Benoît XVI croyait-il si bien dire ? C'était à l'université de Ratisbonne, le 12 septembre, devant un prestigieux parterre d'universitaires représentant le monde intellectuel. Le pape évoque l'union entre foi et raison, et l'enjeu de cette perspective pour la paix entre les civilisations.
Ce thème est cher au théologien. Dans son discours, le Saint-Père approfondit sa pensée, la précise, et use d'une controverse historique entre christianisme et islam pour expliquer en quoi la démarche de la raison est consubstantielle à la foi catholique, ce qu'une religion comme l'islam ne peut revendiquer. Pour les chrétiens, "ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu", là où "pour la doctrine musulmane, la volonté de Dieu n'est liée à aucune catégorie humaine, pas même celle de la raison". D'où la plus grande vulnérabilité de cette dernière à la violence.
À peine achevée, la démonstration provoque un tollé d'une violence inouïe dans le monde musulman. Mais la réaction confirme comme par réflexe l'irrationalité dominante qui inquiète le chef de l'Église catholique.
S'il fallait une preuve de plus pour appuyer le discours du pape, ce sont donc des musulmans eux-mêmes qui la fournissent. Le directeur du département des affaires religieuses du gouvernement turc, Ali Bardakoglu, s'en prend à la "haine" du pape, et à son projet de voyage dans on pays : "Il n'y a aucun intérêt pour le monde musulman de la visite en Turquie d'une personne ayant de telles convictions pour l'islam et son prophète". Les plus modérés en rajoutent, comme s'ils étaient sous contrôle : le président du Conseil français du culte musulman, Dalil Boubakeur, exige des "clarifications" !
Mais la complaisance avec laquelle la presse occidentale relaie cette indignation, sans prendre le soin d'expliquer ou de critiquer l'argumentaire pontifical, prouve aussi que l'irrationalité est bien partagée, et que les pathologies de la religion et de la raison sont bien les deux grands défis que l'Église catholique doit relever aujourd'hui.
Le pape contre la déraison
L'idée n'a rien de nouveau dans la pensée de Joseph Ratzinger. À l'occasion du soixantième anniversaire du Débarquement allié en Normandie, le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi avait prononcé une conférence dans l'abbatiale Saint-Étienne de Caen, où il s'était interrogé sur les conditions de la paix dans un monde troublé par la collusion entre l'Occident et l'islam : "L'un et l'autre sont des mondes polymorphes [...] en interaction mutuelle. Dans cette mesure, il est faux d'opposer globalement l'Occident et l'islam." Autrement dit, ils seraient plutôt l'un et l'autre complices et victimes de dérives humaines vieilles comme le monde, mais dont l'exacerbation trouverait une sorte d'aboutissement paroxystique alarmant :
"Il existe des pathologies de la religion — nous le voyons, et il existe des pathologies de la raison — et cela aussi nous le voyons ; et les deux pathologies constituent des dangers mortels pour la paix, et je dirais même, à l'époque de nos structures globales de puissance, pour l'humanité dans son ensemble."
La pathologie de la religion transforme l'absolu de Dieu en puissance absolue d'intérêts particuliers (la communauté ou l'individu), qui ne peuvent s'aliéner en se soumettant à un droit et une morale extérieurs. Mais il y a aussi une pathologie de la raison qui, en se coupant de Dieu, se saisit de l'homme comme une autoconstruction, un "produit" qui peut se faire ou se défaire sans autres limites que celles que la raison veut bien s'accorder, subjectivement.
Les deux pathologies se retrouvent dans la même catégorie : le refus des limites de la raison objective, qui conduit au désespoir de la déconstruction (Derrida) et de la violence terroriste.
Que ce diagnostic sévère dérange, on peut le comprendre. Y voir une agression témoigne d'une rare cécité. On devrait plutôt y entendre un appel à la raison de l'Occident pour qu'elle "fonctionne intégralement", non seulement dans le développement technique et matériel du monde, mais aussi et avant tout en tant que faculté de vérité et d'ouverture au sacré, à la sainteté. Et un appel au monde musulman pour qu'il coopère à la recherche des sources communes de la morale et du droit.
On a pu l'écrire ici : ce ne sont pas la laïcité et la mini-jupe qui éteindront la violence religieuse. En se réappropriant ses racines religieuses, l'Europe n'évitera peut-être pas les tensions, mais elle servira davantage la cause de la paix en œuvrant à la réconciliation de la raison et de la foi. C'est le message de Benoît XVI.
La réaction de Mgr Vingt-Trois, archevêque de Paris
"Déduire de là que le propos du pape était de porter un jugement sur l'islam, c'est réduire l'intérêt des débats universitaires et la liberté d'expression caractéristique de l'université en quelque chose qui ne va pas très loin".
"Il s'agissait d'une séance académique d'université à Ratisbonne et d'une réflexion assez méthodique sur un point qui marque évidemment très profondément l'évolution de la situation de la foi chrétienne dans le monde d'aujourd'hui, qui est le rapport entre la foi et la raison".
"Comme on le sait en Occident, ce débat a plusieurs décennies d'ancienneté pour ne pas dire plusieurs siècles".
"Tout l'effort du Concile d'abord, puis de Jean Paul II, puis maintenant de Benoît XVI est d'aider précisément à comprendre qu'il ne peut y avoir de foi chrétienne authentique sans une assise de l'intelligence qui se traduit par une production culturelle et une relation à la culture".
(Déclaration, Radio Notre-Dame, vendredi 15 septembre)
Pour en savoir plus :
■ Le texte intégral du Discours de Benoît XVI à Ratisbonne
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