L'AMF, instance de surveillance de la bourse a transmis au parquet de Paris une note d'étape sur de possibles délits d'initiés au sein du groupe EADS. Sont visés dans cette note vint-et-un dirigeants et actionnaires du groupe qui, entre novembre 2005 et mars 2006, ont vendu un nombre très important d'actions de la société alors que le cours était au plus haut.
Ils l'ont fait peu avant que, le 13 juin 2006, EADS officialise d'importants retards de livraison de l'Airbus A 380 et décrive quelles en seraient les conséquences financières sur elle-même et sur sa filiale Airbus.
Aussitôt après, le cours de l'action EADS a perdu plus de 25% de sa valeur. Il s'en est suivi une remise en cause de l'ensemble de la direction générale du groupe, de fortes tensions entre partenaires français et allemands, et la complète réorganisation du dispositif qui a même mobilisé le président de la République.
Ces ventes, notamment celles des deux principaux actionnaires, Lagardère et Daimler, qui s'étaient l'un et l'autre allégés de 7,5% de leurs participations, avaient aussitôt soulevé des interrogations. M. Arnaud Lagardère s'était défendu en déclarant qu'il préférait passer pour incompétent (en n'ayant pas su ce qui se passait dans la société) que malhonnête. Dans ce contexte, le fait que la note d'étape de l'AMF, normalement confidentielle, ait fait l'objet d'une fuite n'est pas anodin. Sans doute faut-il y voir une torpille lancée contre d'anciens dirigeants qui ne s'étaient pas fait que des amis ; et une précaution prise par quelqu'un contre tout risque d'enlisement de l'affaire.
La difficile preuve du délit d'initié
En effet le délit d'initié est très difficile à prouver. Il consiste à utiliser une information non publique qui, si elle était publiée, aurait une incidence sur les cours, pour réaliser un profit en achetant ou vendant les actions d'une société cotée en bourse. La difficulté réside dans le fait que l'accusation doit apporter la preuve que ces achats ou ventes ont été réalisés sur la base de ces informations dite privilégiées et non pour d'autres raisons. Or les bonnes raisons existent très souvent. C'est pourquoi le juge pénal parvient rarement au stade de la sanction. On verra bien...
Le détournement de l'actionnariat salarié
La réflexion que l'on peut introduire à cette occasion est d'un autre ordre, plus fondamental : elle concerne le principe même de l'actionnariat salarié, et plus encore celui des dirigeants.
Il est communément admis que l'actionnariat des salariés est souhaitable afin de renforcer la cohésion du personnel autour de l'entreprise, de l'associer à ses succès et de faire bénéficier chacun de l'accroissement de valeur auquel il a contribué. C'est vrai, mais... Et le mais est sérieux.
L'objectif initial a été très largement détourné, en particulier dans les grandes sociétés cotées en bourse, et plus encore lorsqu'il s'agit des cadres dirigeants. Les stock-options et, à moindre degré, les distributions gratuites d'actions, sont devenus en pratique des compléments de rémunération purs et simples, assis sur l'avantage fiscal dont bénéficient aujourd'hui les plus-values mobilières par rapport aux salaires. Comment s'étonner ensuite que l'État, par la voix du président de la Cour des comptes en dernier lieu, en taxant davantage les plus-values réalisées et en les soumettant aux cotisations sociales, cherche à récupérer les recettes fiscales ou sociales qui lui ont été soustraites.
La défense de l'actionnariat salarié par ses promoteurs serait plus convaincante si l'usage qui en est fait était plus conforme à son objet, en particulier s'il n'était pas aussi souvent réservé à un petit nombre de dirigeants.
Comment gérer le conflit d'intérêt ?
En second lieu, il faut souligner le conflit d'intérêt structurel dans lequel se trouvent les dirigeants des sociétés cotées. Par définition, ils sont initiés : ils en savent forcément davantage que le public sur l'état réel de leur entreprise, sur ses perspectives et ses difficultés. Or tout ne peut pas être publié, soit que les informations n'aient pas un degré de certitude suffisant, soit qu'il faille protéger la société contre ses concurrents. Comment gérer ce conflit ? La solution la plus sage consisterait à ne pas être actionnaire ; ne serait-ce que pour éviter toute suspicion quant à la motivation de leurs décisions (l'intérêt à long terme de l'entreprise, ou le cours de bourse ?). À défaut, la solution adoptée par certains consiste à confier la gestion de leur portefeuille à un gérant indépendant qui s'interdit d'acheter en bourse les actions de l'entreprise et qui, selon un programme préétabli et publié, vend régulièrement au fil de l'eau celles qui leur sont attribuées, indépendamment des fluctuations boursières.
Manifestement, les dirigeant d'EADS avaient omis cette prudence élémentaire ; les voilà rattrapés par ce qui apparaitra aux yeux du public comme un excès d'avidité. Au risque que le principe même de l'actionnariat salarié finisse par en pâtir.
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