Le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours en illégalité contre l'Agence de la biomédecine (ABM) déposé par la Fondation Jérôme-Lejeune dans le cadre d'une autorisation de recherche sur des cellules souches embryonnaires, jeudi 14 octobre (Le Fil, 5 octobre). La Fondation Lejeune a décidé de faire appel. Une bataille juridique qui a le mérite de mettre en lumière le non respect des conditions d'application de la loi bioéthique de 2004.

C'est le premier recours en illégalité déposé devant les tribunaux à l'encontre d'une décision de l'Agence de biomédecine [1]. Il concerne une autorisation accordée à l'Institut I-Stem d'Évry en vue de modéliser en laboratoire la dystrophie musculaire facio-scapulo-humérale par l'utilisation de cellules souches embryonnaires humaines porteuses de la mutation. Myopathie rare et invalidante, il s'agit d'une maladie héréditaire transmise génétiquement. Pour comprendre le rôle du ou des gènes impliqués, le professeur Marc Peschanski qui dirige le laboratoire I-Stem souhaitait travailler sur des cellules issues de la destruction d'embryons atteints de cette affection et rejetés après un diagnostic préimplantatoire. En attendant l'issue de cette bataille juridique, il a déclaré avoir suspendu ses recherches [2].
Pour la Fondation Lejeune, dédiée aux maladies génétiques de l'intelligence et finançant en outre des projets de recherche sur les cellules souches non embryonnaires, ce programme n'aurait jamais dû être autorisé (communiqué du 4 octobre). D'un point de vue légal, la recherche sur l'embryon humain est en effet interdite en France, principe fondamental de la loi de bioéthique sanctionné pénalement. Ce n'est qu'à titre expérimental que des dérogations peuvent être concédées sous réserve du respect strict et cumulatif de deux conditions : les protocoles de recherche doivent permettre des progrès thérapeutiques majeurs et ne pouvoir être menés par une méthode alternative d'efficacité comparable en l'état des connaissances scientifiques (article L. 2151-5 du Code de la santé publique).
L'Agence de la biomédecine est incapable de justifier
En proclamant solennellement en 1994 et 2004 l'interdiction de toute recherche sur l'embryon, la France a refusé le diktat d'une bioéthique utilitariste et ultralibérale contraire à sa tradition humaniste, signifiant que l'embryon humain ne pouvait être instrumentalisé et qu'en tout état de cause le principe de protection à son endroit prévalait sur la liberté de la science. La mission d'information parlementaire a dans son dernier rapport fait implicitement allusion à la pression d'une minorité de scientifiques sur la représentation nationale qui aboutit finalement à l'époque à ce que soit instauré un régime d'exception à l'interdit légal. Le dispositif fut encadré par des conditions dérogatoires présentées par le législateur comme particulièrement contraignantes et propres à rassurer les personnes attachées au respect de la vie de l'être humain dès le commencement de sa vie (art. 16 du Code civil) [3].
Or en ce qui concerne le protocole de recherche en cause, explique la Fondation Jérôme-Lejeune dans un réquisitoire qui emporte l'adhésion, l'Agence de la biomédecine est incapable de justifier sur le fond l'autorisation délivrée. Premièrement, le programme en question ne s'inscrit aucunement dans une perspective de progrès thérapeutiques puisque la modélisation d'une maladie intéresse essentiellement la recherche fondamentale tandis que les tests de substances prévus par I-Stem – ce que l'on appelle le criblage moléculaire – se rapportent à la recherche pharmaceutique. Pour Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Lejeune, même si elle existe, la visée thérapeutique de cette recherche est trop lointaine pour entrer dans le cadre de la loi (La Croix, 6 octobre 2010). Mais surtout, l'objectif de modélisation, en soi parfaitement légitime pour comprendre les mécanismes génétiques à l'origine de cette affection, aurait pu être réalisé avec des cellules souches reprogrammées (iPS).
C'est justement l'une des propriétés les plus remarquables de ces cellules iPS découvertes en 2006 que de pouvoir être employées comme outils de modélisation des maladies humaines et de criblage moléculaire. À la pointe de ce nouveau secteur prometteur de la recherche cognitive sur les mécanismes pathologiques à l'échelon cellulaire, les chercheurs américains de l'Institut des cellules souches de Harvard et de l'université de Stanford avaient déjà publié en 2008 les résultats de travaux sans précédent montrant qu'il était possible de transformer des cellules adultes prélevées chez des malades en cellules souches induites puis en cellules spécialisées reproduisant la maladie en cause [4].
Les scientifiques américains ont ainsi réussi à produire des cellules iPS à partir de fibroblastes de peau prélevés chez des personnes atteintes d'une affection neurologique appelée sclérose latérale amyotrophique puis à les reprogrammer en neurones exprimant les mêmes dysfonctionnements que cette pathologie. Avantage décisif pour étudier au niveau cellulaire les processus pathologiques. Un des meilleurs spécialistes de la question, le professeur George Daley s'était alors félicité de pouvoir générer des lignées cellulaires pour un très grand nombre de maladies, à la fois pour notre équipe, nos collaborateurs, mais aussi pour l'ensemble de la communauté scientifique. Notre travail n'est que le début d'une entreprise qui permettra d'étudier des milliers de maladies dans des boîtes de Pétri . Depuis ces expériences fondatrices, les études se sont multipliées à travers le monde. Découvreur des cellules souches induites, le professeur Yamanaka ne s'y est pas trompé en faisant de la modélisation de maladies in vitro la première application pratique de la technologie iPS [5].
On le voit, les objections émises par la Fondation Lejeune sont parfaitement fondées. Au final, la seule justification qui semble avoir décidé l'ABM à autoriser le projet incriminé est l'aide financière massive obtenue par le laboratoire I-Stem (communiqué du 4 octobre 2010). Comment expliquer que l'Agence de la biomédecine se retrouve sur le banc des accusés alors même qu'elle possède théoriquement toute la compétence requise – son Conseil d'orientation étant composé en majorité d'experts – pour suivre en temps réel l'état des connaissances enregistrées par la communauté scientifique à travers le monde ? Pourquoi n'a-t-elle pas bloqué des projets qui à l'évidence ne se justifiaient aucunement au regard de la rédaction rigoureuse et précise de la loi ?
Le problème de l'information scientifique
La réponse, c'est l'Agence de la biomédecine qui nous la fournit avec une désinvolture qui se retourne aujourd'hui contre elle : Cette condition [de méthode alternative d'efficacité comparable] semble au regard des réalités scientifiques superflue . L'ABM avoue donc s'être affranchie de la législation en jugeant inutiles certaines de ses dispositions. Marc Peschanski lui-même n'a-t-il pas félicité l'ABM devant la mission d'information parlementaire pour ne s'être pas attachée à un respect tatillon de la loi et avoir joué le rôle d'écran protecteur des scientifiques vis-à-vis des opposants à la recherche sur l'embryon (audition du 14 janvier 2009) ?
Me Antoine Beauquier, avocat de la Fondation Lejeune, a vivement regretté que le juge administratif ne sanctionne pas un établissement qui juge la loi, la réécrit et décrète du caractère superflu de certaines de ses dispositions [6] . On peut espérer maintenant que la Cour administrative d'appel de Paris examine véritablement cette affaire sur le fond, tienne compte en particulier de l'état de publications scientifiques pour juger du non respect des conditions d'application de la loi.
Une dernière remarque. Cette bataille juridique pose la question de l'influence de l'information scientifique sur les choix politiques. Dans son avis préparatoire à la révision de la loi de bioéthique, le Comité consultatif national d'éthique lui-même avait rappelé qu' une information plurielle et critique sur les questions scientifiques [est] au cœur de la révision de la loi de bioéthique et que la fiabilité et la loyauté de ces informations scientifiques deviennent de réels enjeux sociaux [7] .
Comme nous l'avons plusieurs fois évoqué dans ces colonnes, il serait judicieux qu'un comité indépendant de scientifiques et de chercheurs fasse régulièrement état des études, travaux, résultats obtenus dans le domaine de la recherche sur les cellules souches non embryonnaires afin de rétablir la vérité. Alors que le débat national sur le réexamen de la loi de bioéthique approche à grands pas, éclairer le législateur par une haute qualité de l'information est une exigence éthique. Il n'a jamais été en effet aussi incohérent de poursuivre des recherches sacrifiant des embryons humains pour un objectif qui peut être atteint, plus efficacement, par d'autres méthodes. Il n'y a jamais eu aussi peu d'arguments qu'aujourd'hui pour déroger au respect légal de la vie de l'être humain à peine conçu.
[1] Fondation Jérôme-Lejeune, 1er recours en illégalité contre une décision de l'Agence de la biomédecine autorisant des recherches sur les cellules embryonnaires humaines, Communiqué de presse, 4 octobre 2010.
[2] Marine Lamoureux, Le justice se penche sur la recherche sur l'embryon , La Croix, 6 octobre 2010.
[3] Assemblée nationale, Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine , Rapport n. 2235, tome 1, janvier 2010 : Il convient de reconnaître qu'à l'occasion de la préparation de la loi de 2004, il avait été fait un usage pour le moins hyperbolique par de nombreux chercheurs de l'argument selon lequel les recherches sur l'embryon conduiraient au développement de thérapies innovantes , p. 310.
[4] K. Eggan and al., "Induced pluripotent stem cells generated from patients with ALS can be differentiated into motor neurons", Science, 29 août 2008, 321 (5893): 1218-21. G. Daley and al., "Disease specific induced pluripotent stem cell", Cell, 6 août 2008.
[5] S. Yamanaka, "A fresh look at iPS cells", Cell, 3 April 2009, vol. 137, p. 13617.
[6] Fondation Jérôme-Lejeune, La FJL fait appel du jugement du recours en illégalité contre une décision de l'Agence de la biomédecine autorisant des recherches sur l'embryon humain, Communiqué de presse, 14 octobre 2010.
[7] Comité consultatif national d'éthique, Questionnement pour les États généraux de la bioéthique , Avis n. 105, 9 octobre 2008, p. 2.
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