Jeanne, un film de Bruno Dumont

1429. Jeanne d’Arc  chef de guerre, auréolée de ses victoires, est postée avec son armée aux portes de Paris. Contestée par les clercs, remise en cause par ses généraux, elle essuie une première défaite, avant de se rabattre à Saint-Denis.. Faite prisonnière à Compiègne par les Bourguignons, elle est livrée aux Anglais. S’ouvre alors son procès à Rouen, mené par Pierre Cauchon qui cherche à lui ôter toute crédibilité. Fidèle à sa mission et refusant de reconnaître les accusations de sorcellerie diligentées contre elle, Jeanne est condamnée au bûcher pour hérésie.

 

Avec Lise Leplat Prudhomme (Jeanne d’Arc), Fabrice Luchini (Charles VII), Antoine Douchet (Jean Le Maistre) Annick Lavieville (Madame Jacqueline), Justine Herbez (Marie), Benoît Robail (Mgr Regnault de Charte), Alain Desjacques (messire Raoul de Gaucourt), Serge Holvoet (Mgr Patrice Bernard), Julien Manier (Gilles de Rais), JéromeBrimeux (Maitre Jean), Benjamin Demassieux (Mesire Jean Duc d’Alençon), Laurent Darras ((Le page), Marc Parmentier (Le Baron de Montmorency), Jean-Pierre baude (Comte de Clermont), Joseph Rogo (Le Héraut d’armes), Yves Baudelle (Frère Jean Pasquerel), AureliesDesain, Laurence malbete et Augustin Charnet (les choristes). Scénario : Bruno Dumont d’après « Jeanne d’Arc » de Charles Peguy (1897). Directeur de la photographie: David Chambille. Musique : Christophe.

Récompense : Mention spéciale du jury dans la section Un certain regard au Festival de cannes (2019).

Bruno Dumont continu et termine son adaptation de la pièce de théâtre de Charles Péguy « Jeanne d’Arc » (1897). La première partie avait été traitée en 2017 avec Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc. Avec Jeanne, le cinéaste traite les deux chapitres suivant,  Les Batailles et Rouen. Avec Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, Bruno Dumont avait déjà surpris et créer un véritable choc esthétique. Il y traiter de l’enfance de la bergère en mêlant un ton de farce et la forme d’un opéra-rock ce qui ne pouvait que surprendre pour déclamer le texte de Charles Péguy !

On pourrait dire que le cinéaste récidive pour ce second opus à quelques nuances près. Le rock est remplacé par une musique électronique composée par Christophe, lequel chante également certains passages du texte de Charles Péguy, et plus significatif, Bruno Dumont abandonne le ton de la farce pour n’emprunter qu’un ton grave, plus grave même. C’est un euphémisme que de dire que l’œuvre est facile, car Bruno Dumont semble tout faire pour qu’elle ne le soit pas : tout est décalé. Le spectateur qui ne connaîtrait pas un tant soit peu l’histoire de l’héroïne nationale ne pourrait pas trouver ses repères, tout effet distractif est proscrit, aucune scènes d’action, aucune scènes de bataille (Celles-ci  sont allégoriquement représentées par un ballet de chevaux avec leurs cavaliers), la capture de Jeanne par les Anglais n’est pas montrée, le personnage de Jeanne est beaucoup plus jeune que dans la réalité…

Comme dans le premier opus, il y a de quoi surprendre et dérouter le spectateur. Et pourtant, pour inattendu et surprenant que soit tout ceci, il n’y a rien qui porte ni à rire, ni à se moquer, ni à sortir de la salle en criant au scandale, car de cet assemblage plutôt hétéroclite, Bruno Dumont parvient à créer une harmonie de laquelle se dégage non seulement une émotion mystique mais des instants de grâce d’une pureté touchante qui donnent à son film un caractère intemporel tant il prend la forme d’une ellipse qui fait joindre le 15ème et le 21ème siècle, faisant de Jeanne une fillette puis une jeune fille bien de son temps mais aussi une figure très actuelle.

Ce résultat étonnant est obtenue par un dépouillement qui se rapproche de l’épure d’un Robert Bresson ou d’un Eric Rohmer, des moyens mis en oeuvre dans un décor minimal  (des dunes pour la partie des batailles, la superbe cathédrale d’Amiens pour le procès), le texte de Charles Péguy bien entendu, la grâce aussi de la jeune et étonnante Lise Leplat Prudhomme qui incarnait déjà Jeannette dans le film précédent et qui est ici bouleversante. Mais aussi un sens de la mise en scène, un art maîtrisé de l’image, du cadrage, du mouvement du cadre comme du mouvement dans le cadre et du montage. Ce dépouillement extrême, en réalité très travaillé, qui s’ajoute à la candeur et à la simplicité quand ce n’est pas à une certaine maladresse du jeu des comédiens amateurs (à l’exception de Fabrice Luchini) qui entourent Lise Leplat Prudhomme et aussi des seconds rôles s’accorde à merveille avec le texte de Charles Péguy et cet ensemble dans lequel se mélangent la maladresse et la grâce permet au film qui se contemple comme une version contemporaine d’un Mystère du Moyen-Âge d’atteindre une certaine dimension transcendantale.

Si Jeanne n’est pas un film à conseiller à tout le monde en raison de son parti pris et de sa radicalité qui peuvent totalement dérouter et susciter à juste raison des avis très partagés, il faut admettre qu’il s’agit d’un objet cinématographique d’une grande originalité, très éloigné du conformisme et du matérialisme ambiants et que la manière, sans doute la plus appropriée est de l’aborder sous un angle purement contemplatif car la force des images est là.

Bruno de Seguins Pazzis