Le gouvernement italien a pris l'initiative d'un revirement libéral dans l'organisation du travail du pays avec, en figure de proue, une avancée vers une société qui ne soit plus dominée par la concertation syndicale.
L'État social européen, inauguré en Europe avec Bismarck et en Italie avec Giolitti, a été en grande partie l'œuvre des syndicats. Pas même les régimes fascistes n'ont pu se soustraire à sa logique, bien qu'ils l'aient utilisé de manière instrumentale à leurs fins propres.
Dans toute l'Europe la réforme de la durée de travail a été lancée en vue de fixer l'âge de la retraite. En France, cette réforme, liée à un souci de parité entre le secteur public et le secteur privé, a entraîné une agitation diffuse à laquelle le gouvernement Raffarin a réagi avec vigueur, ne renvoyant à octobre que la réforme de l'organisation scolaire prévue par le ministre Luc Ferry. Cette fois, le gouvernement n'a pas cédé aux pressions de la rue, contrairement au ministère Juppé. En Allemagne même, le gouvernement Schröder a dû s'engager dans une réforme de l'organisation du travail, rendant le licenciement plus facile.
La globalisation confronte chaque économie aux autres : toute autarcie de l'État social est donc impossible. L'État social, construit sur la base des intérêts des travailleurs inscrits à un syndicat, a fait son temps : désormais ce ne sont plus les " travailleurs ", mais toute la société civile qui demande une organisation différente du travail. Un État social dans un seul pays, pour reprendre une phrase célèbre de Staline sur le socialisme soviétique, n'est plus possible. Le temps de " l'américanisme à la Ford ", du travail répétitif de masse, qui plaisait tant à Gramsci, a été supprimé par l'avènement de la technologie et de la société de communication. L'idée du travail en Occident a changé et celui-ci n'est plus pensable comme instrument de pure fatigue.
En Italie, le chômage des jeunes atteint le taux le plus élevé d'Europe et, du coup, le centre d'intérêt des pouvoirs publics s'oriente vers le projet de combiner toujours plus étroitement entreprise et travail avec des initiatives ayant un statut juridique différent de celui du travail salarié mais aussi différente de celui du travail précaire. Cela n'est du reste pas exigé seulement à cause du chômage des jeunes mais aussi à cause de la flexibilité du travail qui investit la société, même graduellement, et qui crée des situations de chômage à des âges encore jeunes et antérieurs à la retraite.
Le décret-loi du gouvernement Berlusconi qui sanctionne la délégation législative introduit beaucoup de changements et porte un nom consacré par son sacrifice, celui de Marco Biagi (économiste, consultant pour le gouvernement Berlusconi, assassiné par deux terroristes le 19 mars 2002, Ndlr). Il prévoit une réorganisation du marché du travail avec différents instituts. A côté des centres pour l'emploi public naissent les nouvelles agences pour le travail, de caractère privé, qui pourront assurer tous les services du marché du travail : rencontre de l'offre et de la demande, orientation, formation. La bourse du travail fonctionnera on line ; la coopération coordonnée et continue, qui aujourd'hui touche 2,5 millions de salariés, sera remplacée par le travail pour un projet déterminé ; il sera possible de louer de la main d'œuvre, de prendre deux personnes pour un seul travail en mode alterné, de faire travailler à la demande avec indemnité ; le travail à temps partiel sera réorganisé.
Reste certainement le poids d'une réforme concernant l'ensemble des syndicats comme la retraite par ancienneté mais, finalement, avec l'accord des syndicats non extrémistes, il a été possible de penser à une réforme du travail fondée sur une rencontre organisée entre l'offre et la demande sans médiation ni de l'État ni des syndicats. La réforme Biagi est le début d'une réforme vraiment libérale du marché du travail : une société libérale prend progressivement la place de l'État social.
© Traduction française de Éric Iborra pour Décryptage
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