Aussi longtemps qu'aucun pays européen ne l'avait essayée, la "TVA sociale" était tenue pour une lubie réservée aux souverainistes et autres marginaux. On murmurait à Bercy qu'elle était contraire aux règles de l'OMC et de l'Union européenne.
Depuis que l'Allemagne l'a expérimentée, l'idée est prise au sérieux. Dominique Strauss-Kahn, qui vient d'être intronisé directeur général du FMI, l'a crédibilisée au sein du Parti socialiste. Nicolas Sarkozy l'a évoquée dans son programme.
Mais aujourd'hui le projet est en panne. Il a été renvoyé aux calendes par un gouvernement navigant au jour le jour et qui semble peu convaincu de son utilité. Il n'est d'ailleurs pas sûr que tous ses membres l'aient compris et soient donc capables de l'expliquer aux Français. Il en est résulté une série de maladresses qui ont au fil des semaines plombé l'idée.
Le nom qu'on lui a donné, quoique juste, n'est pas très heureux : lancé tel quel sans explications, il donne l'impression qu'il s'agit d'un impôt supplémentaire venant s'ajouter aux autres. A un moment où on allège l'impôt sur le revenu pour les tranches les plus élevées, envisager une nouvelle taxe qui, elle, frapperait toutes les couches de la population n'est, il est vrai, pas très habile. Son évocation entre les deux tours des législatives aurait coûté cinquante sièges à l'UMP : c'est en tous les cas ce qui se dit...
Autre maladresse : certains officiels on laissé entendre que la TVA sociale servirait à boucher le trou de la Sécurité sociale, ce qui, tel quel, est une idée monstrueuse, totalement étrangère au concept d'origine. Personne n'a dit en revanche nettement que, bien conçu, le dispositif ne devait se traduire par aucune perte de pouvoir d'achat pour les salariés.
L'équivalent d'une dévaluation
Techniquement, la TVA sociale revient à une dévaluation. Rappelons en le principe : il consiste à substituer à quelques points de charges sociales (ou de CSG) quelques points de TVA pour financer la Sécurité sociale. Les charges sociales ne sont payées que par les entreprises françaises ; les produits importés y échappent. La TVA, en revanche, est payée par les importateurs et récupérée par les exportateurs ; elle renchérit les produits importés et dégrève d'autant les produits exportés, tout comme une dévaluation de la monnaie.
La TVA sociale est, en dehors d'une sortie de l'euro, la seule solution à la crise grave de compétitivité que traverse notre pays.
Cette crise de compétitivité se traduit par un déficit de plus en plus lourd de notre solde extérieur (camouflé dans le compte global de la zone euro), par la langueur de la croissance et en conséquence par la lenteur à résorber le chômage, en dépit d'une conjoncture démographique favorable.
La cause de cette crise est la cherté de nos prix, laquelle résulte elle-même de la surévaluation de l'euro. Si ce dernier poursuit sa course au-delà de 1,40 $, c'est tout notre tissu industriel, aéronautique comprise, qui va s'effilocher au cours de prochains mois.
C'est dire qu'il y a péril en la demeure.
Autrefois, la solution de ce genre de problème était simple : on dévaluait le franc et très vite les choses rentraient dans l'ordre. Ainsi, jamais la France n'a été aussi prospère que sous Georges Pompidou, qui avait commencé son mandat par une forte dévaluation. Aujourd'hui que nous sommes avons adopté l' euro, les choses sont plus compliquées. Il n'y a en fait que trois solutions : la première serait que la Banque centrale européenne baisse ses taux pour forcer l'euro à se déprécier vis-à-vis du dollar (et surtout de toutes les monnaies qui sont suspendues au dollar, le yuan chinois en tête). Mais le gouverneur de la BCE, M. Trichet, est un homme obstiné : il n'a nullement l'intention de desserrer la vis. Parce que le statut de la Banque centrale européenne lui fait seulement obligation de veiller à la stabilité de la monnaie (qu'une surévaluation favorise en baissant les prix des produits importés) et non à l'emploi. Parce qu'il est attentif à la voix de l'Allemagne, laquelle s'accommode bien de la situation actuelle aussi longtemps qu'elle peut vendre à n'importe quel prix ses machines-outils à travers le monde — et aussi parce qu'elle a adopté, elle, à petite dose, la TVA sociale. Parce que M. Trichet est prisonnier de l'idéologie simpliste de l'Inspection des finances qui voit l'alpha et l'oméga de la politique économique dans le maintien d'une monnaie forte. Ajoutons que les États-Unis ne permettraient sans doute pas une réévaluation trop forte du dollar. C'est dire que la partie de bras de fer que M. Sarkozy a fait mine d'engager avec la BCE pour la contraindre à faire baisser l'euro a peu de chances d'aboutir [1].
La seconde solution est une sortie de l'euro. L'éclatement de la Tchécoslovaque qui s'est traduit par la rupture de l'union monétaire entre ses deux composantes, montre que, techniquement, le retour au franc peut se faire rapidement et sans douleur. Nous retrouverions ainsi la possibilité de dévaluer. Il reste que le traumatisme politique serait considérable. Ceux qui redoutent cette issue ne doivent avoir aucune illusion : si les deux autres options sont exclues, c'est ce qui arrivera – hélas trop tard pour sauver notre tissu industriel.
La troisième solution est l'instauration, même limitée d'une TVA sociale. Aucune des objections faites aujourd'hui à ce mécanisme ne tient : en imposant moins le travail (que sont donc les charges sociales sinon un impôt sur le travail ?) on encourage moins, dit-on, l'investissement : vieil argument en faveur de la surtaxation des salaires, qui vaudrait si nous étions en situation de plein emploi ou si les entreprises françaises n'étaient pas assez équipées, ce qui n'est pas le cas ;
la TVA sociale risque de relancer la spirale inflationniste, pas officiellement puisque l'indice des prix est calculé sur les prix hors taxe, mais psychologiquement ; pourtant la conjoncture monétaire n'étant pas inflationniste, ce risque paraît limité. Reste l'objection politique. Les maladresses s'étant accumulées, le mécanisme est tenu pour impopulaire et par là peu opportun.
Il le sera d'autant plus qu'il sera mal expliqué.
Outre un bon travail pédagogique, la réussite de l'opération repose sur certaines conditions : il est impératif de dissocier radicalement la TVA sociale de tout plan de rééquilibrage des comptes sociaux ; il convient d'associer étroitement à sa mise en place les partenaires sociaux et le commerce afin d'éviter tout dérapage inflationniste.
Il faut enfin veiller à ce que les employeurs rattrapent exactement la perte de pouvoir d'achat des salariés, au besoin par la loi ou par des conventions de branche (la TVA sociale peut n'être instaurée que dans certaines branches). Une autre solution est de substituer la TVA sociale aux seules cotisations salariales. Les salariés doivent y trouver leur compte puisque la hausse des prix de détail doit être compensée et au-delà par une hausse de leur salaire net [2].
Ces conditions ne devraient pas être difficiles à réunir pour peu que l'on sache où l'on va.
Il n'est en effet pas de bonne pédagogie sans conviction : pour que nos dirigeants soient capables de bien expliquer ce mécanisme, il faut qu'ils l'aient compris, qu'ils soient bien convaincus de sa nécessité, qu'ils aient bien vu surtout que, si on veut préserver à la fois l'euro et le tissu industriel français, il n'y a pas d'autre solution.
[1] En outre une baisse de l'euro ne rétablirait pas la compétitivité de la France à l'intérieur de l'Union européenne.
[2] Dans la mesure où les salaires ne représentent qu'environ 60 % de la valeur ajoutée, il serait possible, grâce à une assiette plus étalée, de compenser la baisse des charges sociales par une moindre hausse de la TVA.
Pour en savoir plus, un autre point de vue :
■ Jacques Bichot, TVA sociale, une fausse bonne idée, Décryptage, 28 juin 2007
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