L'idée de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux lors des départs à la retraite refait surface en cette période de discussion du projet de loi de finances (PLF). Le Premier ministre l'a même caressée lors de sa conférence de presse d'octobre.
Simultanément, un Haut conseil de l'école a été mis en place, pour remplacer à la fois le Haut conseil de l'évaluation et le Conseil national des programmes ; cette instance de neuf membres devra dresser des bilans, proposer un " socle " de connaissances et compétences pour nos enfants, et donner son avis sur la formation des maîtres.
De son côté, le Parlement étudie pour la première fois un PLF construit selon la loi organique dite LOLF, destinée à faciliter la recherche de plus d'efficacité et de diminution des coûts. Or deux choses sont claires : les effectifs de nos établissements scolaires représentent presque la moitié de la fonction publique de l'État, et la somme qu'il est question de consacrer en 2006 à la " mission " enseignement scolaire est en hausse de 6,3 %, à 59,7 milliards d'euros. Comment réduira-t-on le nombre des fonctionnaires, comment améliorera-t-on le rapport qualité/prix du service public, si l'on vote les yeux fermés une telle hausse du budget de l'Éducation nationale et des quelques autres acteurs de " l'enseignement scolaire " ?
Parlementaires et gouvernement devraient donc se poser la question : est-il possible d'améliorer la productivité d'un système qui (sans même l'enseignement supérieur) absorbe environ 20 % du budget de l'État ? et, si oui, comment ?
Pour répondre à cette question, il est fort utile de regarder ce qui s'est passé en France depuis quelques décennies, et ce qui se fait ailleurs dans le monde . Ouvrons L'état de l'école, publication du ministère : " Les tailles moyennes de classes en maternelle et primaire se situent maintenant aux environs de 26 et 23 élèves contre respectivement 40 et 30 au début des années 1960. " Le second degré, y compris le privé sous contrat, emploie 530 000 enseignants pour 6 520 000 élèves, soit 12,3 élèves par enseignant : on en compte aujourd'hui plus de 15 aux États-Unis, au Canada ou au Japon ; et il y en avait 16,1 dans le secondaire public en France en 1963-64. La productivité scolaire a donc fortement diminué en France, et elle est faible en comparaison d'autres pays développés. Rien que dans le secondaire, on économiserait environ 100 000 postes en remontant à 15,1 élèves par enseignant.
Il va de soi que la qualité de l'enseignement ne saurait être négligée au profit du seul facteur quantitatif. Mais cette qualité est-elle principalement fonction du nombre d'élèves par professeur ? L'examen objectif de la réalité ne conforte pas sur ce point la langue de bois syndicale. Un enseignant peut faire de l'excellent travail avec 50 élèves, comme on le constate dans les prépas, s'il s'agit de jeunes motivés, disciplinés et travailleurs. En revanche, une douzaine de " sauvageons " sont encore trop nombreux pour tirer profit d'un enseignement, fut-il de bonne qualité. La productivité scolaire est sapée par la mauvaise éducation, la paresse et le manque d'intérêt d'une trop forte proportion de nos enfants et adolescents.
Ce problème n'a pas de solution simpliste. On ne le résoudra pas en pondant une loi et quelques décrets, selon le réflexe pavlovien des pouvoirs publics. Il devrait faire l'objet d'études approfondies, par exemple sous l'égide du nouveau Haut conseil de l'école, ou sous celle du " Conseil d'analyse stratégique " qui va remplacer le Commissariat général au Plan et fédérer plusieurs autres conseils. Plus de dix milliards d'euros peuvent probablement être économisés au terme de quelques années, tout en réduisant le nombre des jeunes qui sortent de nos bahuts à demi illettrés, ayant appris à revendiquer plus qu'à travailler, à discutailler plus qu'à réfléchir.
En cherchant à résorber une partie du déficit budgétaire, nous obtiendrons beaucoup plus, car cela nous obligera à lutter contre la chienlit qui a envahi trop d'établissements et de jeunes cerveaux, chienlit qui est à l'origine d'une partie notable de la délinquance et de l'incivilité. Le système scolaire est malade de l'argent facile. Comme les enfants et les adolescents que leurs parents " pourrissent " en leur donnant tout ce qu'ils revendiquent au lieu de leur fournir les repères dont ils ont besoin. C'est pourquoi il y a gros à parier que nos enfants seraient mieux éduqués si l'on travaillait enfin sur la façon de les former autrement qu'en y engloutissant toujours plus d'argent.
* Jacques Bichot est économiste, professeur à l'université Lyon 3. Dernier ouvrage paru : Sauver les retraites ? La pauvre loi du 21 août 2003
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