Tout le monde attend qu'une catastrophe de première magnitude frappe la Grèce à l'annonce de son défaut ou de sa sortie de l'euro. Cette opération pourrait lui apporter au contraire le salut.
Sans doute le choc sera rude. La sortie de l'euro signifiera pour elle une dévaluation d'environ 50 % et donc un doublement des prix des produits importés, soit la plupart de produits de première nécessité.
Il est inutile de chercher à savoir si ce réajustement constitue un bien ou un mal car, pour douloureux qu'il soit, il est inévitable. Il devait se produire un jour ou l'autre et attendre le rendrait encore plus cruel. Il ne s'agit au demeurant que d'une opération de clarification, d'un retour à la vérité des prix, d'un retour sur terre. La Grèce cessera de vivre au-dessus de ses moyens, c'est tout.
Certes, l'opération sera douloureuse pour un pays qui a déjà perdu 35 % du PIB. Mais elle a sa contrepartie : les coûts de production grecs, à commencer par ceux des hôtels de tourisme, seront diminués de 50 %. Le temps pour que les agents encore en mesure de produire tirent pleinement parti de cet avantage comparatif considérable, estime-t-on au vu des nombreuses expériences analogues qui se sont produites au cours du XXe siècle, est de six mois. Et alors les choses repartent très vite, généralement au-delà des espérances.
Retour de l'espoir
On dira que tant qu'à accepter des sacrifices, la Grèce pourrait accepter aussi bien ceux que lui impose la troïka et qui reviennent au même, et ainsi rester dans l'euro. Ce disant, on prône la dévaluation intérieure, ou déflation par baisse des prix domestiques, ce que l'Europe essaye d'imposer à la Grèce depuis plusieurs années.
Or la différence est double. D'abord parce que la déflation, partout où elle a été expérimentée, tue la croissance et même provoque la récession, ce qui n'est pas le cas de la dévaluation. Ensuite parce qu'une dévaluation interne représente des sacrifices sans espoir, alors que la dévaluation externe, même si les sacrifices sont au départ plus grands, s'accompagne de l'espoir, parfaitement fondé, que les choses aillent mieux très vite.
Face à ce schéma qui s'apprend en première année de sciences éco (mais apparemment beaucoup de nos décideurs ne sont pas allés si loin), il se trouve toujours des sceptiques pour dire : oui, mais ça c'est la théorie, dans le cas de la Grèce, ce schéma ne marchera pas, pour telle ou telle raison ; les Grecs sont trop paresseux, leur appareil productif est trop dégradé et ne repartira pas, les déséquilibres intérieurs resteront.
Dévaluation compétitive
Et bien non : sauf en cas d'inflation galopante de type latino-américain où la hausse des prix annule en quelques heures l'avantage comparatif retrouvé — mais nous ne sommes pas dans ce cas — les dévaluations sont toujours efficaces pour rétablir la compétitivité et donc la balance du commerce et la croissance. Même si l'appareil productif est très dégradé, il révélera quelque niches que l'on ne soupçonne pas, soit pour l'exportation, soit pour la substitution d'importation et, la pompe réamorcée, le reste suivra.
Il est des lois économiques dont à juste titre il faut se méfier car leur application est tributaire des circonstances. Mais ce n'est pas le cas de celle-là : la sensibilisé de la balance du commerce et donc de l'activité au taux de change est toujours effective, sans exception. Et comme les investisseurs qui ne s'embarrassent pas de théories brumeuses, eux, le savent, ils reviendront très vite.
Il vaut mieux que l'opération soit accompagnée de politiques structurelles, mais même si ce n'est pas le cas, la loi économique s'appliquerait. Peut-être plus vite encore en Grèce car les agences de tourisme, partenaires essentiels de l'économie grecque, savent déjà qu'elles feront beaucoup plus de bénéfices avec un retour à la drachme.
Une inconnue… peu probable
Le débat n'est pas nouveau : on a annoncé des catastrophes avant presque toutes les dévaluations : en France (1958, 1969), en Grande-Bretagne (1967, 2008), en Afrique avec celle du Franc CFA (1994) ou ailleurs. Non seulement elles n'ont jamais eu lieu, mais les bienfaits se sont fait ressentir très vite après.
Il y a évidemment une inconnue : la communauté occidentale pourrait, d'une manière ou d'une autre, boycotter la Grèce et freiner son relèvement. Mais c'est peu probable. D'autant que les contacts pris par Tsipras avec la Russie lui donnent une solution alternative, sinon pour une aide financière, du moins pour l'achat de produits de première nécessité.
Quant à la dette, elle reste due même en cas de sortie de l'euro. Mais comme Athènes ne la réglait déjà pas, la nouvelle situation ne changera rien.
Si la cohésion de la zone euro ne devrait pas être affectée immédiatement, elle pourrait l'être au bout de quelque mois quand les autres pays en difficulté verront que la Grèce redémarre.
Roland Hureaux
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