L'inculture économique française aidant (mais se serait-on lancé dans l'aventure de l'euro sans cette inculture ?), beaucoup voient la fin de l'euro comme l'effondrement d'une monnaie. Les actifs libellés dans cette devise ne vaudraient plus rien, beaucoup de gens seraient ruinés ; au mieux, la fin de l'euro signifierait une réduction drastique et durable du niveau de vie des Européens, singulièrement des Français.
Il va de soi que les partisans de l'euro ne manquent pas d'agiter ce scénario à la fois pour se donner raison et pour dramatiser le suspense au sujet de la Grèce, mais aussi parce qu'ils y croient.
Il y a pourtant là une confusion entre deux notions : l'effondrement d'une monnaie et son éclatement. Ce n'est pas du tout la même chose.
L'effondrement d'une monnaie, c'est ce que la France a connu avec les assignats en 1795, l'Allemagne avec le mark en 1923, divers pays d'Amérique latine ou d'Afrique noire (hors zone franc) dans une période plus récente. Du fait de l'inflation galopante, la monnaie, à un moment donné, ne vaut plus rien ; ceux qui la détiennent ou qui détiennent des créances libellées dans cette unité se trouvent ruinés.
Rien de tel n'attend les détenteurs d'euro, même dans les pays périphériques comme la Grèce, le Portugal ou l'Espagne où la secousse sera cependant plus grande qu'ailleurs.
L'euro ne s'effondrera pas car il est globalement assis sur des actifs puissants en France, en Allemagne et dans les autres pays ; il n'a pas été émis de manière inflationniste, bien au contraire. L'euro éclatera, ce qui n'est pas du tout la même chose. Il se transformera en plusieurs monnaies à des cours de change différents mais qui, en moyenne, suivront sur les marchés la trajectoire qui fut jusqu'ici celle de l'euro : le mark fera sans doute mieux, le franc un peu moins bien ; la lire, la peseta, l'escudo, la drachme perdront de la valeur par rapport à l'euro mais continueront à valoir quelque chose.
Ce sera en plus grand ce qui est arrivé entre la Tchéquie et la Slovaquie lors de leur séparation à l'amiable en 1993 et la création subséquente de deux monnaies.
Cela ne veut pas dire que la secousse ne sera pas considérable, mais elle sera moins d'ordre technique que politique ou psychologique. Sur le plan technique, il faudra certes assurer la survie des banques imprudemment engagées en Grèce ou au Portugal et d'autres questions liées aux dettes publiques, mais, si l'on veut bien s'en donner la peine, il n'y a pas là de vraie difficulté. En revanche, le choc moral, psychologique et politique sera considérable ; les classes dirigeantes de l'Europe continentale dont tout l'horizon s'était jusque là cantonné à l'euro, seront profondément ébranlées. Des paniques financières –irrationnelles comme toutes les paniques – pourraient s'en suivre. Il se peut que toute la sphère financière internationale en soit affectée. Il faudra des chefs d'Etat et des banquiers centraux aux nerfs d'acier, une étroite coopération entre eux et une active communication, fondée sur le parler vrai et non point sur le mensonge idéologique comme cela a été le cas jusqu'ici, pour montrer que ce n'est pas la fin du monde,
Faut-il donc courir un tel risque ? demandent certains. Hélas, voilà le genre de question qui n'a plus de sens. Nous n'avons pas le choix car cet éclatement arrivera de quelque manière qu'on s'y prenne, et qu'on le veuille ou non. Ce qu'il faut désormais, c'est s'y préparer.
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