Dans un long article publié en une du Figaro (édition du 12 septembre), le cardinal Jean-Marie Lustiger prend fermement position dans le débat sur la rédaction du futur traité constitutionnel européen.
Alors qu'en Slovaquie le pape Jean Paul martelait une nouvelle fois ses exigences sur la question, l'archevêque de Paris rappelait une évidence : " L'Europe préexiste aux constructions politiques qui ont façonné son visage. " Aujourd'hui, la construction politique de la nouvelle Europe échouera si l'on " fait silence sur cet essentiel ".
Le 4 octobre, se réunira à Rome la Conférence intergouvernementale au cours de laquelle s'ouvriront les discussions préalables à l'adoption du projet remis par M. Giscard d'Estaing en juin dernier. La puissante intervention du cardinal, fruit d'une réflexion longuement mûrie, témoigne de la détermination de l'Église tout entière à prendre ses responsabilités. Non, " la messe n'est pas dite ", la reconnaissance du patrimoine religieux, " spécialement chrétien ", demeure une exigence fondatrice qu'il faut intégrer dans le préambule du traité européen.
Avant d'être un " modèle ", l'Europe est une réalité. C'est le point fort de l'argumentation du cardinal. Fixés sur le modèle américain, certains Européens poursuivent volontiers pour eux le mythe de " la nouveauté fascinante d'une société idéale ", porteuse des " espérances du siècle des Lumières, rejetant les archaïsmes, la tyrannie, voire l'obscurantisme des vieilles nations ". À la différence des Etats-Unis d'Amérique (où l'on sait aujourd'hui que le melting-pot était un rêve), " l'Europe préexiste depuis des siècles comme histoire, comme culture, comme communauté de destins " au projet de communauté politique.
Le cardinal en veut pour preuve l'histoire récente du projet européen, né après la Seconde Guerre mondiale. La naissance de la Communauté européenne charbon-acier (CECA), instituée par le traité de Paris en 1951, ne réduit pas les fondations de l'Europe moderne à une ambition économique entre la France et l'Allemagne : " En créant la Communauté charbon-acier, les pères de l'Europe n'entamaient pas un projet économique, mais, par un acte aussi symboliquement expressif que concrètement efficace, ils fondaient une œuvre de pardon, de réconciliation, de vérité entre les deux peuples: ils voulaient briser les épées pour bâtir une société pacifique dans la justice et la paix. "
Si un tel geste était possible entre ces deux nations, " c'est qu'il existait un fondement commun à cette réconciliation : la conscience des valeurs qui avaient créé leur commune civilisation, enracinée dans la longue histoire européenne où la mémoire biblique et la foi chrétienne jouent un rôle majeur ". En réunissant les frères ennemis d'hier, l'Europe a dévoilé son identité défigurée. Autrement dit, " le projet politique de l'Europe repose sur l'existence d'une famille de peuples que la Parole de Dieu a constituée, que la volonté de puissance de ses membres a divisée et qui trouve dans son origine même la force de sa réconciliation. "
Fils d'une génération qui a connu l'Europe déchirée, Jean-Marie Lustiger sait le prix du pardon, il sait aussi, comme témoin de l'histoire, que seule la vérité reconnue et partagée est " la condition de possibilité de la construction européenne ".
L'archevêque de Paris en tire deux conséquences pour aujourd'hui.
Premièrement, le socle européen fondateur est indivis : " On ne pourra pas réunir ce que, au temps de la guerre froide, l'on a appelé l'est et l'ouest de l'Europe sans remédier à cette rupture majeure entre la tradition byzantine à laquelle s'est identifiée la majorité des peuples slaves, et la tradition romaine de l'Occident, qui inclut les pays germaniques. " Dans cette perspective, " l'œcuménisme qui travaille à rétablir la communion des Eglises de l'orthodoxie avec le catholicisme, et aussi les Eglises issues de la Réforme, est l'un des facteurs déterminants pour l'avenir de l'Union européenne. Car cette réconciliation peut seule rassembler, en profondeur, ceux qui dans le passé se sont divisés sur l'essentiel. "
Deuxièmement, la question de la Turquie. Le cardinal d'interroge : " Comment la Turquie moderne, héritière de l'Islam, pourrait-elle entrer dans la famille des nations européennes héritières de la tradition biblique et du christianisme, sans tirer au clair dans une mutuelle reconnaissance ce qui les a séparées et ce qui les unit ? " Poser la question, c'est y répondre. Surtout lorsqu'on entend le Premier ministre turc Tayyip Erdogan, l'homme pour qui " les mosquées sont nos scuds et les minarets nos baïonnettes " déclarer que " la liberté de conscience et l'interdiction de toute discrimination sont les principes fondateurs de l'Europe moderne " (in Repubblica, 3 sept.).
" Une pensée hante nos esprits " s'inquiéte l'archevêque de Paris : " Quelque soient les promesses, le pire est toujours possible : les plus solennels traités peuvent être tenus pour des "chiffons de papier". "
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