On peut reprocher beaucoup à Voltaire. Alfred de Musset en tête trouvait qu'on mourait dans son air , traitant les journalistes des Lumières autoproclamés philosophes [1] de démolisseurs stupides . M. Arouet fut le pire de tous. Personne ne peut cependant contester au patriarche de Ferney la formidable mobilisation de l'opinion publique qu'il savait susciter. Il s'en fit le porte-voix dans l'Europe entière face à l'injustice, comme dans l'affaire Calas.
Depuis lors, beaucoup d'artistes et d'écrivains se voient volontiers en défenseur des victimes de l'erreur judiciaire. Mais plus près de nous, il aura tout manqué au plus grand bagnard innocent du monde pour que semblable réhabilitation fût possible.
Manipulation
Nous sommes en Bretagne dans le Nord Finistère. 1923. Guillaume Seznec, imprudent et peut-être même un peu magouilleur, accepte de vendre à l'Union soviétique des Cadillac laissées par les Américains après la guerre. Le voilà embarqué par un conseiller général, le fameux Pierre Quéméneur, dans ce qui se révèlera une inextricable affaire. Ce dernier ne pouvant pas se mettre trop en avant à cause de sa condition politique en vue, Seznec lui sert de paravent et ne se méfie évidemment pas assez.
Lors d'un voyage, Quéméneur disparaît. On ne saura jamais ce qu'il est devenu. Pas de corps, pas d'armes, pas d'aveux mais on accuse de meurtre Seznec qui faisait route avec lui.
Jouent contre lui des mobiles farfelus mais puissants comme la propriété cossue à Plourivo dans les Côtes-du-Nord que Quéméneur aurait vendue à Seznec. Le prix de vente, anormalement bas, est retenu contre Seznec. Il a beau arguer d'une somme payée en liquide avec les dollars-or de sa femme, rien n'y fait...
La suite est celle d'une tragédie sur fond de manipulation de preuves et de faux témoignages d'inspecteur de police gestapiste, du plus que louche Bonny — qui sera fusillé à la Libération : condamnation à perpétuité au bagne à Cayenne en 1924 (la préméditation n'est pas retenue et Seznec sauve in extremis sa tête à une époque où la peine de mort existe) ; grâce présidentielle...
Mais le bonheur s'en est allé à jamais, sa femme, une de ses filles, devenue carmélite, et sa mère sont mortes sans qu'il ait jamais pu les revoir. Ultime coup du sort : Seznec mourra à Paris étrangement renversé par un véhicule qui prend la fuite ; il ne mènera pas à bout son dossier de réhabilitation. Jusqu'à la fin, le vieux Seznec aura clamé avec entêtement son innocence.
Les vieux du pays continuent de pleurer Seznec, chef d'une famille de Plomodiern dure à l'ouvrage, profondément croyante comme on l'est en Bretagne, d'une famille unie. On est ému aux larmes à la lecture des lettres et des témoignages laissés dressant de ce père de famille attentif, époux aimant, un portrait d'homme trempé ; que pareil bonheur familial ait été torpillé sans espoir de retour déchire le coeur.
Le combat de la famille
Le petit-fils de Guillaume Seznec, Denis continue aujourd'hui le combat et cherche contre vents et marées un au-delà de la grâce octroyée par De Gaulle en 1946 : elle n'est pas suffisante pour celui que l'infamie attaque dans son honneur, dans son identité même. La grâce ne dit pas qu'on soit innocent.
Le fier Breton, en digne descendant de son grand-père, ne recule toujours pas malgré la décision des trente-trois magistrats qui ont, en 1996, refusé avec le Garde des Sceaux de l'époque, Marylise Lebranchu pourtant favorable à la révision, d'admettre que la justice pouvait être faillible et se tromper : la Cour de cassation, siégeant en Cour de révision, a refusé la demande de révision du procès Seznec.
En 2006, la Cour de révision n'annulera pas davantage la condamnation de Seznec : aucun élément nouveau susceptible de faire naître le doute sur la culpabilité de Guillaume Seznec n'a émergé. L'annulation de la condamnation vaudrait pourtant décharge de la mémoire du mort , lorsque le condamné est décédé.
Ce que le droit n'arrive plus faire, l'engagement théâtral le peut heureusement encore. Un dit, précisément, voilà ce que Robert Hossein a entrepris pour remettre en cause l'erreur et l'arbitraire. Quand tout s'est ligué contre vous, reste-t-il encore dans des ruines pitoyables de quoi faire naître une espérance ? En 2010, la mise en scène d'une parole bâillonnée mais courageuse, mettra-t-elle en branle le dévoilement de la vérité ? C'est en tous les cas possible vu la vocation du théâtre, vocation politique. Le théâtre — et on l'aime bien sûr ainsi — est révélation, le théâtre piège les menteurs, le théâtre est souricière des usurpateurs de vérité. Le théâtre est aux sources de la démocratie.
Au Théâtre de Paris, le 26 janvier, nous espérons un procès plus vrai que le véritable. Bouleversera-t-il l'opinion publique au point qu'on puisse faire encore bouger ce qui paraît figé, comme par exemple l'ouverture des archives secrètes du ministère de l'Intérieur ? Je le souhaite, avec Denis Seznec... Au nom de son grand-père.
À lire :
Nous les Seznec. Toute l'affaire. Réédition, Robert Laffont, 21 janvier 2010.
À voir ou à revoir :
L'affaire Seznec, film d'Yves Boisset avec Christophe Malavoy, Nathalie Roussel, Jean Yann et Madeleine Robinson.
À partir du 26 janvier 2010
Seznec, un procès impitoyable
C'est à vous de me juger. Vous serez les jurés.
Spectacle réalisé et présenté sur scène par Robert Hossein
Théâtre de Paris
15 rue Blanche
75009 Paris
01 48 74 25 37
Du mardi au samedi à 20h30
Matinée les samedis à 16h30
Dimanche à 15h30
Prix selon les catégories : 46, 36, 26, 17 et 10 euros pour les moins de 26 ans.
[1] Rémi Brague, "La métaphysique a -t-elle un avenir ?" Etudes, décembre 2009.
Nota : le forum de cet article n'est pas ouvert, mais les commentaires seront transmis à l'auteur (Ndlr).
- Travail le dimanche : la manip de l’été
- Fin de vie : un débat confus et des ambiguïtés...
- Repos dominical et jours fériés victimes de la...
- Travail dominical : loi Macron, loi Carnaval
- Houellebecq, déserté par l'esprit
- Attention à la dynamite du dimanche
- L’ombre d’Attali sur le Président du dimanche
- Témoignage : à Strasbourg, près du pape François
- “Le Royaume” : l’Evangile selon Moi, je
- "Merci pour ce moment" : une histoire moderne