"Il y a une idée centrale dans mon projet, c'est redonner la parole au peuple français par le référendum", déclarait le président sortant, Nicolas Sarkozy, le 15 février, sur TF1 en se déclarant candidat pour un second mandat. Il entend donc "faire trancher" par les Français "les grands arbitrages", et ce"chaque fois qu'il y aura un blocage" ! Une proposition de nouveau défendue par M. Sarkozy, mercredi soir, sur France 2. Dans Les enjeux 2012 de A à Z ; abécédaire de l’anticrise, qui vient de sortir en librairie (coédition l’Harmattan / Association pour la fondation de Service politique), vous pouvez lire ceci à la rubrique « référendum » :
« Cette possibilité est étonnamment peu utilisée en France. Pourquoi ? En partie parce qu’il s’agit d’une opération assez lourde et coûteuse, mais sans doute plus encore parce que nos dirigeants n’aiment pas avoir à aire au peuple souverain. Les parlementaires peuvent être manipulés pour voter « dans le bon sens » : sauf implantation locale extraordinairement forte, leur réélection dépend largement du parti, sur lequel le Président ou le Premier ministre exerce un assez fort contrôle. Le peuple, lui, est moins facile à orienter : le référendum sur la constitution européenne l’a démontré il n’y a pas si longtemps.
De plus, pour consulter l’ensemble des citoyens il faut avoir une bonne raison, un choix stratégique clair concernant un enjeu important. Les réformes de la Constitution qui se sont multipliées depuis vingt ans n’avaient pas ces propriétés : elles relevaient du bricolage institutionnel, manifestaient la petitesse des préoccupations du microcosme [1], elles n’étaient pas « montrables » au peuple. L’abandon de la procédure que la Constitution présente comme naturelle, au profit de celle qui, dans l’esprit de la constitution, devrait être l’exception, est ainsi très révélatrice de la médiocrité des réformes. »
Je suis donc de ceux qui se réjouissent de penser que, peut-être, les Français seront davantage consultés de cette manière. Ma joie est cependant conditionnelle : ce serait un non-sens de faire se prononcer l’ensemble du corps électoral sur une question technique relative au droit des étrangers, qui ressortit inévitablement à la fois des droits civil, administratif, social et pénal, avec un impact très fort du droit européen et de divers traités internationaux ; il est étonnant que le Président-candidat ait choisi cet exemple, ainsi d’ailleurs que « la question du chômage, de l’indemnisation du chômage et de la formation des chômeurs », avec comme point particulier l’obligation pour un chômeur ayant suivi une formation d’accepter « la première offre d’emploi correspondant au métier pour lequel il aura été nouvellement formé. » Un référendum doit porter sur de grandes orientations, des principes directeurs, pas sur des modalités pratiques.
Soit par exemple le problème des retraites. Poser par référendum la question du remplacement par un régime unique, obéissant à quelques principes simples, des trois douzaines de régimes actuels de retraite par répartition, cela aurait du sens. En revanche, demander s’il faut relever les âges légaux de la retraite de 2 mois par an ou de 3 mois serait absurde : normalement ce n’est même pas aux parlementaires d’en décider, mais aux actuaires !
De même pourrait-on demander aux Français si les élections législatives doivent comporter ou non une dose de proportionnelle, mais les interroger sur le détail du découpage des circonscriptions serait ridicule.
Leur faire adopter la « règle d’or » - la vraie, à savoir l’équilibre budgétaire et celui des finances sociales, et même un excédent le temps de résorber une bonne partie de l’endettement public actuel – serait très souhaitable : pour s’engager dans cette voie qui exigera des sacrifices de tout le monde, avoir l’approbation de la majorité des Français qui choisiront de donner leur avis est très utile, si ce n’est même indispensable. En revanche, il serait saugrenu de les faire se prononcer à la place du Parlement sur une loi de Finances, texte technique totalement rébarbatif, tout comme l’était le projet de constitution européenne.
En matière européenne, s’il était grotesque de soumettre un tel fatras au référendum, il aurait été légitime et très utile de poser deux ou trois questions importantes concernant l’avenir de l’Union européenne et de la Zone euro, par exemple : doit-on évoluer vers une Europe à deux vitesses, composée d’une confédération pour les pays ayant adopté l’euro, et d’un marché commun pour tous les États-membres ? La solidarité européenne doit-elle ou non aller jusqu’à mettre le contribuable français à contribution pour éviter la faillite des pays européens les moins bien gérés ? La Commission doit-elle continuer à règlementer l’affinage des fromages et la taille des nectarines, ou respecter le principe de subsidiarité ?
Bref, le Souverain, c’est-à-dire le peuple français, ne doit pas être dérangé pour régler des points de détail, mais consulté pour choisir des orientations stratégiques et ratifier des principes à partir desquels ses représentants légiféreront et ses gouvernants agiront. Encore faut-il pour cela un Président de la République qui sache distinguer l’essentiel de l’accessoire, la stratégie de la tactique, et les réformes systémiques des réglages paramétriques.
Pour commander l'Abécédaire de Jacques Bichot :
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- ou contacter la Fondation au 01 47 53 05 50
[1] Expression employée par Raymond Barre pour désigner le petit monde dans lequel gravitent les personnalités politique.
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