 1 % pour les prestations familiales. En 2012, les majorations de pension ayant achevé d’être mises à la charge de la branche famille, ce poste ne devrait plus représenter que 0,1 point dans le pourcentage d’augmentation des dépenses. Conclusion : ces comptes ne permettent pas de savoir quelle est la participation de la branche famille à l’effort de réduction du déficit de la sécurité sociale, sauf à se plonger dans des détails qui ne figurent évidemment pas dans les synthèses fournies aux journalistes. Les citoyens qui ne disposent pas du temps et des connaissances requises pour aller éplucher, et cela année après année, les comptes de la sécurité sociale, ne voient que les apparences, ce que les pouvoirs publics ont décidé de faire croire. Quand on soulève le voile, la CNAF apparaît nettement plus fraîche, et la CNAV plus décrépie – mais combien de citoyens ont-ils ainsi accès à la réalité [1] ?
Et les départements ?
Pour prendre la mesure des difficultés rencontrées pour y voir clair dans le fonctionnement de notre protection sociale, il faut se rappeler que chaque département est en quelque sorte une Caisse d’action sociale. Au total ces collectivités dépensent à ce titre 29 milliards d’euros soit, en moyenne nationale, 472 € par habitant. La dépendance (Allocation personnalisée d’autonomie) et le RMI puis le RSA sont de leur ressort, ainsi que l’aide sociale à l’enfance et de nombreuses actions en faveur des personnes âgées.
La création d’une Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ne contribue certes pas à clarifier les choses : cet organisme pompe en effet dans les caisses de l’assurance maladie une partie de l’argent qui sera versé in fine par les départements, au titre de l’APA, aux organismes médico-sociaux accueillant les personnes âgées dépendantes. De même la gestion du RSA par les Caisses d’allocations familiales pour le compte des départements donne-t-elle lieu à des complications, qui vont d’ailleurs bien au-delà de la présentation des comptes !
À quand un système d’information clair et efficace ?
Pour gérer un budget nettement supérieur à celui de l’État, pour piloter un ensemble d’institutions qui dépensent en prestations et en fonctionnement plus de 30 % du PIB, le système d’information dont disposent les autorités est manifestement insuffisant. Quant à l’information claire et compréhensible que les pouvoirs publics d’un pays démocratique doivent aux citoyens, n’en parlons pas !
Les rapports successifs de la CCSS le montrent bien : on ne fera pas la vérité dans ce domaine névralgique sans effectuer d’importantes réformes institutionnelles. Mais des textes et des décisions administratives n’y suffiront pas : il y faut un esprit de vérité. Les Chrétiens ont en la matière une responsabilité importante. Insuffler le désir de la vérité, n’est-ce pas qu’est venu faire sur cette terre Celui qui a dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie » ?
Jacques Bichot est professeur émérite à l’université Lyon 3 et vice-président de l’association des économistes catholiques.
Photo : Immeuble de la Sécurité Sociale à Rennes © Wikimedia Commons
[1] Le rapport de la CCSS (p. 204) mentionne honnêtement la «baisse du nombre des bénéficiaires et l’économie générée par l’unification des majorations d’âge des allocations familiales » en 2011 ; il rappelle pour 2012 « les mesures de sous-indexation et de report au 1er avril de la revalorisation des prestations ». Mais qui (hormis quelques dizaines de spécialistes, dont votre serviteur) va fouiner dans les rapports pour en extraire des fragments susceptibles d’être recollés à grand-peine pour donner un panorama plus exact que celui que présentent les synthèses officielles ?
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