Source [Le Salon Beige] Des arguments et contre-arguments ont été échangés à partir de l’article de Gregor Puppinck (juriste et grand défenseur auprès des instances européennes des droits naturels et de la civilisation européenne), paru le 27 décembre 2018 dans le FigaroVox, à propos d’un arrêt de la CEDH (cour européenne des droits de l’homme), concernant la concurrence d’application, en Thrace occidentale (Grèce) de la charia et du droit civil grec. G.Puppinck accusait la CEDH d’avoir condamné une application forcée de la charia, mais pas la charia en elle-même.
Essayons d’y voir plus clair en cinq étapes :
- Retraçons le cadre « européen »
- Reprenons l’arrêt de la CEDH concernant cet affaire
- Essayons de comprendre ce qu’est la charia
- Analysons le contenu de la déclaration du Caire sur les droits de l’homme en islam
- Finissons par l’étude de la compatibilité de la charia avec la convention européenne des droits de l’homme
I- Le cadre européen : pléthore d’institutions et de juridictions concurrentes
L’Europe, c’est en premier lieu l’Union européenne (UE, dont le siège est à Bruxelles) : 28 Etats avant Brexit. L’UE a une « Cour de justice de l’Union européenne » (CJUE, dont le siège est à Luxembourg) dont le rôle est de veiller à l’interprétation et à l’application uniforme de la législation européenne, ainsi qu’à la résolution des différends juridiques pouvant opposer le gouvernement d’un Etat membre à une institution de l’UE. Cette cour de justice traite donc essentiellement de questions d’intégration économique relevant du droit communautaire.
Cependant, depuis décembre 2000, l’UE dispose également d’un instrument de protection des droits de l’homme : la Charte de l’Union Européenne des droits fondamentaux. Le traité de Lisbonne a conféré à cette charte la même force obligatoire que les traités. Extrait de son préambule et son premier article :
« Consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice… En conséquence, l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés ci-après. CHAPITRE PREMIER : DIGNITÉ. Article premier : Dignité humaine :La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »
L’Europe, c’est aussi le Conseil de l’Europe (« COE » = Council of Europe), dont le siège est à Strasbourg, institution créée dès 1949. Ce Conseil rassemble 47 Etats membres soit tous les pays de l’U.E. plus d’autres parfois importants : Fédération de Russie, Turquie, Géorgie, Ukraine. Sa mission est de promouvoir la démocratie et de protéger les droits de l’homme et l’Etat de droit en Europe. C’est ce Conseil de l’Europe qui a choisi le drapeau européen dès 1955, ensuite adopté par l’U.E. en 1983. Dans son article, G.Puppinck rappelle que c’est sous la pression turque que les États du COE renoncèrent à la présence d’une croix sur le drapeau européen, alors même que ce choix avait été plébiscité.
Nous avons dit « Etat de droit » ? Cette expression souvent utilisée exprime un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit, un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Dans ce cadre, les compétences des différents organes de l’État sont précisément définies et les normes qu’ils édictent ne sont valables qu’à condition de respecter l’ensemble des normes de droit supérieures. Le principe de légalité prescrit que toute norme ou toute décision qui ne respecterait pas un principe supérieur serait susceptible d’encourir une sanction juridique. L’égalité des sujets de droit constitue une autre condition de l’existence d’un État de droit. Enfin un tel modèle, faisant du droit un instrument privilégié de régulation de l’organisation politique et sociale et subordonnant le principe de légitimité au respect de la légalité, implique l’existence d’une séparation des pouvoirs et d’une justice indépendante. Ceci explique le rôle croissant des juridictions.
La mission du Conseil de l’Europe s’appuie en particulier sur une « Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (dite aussi « Convention européenne des droits de l’homme ») émise en 1950. Extrait de son article 1 : « ARTICLE 1 Obligation de respecter les droits de l’homme : Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention. » S’ensuivent ensuite les Droits et Libertés. Le premier droit défini est le « Droit à la vie ».
Le Conseil de l’Europe possède, comme entités propres, un « comité des ministres », une « assemblée parlementaire », un commissaire aux droits de l’homme et la CEDH : Cour européenne des droits de l’homme. La CEDH est la juridiction compétente pour statuer sur des requêtes individuelles ou étatiques alléguant des violations des droits civils et politiques énoncés par la Convention européenne des droits de l’homme.
On remarquera que les pays de l’UE sont donc soumis à deux juridictions (et une Charte et une Convention) alors même que la CJUE et la CEDH interagissent sans réelle coordination. La CJUE est plutôt attentive à la mise en œuvre du droit de l’UE, la CEDH aux actes des Etats. Au final, les Etats membres de l’UE doivent respecter le droit de l’UE tout en veillant à se conformer à leurs obligations émanant de la CEDH.
Une région de Grèce, la Thrace occidentale, a dans cet ensemble une place tout à fait originale : dans cette région anciennement possédée par l’empire ottoman, la charia a continué de s’appliquer aux populations musulmanes passées sous juridiction grecque selon les dispositions des Traités de Sèvres (1920) et de Lausanne (1923). L’application de la charia y est circonscrite au domaine du code civil relatif au droit de la famille, et édictée par des muftis. Le litige ayant amené la décision récente de la CEDH est un litige successoral et lié à une concurrence de droit applicable : dans la succession Molla Sali (le défunt étant un grec issu de la minorité musulmane), fallait-il appliquer la charia ou le droit civil grec ?
II- L’arrêt de la CEDH affaire Molla Sali c. Grèce, et son interprétation
1° Le contexte : Moustafa Molla Sali, membre de la communauté musulmane de Thrace, est décédé en 2008. Il avait établi par devant notaire, et conformément aux dispositions pertinentes du code civil grec, un testament public. Il léguait à son épouse la totalité de ses biens.
Les deux sœurs du défunt ont contesté la validité du testament devant le tribunal de première instance de Rhodope. Elles revendiquaient trois quarts des biens légués. Elles disaient que tant elles-mêmes que le défunt appartenaient à la communauté musulmane de Thrace et que, en cette qualité, toute question relative à la succession de ses biens était soumise à la loi musulmane sacrée et à la compétence du mufti, et non aux dispositions du code civil. Elles soutenaient que le régime du droit successoral applicable aux musulmans était la succession ab intestat, c’est-à-dire comme s’il n’y avait pas eu de testament.
2° Les péripéties juridiques : trois aspects
Comme dans d’autres affaires, les tribunaux grecs (première instance et cour d’appel) ont donné raison à l’épouse. Mais la cour de cassation s’est déclarée favorable à la version des sœurs musulmanes (Extrait des attendus : « La cour de cassation conclut que la manière dont la Cour d’appel avait statué méconnaissait les dispositions législatives pertinentes, car le droit applicable à la succession du défunt était le droit successoral musulman, qui faisait partie du droit interne et s’appliquait spécifiquement aux ressortissants grecs de confession musulmane… par conséquent, le testament public litigieux devait être réputé invalide et dépourvu d’effet juridique, au motif que la charia ne reconnaissait aucune institution de la sorte. »)
Dans le même temps, conscient de l’ambiguïté de la situation de concurrence des droits, le gouvernement grec fait voter en janvier 2018 une loi précisant que dorénavant « les dispositions du droit commun ne relèvent qu’exceptionnellement de la compétence du mufti, c’est-à-dire à condition que les deux parties lui demandent conjointement de régler le litige conformément à la loi musulmane sacrée (…). Si l’une des parties ne souhaite pas soumettre l’affaire au mufti, elle peut saisir les juridictions civiles (…), qui, dans tous les cas, sont présumées compétentes. ». Cette loi doit bien sûr être suivie d’un décret d’application.
Sur le fond, la CEDH n’a pu être sollicitée que parce que tous les recours de justice grecs avaient été épuisés. La position de la CEDH a deux aspects :
- Tout d’abord, la Cour décide de restreindre son avis à un aspect spécifique (le refus par la Cour de cassation d’appliquer le droit des successions, tel que tiré du code civil, pour des motifs liés à la confession musulmane du testateur et donc sous le seul angle d’une possible discrimination) et non pas sous l’angle général de compatibilité de la charia avec la Convention des droits de l’homme ; c’est ce choix restreint qui est dénoncé par G.Puppinck dans son article, accusant la CEDH d’aveuglement.
- Au regard de cet angle d’étude restreint, « la Cour estime que la différence de traitementsubie par la requérante en tant que bénéficiaire d’un testament établi conformément au code civil par un testateur de confession musulmane, par rapport à une bénéficiaire d’un testament établi conformément au code civil par un testateur n’étant pas de confession musulmane, n’avait pas de justification objective et raisonnable. », donne donc satisfaction à la plaignante et soutient l’application du régime testamentaire lié au code civil grec.
3° Quelques commentaires sur l’ « état de droit »
On sait que l’état de droit est une notion à géométrie variable (pensons par exemple aux conditions de l’interpellation du gilet jaune Eric Drouet le 2 janvier à Paris ; ou bien aux spécificités japonaises de la mise en examen à l’occasion de l’affaire Ghosn…). Que retirer de ce point de vue de l’étude de cette procédure ?
- L’application de la charia, à une population spécifique dans une région spécifique de Grèce est régie par des traités internationaux anciens. En même temps, la CEDH fait observer dans ses attendus que « Force est aussi de constater que, lors de l’audience, le Gouvernement a dit que les dispositions du traité d’Athènes relatives à la protection des droits des minorités ainsi que celles du traité de Sèvres n’étaient plus en vigueur, ce qu’il avait du reste déjà admis dans une affaire jugée en 1999 ». Alors, validité ou pas validité ? Quelles normes juridiques applicables ?
- Comment peut-on gérer une concurrence des droits ? Lequel doit s’appliquer ? Dans ces fameux traités internationaux, la charia ne s’appliquait que sous réserve de sa compatibilité avec la Constitution et le droit international. Les décisions des muftis devaient donc être contrôlées par les tribunaux grecs. Or, la Cour a constaté, toujours dans ses attendus et en étudiant la jurisprudence des tribunaux de première instance à ce sujet, que ces tribunaux n’exerçaient pas en réalité un véritable contrôle de constitutionnalité. Alors, état de droit ou pas ?
- Comment expliquer que d’une manière générale dans des affaires similaires en Grèce, les tribunaux les plus proches des situations concrètes (première instance et appel) donnent raison à l’application du droit civil et la Cour de cassation raison à l’application de la charia ?
- La CEDH constate que, suite à la loi de janvier 2018 supposée résoudre la situation de concurrence, le décret nécessaire pour sa mise en application n’a pas encore été pris. Alors, état de droit ou pas ?
- Enfin, et comme le lui reproche fondamentalement G.Puppinck, pourquoi la CEDH se contente-t-elle d’examiner le cas sous un angle restreint de « discrimination » alors même qu’elle a déjà, lors d’un arrêt précédent de 2003 à propos de la Turquie, conclu de toutes façons à l’incompatibilité globale de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie et les valeurs des pays du Conseil de l’Europe ? Etat de droit ou pas ?
4° Quelques commentaires sur la position de G.Puppinck
Examinons quelques autres arguments mis en avant par G.Puppinck à l’encontre de la position exprimée par la CEDH :
– La CEDH met en avant le « droit de libre identification » c’est-à-dire la possibilité pour un membre d’une minorité religieuse d’opter volontairement pour le droit commun. Avec ce commentaire : « Le choix en question est parfaitement libre, pourvu qu’il soit éclairé. Il doit être respecté tant par les autres membres de la minorité que par l’État lui-même ». Mais comment s’assurer de ce libre consentement ? Le rapporteur de la commission des questions juridiques du Conseil de l’Europe note dans un rapport de décembre 2018 devant être examiné par les membres de l’Assemblée parlementaire le 22/01/2019 :
« Il est également probable que de nombreuses affaires relatives à la place des femmes musulmanes selon le droit islamique n’arrivent jamais devant les tribunaux ordinaires ni devant la Cour européenne des droits de l’homme, parce que les femmes subissent une pression familiale et communautaire énorme pour se conformer aux exigences des tribunaux religieux informels. »
– Sur cette concurrence des droits, la CEDH rappelle (heureusement) que, selon sa jurisprudence, la liberté de religion n’astreint pas les États contractants à créer un cadre juridique déterminé pour accorder aux communautés religieuses un statut spécial impliquant des privilèges particuliers. Néanmoins la CEDH accepte l’éventualité qu’un État puisse créer un tel statut. C’est ce que G.Puppinck appelle la position communautariste de la CEDH. L’Etat doit alors « veiller à ce que les critères pour que ce groupe bénéficie de ce statut soient appliqués d’une manière non discriminatoire ». Mais comment être dans une situation non-discriminatoire alors que ce statut ne s’appliquerait qu’en discriminant sur la religion ?
III- La Charia. Quelques considérations
Nous avons parlé de charia. Essayons d’en comprendre le sens et le contenu.
La charia a un sens large de voie idéale indiquée par Dieu aux hommes, avec une normativité (prescrits et interdits) de nature d’abord éthique, déontologique, morale. Son interprétation peut varier selon les écoles théologico-juridiques musulmanes, comme par exemple le wahhabisme, apparu au 17èmesiècle en Arabie Saoudite et dont se réclament les salafistes. Elle se confond ensuite avec le fiqh (droit), approximation humaine de cet absolu sous forme de codification juridique (M-T. Urvoy). Être musulman et appliquer la charia sont consubstantiels.
Ces normes portent ainsi en premier lieu sur les obligations rituelles propres à la dévotion du musulman.
Dans un deuxième temps, les relations familiales sont par excellence le domaine où se concentre la normativité islamique : mariage, divorce, filiation, successions (l’équivalent d’un Code civil). C’est ce domaine dont l’application est encore prise en compte en Thrace occidentale. C’est le domaine privilégié de discriminations entre l’homme et la femme au sein du couple (répudiation, divorce, succession) rappelées par le même rapporteur de la commission des questions juridiques du Conseil de l’Europe (décembre 2018) :
- « En matière de droit islamique de la famille, les hommes ont autorité sur les femmes. La Sourate 4, verset 34, stipule que « Les hommes ont autorité sur les femmes, en vertu de la préférence que Dieu leur a accordé sur elles, et à cause des dépenses qu’ils font pour assurer leur entretien. Les femmes vertueuses sont pieuses : elles préservent dans le secret ce que Dieu préserve. Admonestez celles dont vous craignez l’infidélité ; reléguez-les dans des chambres à part et frappez-les. Mais ne leur cherchez plus querelle, si elles vous obéissent. Dieu est élevé et grand. ». En vertu de la charia, l’adultère est strictement interdit. La doctrine considère qu’il convient d’apporter la preuve par quatre témoignages concordants, afin de prouver la culpabilité d’une personne (Sourate 4, verset 15). Ces témoins doivent être de bons musulmans, des hommes de bonne réputation. La peine appliquée est lourde et dégradante, à savoir « 100 coups de fouets » (Sourate 24, verset 2). Dans les cas de viols, rarement commis en public devant quatre témoins mâles qui sont de bons musulmans, punir le coupable est difficile voire impossible. En pratique, cela mène à une obligation pour les femmes de sortir accompagnées d’hommes et ne favorise pas leur indépendance. »
- « En matière de divorce, en droit islamique, le mari a un droit unilatéral au divorce (talaq), bien que l’initiative puisse venir de son épouse si cela a été prévu dans le contrat de mariage (nikah) ; une femme peut donc exercer son droit au divorce (talaq e tafwid) sans le consentement de son mari. Dans les autres cas, la femme peut prendre l’initiative du divorce, mais seulement avec le consentement de son mari, en demandant une khula. Elle doit alors renoncer à sa dot (mahr)3. Si le mari a abandonné son épouse, n’a pas coopéré à la procédure de divorce ou s’est conduit de façon déraisonnable, le mariage peut être dissous (faskh), mais seulement par un qadi ou par un jugement rendu sur la base de la charia. Donc, si le divorce par consentement mutuel est consacré par le droit islamique (Sourate 2, verset 229 et Sourate 4, verset 128), la requête intervient, en l’espèce, à l’initiative de la femme, puisque le mari peut toujours répudier son épouse. La question de l’égalité des droits en ce qui concerne les modalités du divorce tel que la garde d’enfant se pose également. »
- Enfin, « en matière de liquidation et de partage de successions, des distinctions sont effectuées selon le sexe de l’héritier. Un héritier de sexe masculin compte pour deux lots, alors qu’un héritier de sexe féminin compte pour un seul lot4. De plus, si le conjoint survivant est la femme, ses droits sont de moitié de ceux du mari (Sourate 4, verset 12). »
La charia est souvent réduite enfin aux sanctions associées à des crimes (hudûd ; l’équivalent d’un code pénal). Les hudud sont prescrits pour sept situations : l’adultère et la fornication, la fausse imputation de ce crime, la consommation d’alcool, le vol, le banditisme, l’apostasie et la rébellion. Elles varient selon les crimes : coups de fouet (pour fausse accusation d’adultère), amputation des pieds ou des mains (vol, banditisme), lapidations (adultères), peines de mort (banditisme, apostasie ou rébellion). Elles sont appliquées de façon variable d’un pays musulman à un autre, selon les écoles théologiques, les groupes religieux musulmans et aussi les rapports de force. Par exemple, le groupe islamiste touareg Ansar Dine excluait dans le nord-Mali les lapidations pour adultère ou l’amputation des mains pour les voleurs. «Nous n’avons pas encore recours à de telles sentences, car la société n’y est pas prête», expliquait Omar Ould Hamaha, chef militaire du mouvement à Gao tué en 2014.
IV- La déclaration du Caire sur les droits de l’homme en islam : trois aspects fondamentaux
L’OCI (Organisation de la coopération islamique), dont sont membres la Turquie et l’Albanie, toutes deux candidates à l’Union européenne, a publié en 1990 la Déclaration du Caire sur les droits de l’homme en islam (1990). Cette déclaration n’a pas de valeur juridique contraignante, mais a plutôt une valeur symbolique en matière de politique des droits de l’homme en islam (tiens, ça nous rappelle un certain« Pacte de Marrakech »..) et ne fait aucune référence à la Déclaration universelle des droits de l’hommepubliée par les Nations Unies en 1948.
Quelles sont les caractéristiques « islamiques » de la Déclaration du Caire ?
Premier point fondamental : tout le contenu de la déclaration est soumis à la charia islamique (ou « loi islamique » ou en anglais « islamic shari’ah ») :
- Depuis le préambule : « Désirant contribuer aux efforts de l’humanité visant à garantir les droits de l’homme, à le protéger de l’exploitation et de la persécution, à affirmer sa liberté et son droit à une vie digne en accord avec la Loi islamique, Croyant que les droits fondamentaux et les libertés universelles dans l’Islam font partie de la religion des musulmans, Et que personne n’est en droit de les entraver totalement ou partiellement, de les violer ou de les ignorer, parce qu’ils sont des dispositions divines à suivre » ;
- Jusqu’aux deux derniers articles 24 et 25, fondamentaux: « 24 – Tous les droits et libertés énoncés dans ce document sont subordonnés aux dispositions de la Loi islamique. Art. 25 – La Loi islamique est la seule source de référence pour interpréter ou clarifier tout article de cette Déclaration» (en anglais : « Article 24 All the rights and freedoms stipulated in this Declaration are subject to the Islamic Shari’ah. Article 25 The Islamic Shari’ah is the only source of reference for the explanation or clarification to any of the articles of this Declaration.”).
Deuxième point fondamental, la religion musulmane est protégée, pas la liberté de religion. C’est l’objet de l’article 10 qui est un excellent exemple de l’utilisation possible de citations tronquées. En effet, on cite souvent sa deuxième phrase « Il n’est pas permis de soumettre ce dernier (= l’homme) à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l’athéisme » pour montrer que la déclaration protège « les » religions. Mais il faut citer l’article en entier : « Art. 10 – L’Islam est la religion naturelle de l’homme. Il n’est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l’athéisme ». (en anglais : « Article 10 Islam is the religion of unspoiled nature. It is prohibited to exercise any form of compulsion on man or to exploit his poverty or ignorance in order to convert him to another religion or to atheism.”). C’est donc bien le musulman qui est protégé. Dans la déclaration du Caire, il n’y a aucun droit à une quelconque liberté religieuse.
Continuons d’ailleurs sur la sémantique à propos de l’usage du terme « homme », dont on sait qu’il peut en français correspondre à la fois à l’homme de façon générique (l’être humain, en anglais « human being ») ou l’homme sexué (menau pluriel en anglais).
La Déclaration des Nations Unies, évitant toute ambiguïté, utilise en anglais « human beings » et surtout « everyone » et jamais « men » ; en français « êtres humains », « individus » ou « toute personne ». Son article 1 est : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » ; en anglais : « All human beings are born free and equal in dignity and rights ».
Et examinons alors l’article 1 de la déclaration du Caire :
« Art. 1 – a) Tous les êtres humains forment une famille dont les membres sont unis par leur soumission à Dieu, et par le fait qu’ils descendent d’Adam. Tous les hommes sont égaux dans la dignité humaine, dans l’accomplissement des devoirs et des responsabilités, sans aucune discrimination de race, de couleur, de langue, de sexe, de religion, d’appartenance politique, de statut social ou de toute autre considération. La vraie foi garantit l’accroissement de cette dignité sur le chemin de la perfection humaine. » (en anglais : “a) All human beingsform one family whose members are united by submission to God and descent from Adam. All menare equal in terms of basic human dignity and basic obligations and responsibilities, without any discrimination on the grounds of race, colour, language, sex, religious belief, political affiliation, social status or other considerations. True faith is the guarantee for enhancing such dignity along the path to human perfection. (b) All human beings are God’s subjects ».
On aura noté le subtil passage de « êtres humains” à “hommes” (“men” en anglais) quand on parle d’égalité. Et quand on parle de « men », on ne parle plus de « droits ». Les droits des hommes, en pays de loi islamique, sont en effet différents selon que ces hommes sont musulmans ou non : les coptes en Egypte le savent par exemple parfaitement.
Troisième point fondamental : la femme est la subordonnée de l’homme.
- On remarquera que par l’emploi du mot « hommes » (« men »), les femmes sont exclues de l’article 1 quand il parle d’égalité.
- Il n’est dit nulle part dans la déclaration du Caire que la femme a les mêmes droitsque l’homme. L’article 6 sur l’égalité est ainsi rédigé : « a) La femme est l’égale de l’homme dans la dignité humaine ; ses droits sont équivalents à ses devoirs. Elle a une personnalité civile, une responsabilité financière indépendante, et le droit de conserver son nom patronyme et ses liens de famille. b) Le mari a la charge de l’entretien de la famille et la responsabilité de sa protection ». Bien au contraire, la femme est confinée à son environnement propre de droits et de devoirs.
- L’article 5 sur le mariage définit la même inégalité de statut : « a) La famille est l’élément de base dans la construction de la société ; le mariage est le fondement de sa constitution. Les hommes et les femmes ont droit au mariage, et aucune restriction quant à la race, la couleur ou la nationalité ne les empêchera d’exercer ce droit. ». La religion n’est pas mentionnée quand l’article parle de « sans aucune restriction » parce que la femme musulmane n’a pas le droit, selon la charia, de se marier avec un non-musulman.
V-Reste maintenant à examiner le document évoqué plus haut et tout récemment issu de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme du Conseil de l’Europe et intitulé « Compatibilité de la charia avec la Convention européenne des droits de l’homme : « des Etats parties à la Convention peuvent-ils être signataires de la « Déclaration du Caire » ? »
Dans ce document, la commission, rappelant que la CEDH a déjà déclaré que «l’institution de la charia et d’un régime théocratique est incompatible avec les exigences d’une société démocratique» écrit que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est préoccupée par le fait que trois Etats membres du Conseil de l’Europe, Albanie, Azerbaïdjan et Turquie, sont signataires de la déclaration du Caire, comme la Jordanie, le Kirghizstan, le Maroc et la Palestine dont les parlements jouissent du statut de partenaires pour la démocratie auprès de l’Assemblée. Elle estime qu’en matière de droits de l’homme, il n’y a pas de place pour les exceptions religieuses ou culturelles ; bien que figure aussi dans le résumé du rapport cette phrase énigmatique : « Une compréhension réciproque de la charia et de la Convention européenne des droits de l’homme doit être favorisée »…
L’Assemblée appelle ainsi l’Albanie, l’Azerbaïdjan et la Turquie, ainsi que la Jordanie, le Kirghizstan, le Maroc et le Conseil législatif palestinien, à soit envisager leur retrait de la Déclaration du Caire ; soit « utiliser tous les moyens dont ils disposent pour faire des déclarations visant à garantir que la Déclaration du Caire de 1990 n’ait aucun effet sur leur ordre juridique interne susceptible d’être incompatible avec leurs obligations de Parties à la Convention, s’il y a lieu » ; soit à envisager d’adopter un acte formel qui établisse clairement la primauté de la source de normes obligatoires et contraignantes qu’est la Convention.
Ceci étant, pourquoi un nouveau rapport sur cette question de compatibilité puisque, comme le rappellent à la fois G.Puppinck dans son article et le rapporteur, la CEDH a déjà statué ? C’étaitdonc en 2003 et c’est l’histoire d’un parti politique, le Refah, accusé par le gouvernement turc de vouloir mettre en œuvre la charia en Turquie et qui avait été dissous.
Le Gouvernement et la Cour constitutionnelle de Turquie avaient estimé que la charia était incompatible avec la démocratie et le système de la Convention des droits de l’homme, et qu’un Etat théocratique ne peut être un Etat démocratique, comme en témoignait l’expérience historique turque à l’époque ottomane.
Dans son arrêt, la CEDH partageait l’analyse effectuée par la chambre turque quant à l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention :
«la Cour reconnaît que la charía, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictés par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses.(…) Selon la Cour, un parti politique dont l’action semble viser l’instauration de la charia dans un Etat partie à la Convention peut difficilement passer pour une association conforme à l’idéal démocratique sous-jacent à l’ensemble de la Convention.»
La CEDH rappelait aussi que
« la liberté de religion, y inclus la liberté de la manifester par le culte et l’accomplissement des rites, relève d’abord du for intérieur. La Cour souligne sur ce point que le domaine du for intérieur est tout à fait différent de celui du droit privé, ce dernier concernant l’organisation et le fonctionnement de la société tout entière. Personne ne conteste devant la Cour qu’en Turquie chacun peut suivre dans sa sphère privée les exigences de sa religion. En revanche , la Turquie , comme toute autre Partie contractante , peut légitimement empêcher que les règles de droit privé d’inspiration religieuse portant atteinte à l’ordre public et aux valeurs de la démocratie au sens de la Convention (par exemple les règles permettant la discrimination fondée sur le sexe des intéressés, telles que la polygamie , les privilèges pour le sexe masculin dans le divorce et la succession) trouvent application sous sa juridiction. La liberté de conclure des contrats ne saurait empiéter sur le rôle de l’Etat consistant à organiser d’une façon neutre et impartiale l’exercice des religions, cultes et croyances. »
Et où l’on s’aperçoit finalement que la CEDH avait effectivement déjà traité à propos de la Turquie du sujet soulevé par l’affaire Molla Sali c. Grèce et aurait pu simplement se référer à l’arrêt ci-dessus, comme le faisait à juste titre remarquer G.Puppinck.
La question en suspens est alors de savoir pourquoi la CEDH a esquivé le renouvellement de son avis clair sur l’incompatibilité des deux sources de droit.
On se rappelle d’ailleurs, toujours à propos de la CEDH, la décision de cette dernière en date du 25/20/2018 à propos de Mme S., en Autriche. A la faveur de deux séminaires intitulés « Informations de base sur l’islam », au cours desquels elle évoqua le mariage entre le prophète Mahomet et la jeune Aïcha alors âgée de six ans et le fait que ledit mariage aurait été consommé lorsque celle-ci avait neuf ans, Mme S. avait déclaré que Mahomet « aimait le faire avec des enfants » et s’interrogeait en ces termes : « un homme de cinquante-six ans avec une fille de six ans (…) De quoi s’agit-il, si ce n’est de pédophilie ? ». Elle avait été condamnée par les juridictions autrichiennes.
La CEDH conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a jugé que « les juridictions nationales ont soigneusement mis en balance le droit de celle-ci à la liberté d’expression et le droit des autres personnes à voir protéger leurs convictions religieuses, et qu’elles ont servi le but légitime consistant à préserver la paix religieuse en Autriche ». Elle dit qu’en considérant les déclarations litigieuses comme ayant outrepassé les limites admissibles d’un débat objectif, et en les qualifiant d’attaque abusive contre le prophète de l’islam risquant d’engendrer des préjugés et de menacer la paix religieuse, les juridictions nationales ont avancé des motifs pertinents et suffisants à l’appui de leurs décisions. Ajoutons que la CEDH avait également « remarqué que l’objet de la présente affaire revêt un caractère particulièrement sensible et que les effets (potentiels) des déclarations litigieuses dépendent dans une certaine mesure de la situation dans le pays où elles ont été formulées, à l’époque et dans le contexte où elles ont été faites. ».
Au fait, qui craint-on de voir mettre en cause la fameuse « paix religieuse » en Autriche ? Ne pourrait-on y voir simplement la peur de représailles provenant d’organisations ou d’individus musulmans ?
Prochaine étape : on suivra avec attention le débat du 22/01/2019 sur la présentation du rapport sur la compatibilité de la charia et de la Convention européenne, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et les conclusions qui seront prises.
Le combat juridique contre l’islamisation de l’Europe est véritablement un combat de tous les instants.