La vision est celle d'une reprise laborieuse. En France, comme en Europe, il ne peut y avoir de forte activité notamment industrielle, que tirée par la demande la mondiale qui enclenche le processus vertueux de croissance et d'emploi (reconstitution des stocks, investissements, demande des ménages), comme en 1997 et 1999.
La demande interne sera d'autant moins tonique que la croissance sera moins "riche en emplois" et que l'investissement reste contraint.
Un soutien extérieur modeste. Le sursaut des exportations au début de l'année a été le principal moteur de la reprise (demande américaine et asiatique, échanges interindustriels, notamment en biens intermédiaires, au sein de l'Union européenne avec le ralentissement du déstockage). Nulle part dans le monde, la demande d'équipements sera vigoureuse, faute d'un redressement significatif des investissements avant la mi 2003, notamment en Europe. En Europe toujours, la lourdeur de la consommation, et d'abord allemande, pénalise les exportateurs français. Enfin, les réserves de compétitivité sont remises en cause par l'appréciation de l'euro vis à vis du dollar, mais aussi du sterling (très sensible pour le secteur automobile).
Une demande des ménages hésitante. "Socle" de la croissance en 2001, la consommation s'est nettement ralentie après l'été 2001, et encore au début 2002 : décélération du pouvoir d'achat et des créations d'emploi, remontée du chômage, dégradation de la confiance des ménages, accélération de l'inflation.
Des indicateurs récents "tous azimuts" confirment l'incertitude: redressement au premier trimestre de l'activité et des perspectives dans les services aux particuliers; contraction des achats de produits manufacturés en mai (-1,3 pour cent) qui fait plus qu'annuler le rebond d'avril; chute des immatriculations automobiles de 8 à 9 pour cent en mai puis en juin (-3,8 pour cent entre le premier semestre 2001 et le premier semestre 2002); repli en mai et juin des ventes des détaillants dont les intentions de commandes se stabilisent néanmoins à un niveau supérieur à la moyenne de longue période; léger repli des permis de construire et des mises en chantier dans le logement, mais bonne résistance de la maison individuelle malgré la baisse des prêts à taux zéro; baisse en juin du moral des ménages après un regain de confiance en mai (à un niveau nettement plus bas qu'il y a un an).
Perspectives modérées : les ménages sont peu enclins à s'endetter (la progression de l'encours des crédits de trésorerie a diminué de moitié depuis un an, pour s'élever à 5,6 pour cent au début du printemps). La consommation bénéficiera de la décélération des prix d'autant que le retour à la parité de un euro pour un dollar allègera l'inflation importée, ainsi que de la baisse de 5 pour cent des impôts.
Elle sera en revanche freinée par un moindre dynamisme de l'emploi: déjà, la progression de l'emploi est tombée de 4 pour cent à 1 pour cent entre la mi 2000 et le premier trimestre 2002 (+180 000 sur un an, chiffre qui recouvre une baisse de 55 000 dans l'industrie manufacturière). Les perspectives d'embauche à 6 mois sont prudentes (enquêtes INSEE trimestrielles d'avril ou mai auprès des entrepreneurs): redressement dans les services, moindre dégradation dans l'industrie, stabilité dans le Bâtiment. En revanche, l'enquête auprès des directeurs d'achat ne laisse pas entrevoir d'amélioration dans aucun secteur. Surtout, après deux années 2000 -2001 où la croissance est allée intégralement à l'emploi sans rien pour la productivité du travail, un nouveau partage s'impose entre emploi et productivité pour rétablir les marges des entreprises et renforcer leur compétitivité. Cette modération de l'emploi -toutes choses égales par ailleurs- empêchera que la consommation soit le moteur d'une reprise véritable.
Une demande des entreprises sous contrainte
Le déstockage s'est poursuivi au 1er trimestre 2002 (un gros point de PIB, comme au dernier trimestre 2001). Il devrait donner lieu aux 2ème et 3ème trimestres, à un rebond technique, mais sûrement pas de même ampleur (reprise sans euphorie dans le papier carton, stagnation dans la sidérurgie, rebond au printemps ans la chimie, recul de l'activité récente et stagnation des intentions de commandes des grossistes dans les biens intermédiaires). Il n'y a de fait aucune raison de restocker symétriquement au mouvement de déstockage!
- Le moteur de l'investissement tourne au ralenti. Dans le secteur de l'équipement, le marché intérieur des producteurs ne témoigne d'aucun sursaut, et les intentions de commandes des grossistes cessent de baisser pour les matériels destinés à l'industrie (la dégradation continue pour ceux destinés au BTP et aux services). Le net retournement des permis de construire non résidentiels depuis le début 2002 (-10 pour cent sur un an) commence à se propager sur les mises en chantier. La situation au deuxième trimestre est plus difficile que prévu il y a encore quelques mois (quasi stagnation) dans le secteur informatique (SSII) qui ne voit guère d'amélioration avant la fin de l'année. Les immatriculations de véhicules utilitaires ont cessé de baisser, mais ne se redressent pas.
Pourtant, les besoins d'investissement existent: taux d'utilisation des capacités de production sur la tendance de moyenne période, cas unique dans une phase de basse conjoncture; raccourcissement du cycle de l'investissement (part croissante des équipements à faible durée de vie dans le stock de capital, notamment des NTIC qui en représentent 10 pour cent, contre 4,5 pour cent en 1990). Mais les entreprises sont contraintes financièrement. Les comptes sur le 1er trimestre 2002 que vient de publier l'INSEE ne marquent aucune amélioration par rapport à la fin 2001, avec des résultats d'exploitation les plus mauvais depuis 20 ans (taux de marge de 30 pour cent de la valeur ajoutée, taux d'épargne brute de 12,3 pour cent valeur ajoutée , taux d'autofinancement de 60 pour cent,pression fiscale de 25,5 pour cent du revenu disponible avant impôt, charges financières nettes de 20,7 pour cent de la marge brute...). Le léger mieux de la productivité en début d'année ne compense pas le recul du dernier trimestre 2001...
Simultanément, les crédits à l'investissement continuent de progresser selon un rythme proche de 10 pour cent sur un an en mai , alors que les crédits de trésorerie continuent de baisser (-10 pour cent sur un an), malgré tous les signes de problèmes de liquidités: pression sur les prix (stagnation ou baisse des prix de vente industriels, orientation à la baisse des prix et compressions des marges à l'exportation que la remontée de l'euro ne peut qu'accentuer. On ne doit pas exclure une révision en baisse des budgets d'investissement des industriels en octobre (-2 pour cent dans l'enquête d'avril). Tout se passe comme si les entreprises se trouvaient contraintes d'autofinancer leur cycle d'exploitation – au risque de fragiliser un peu p;lus la reprise-, et donc d'emprunter davantage à long terme pour financer investissements en baisse!
Pour les 5 premiers mois 2002, les défaillances d'entreprise ont augmenté de 15 pour cent sur un an, avec une montée de la part des grosses PME. Tous les secteurs sont touchés : télécom, négoce de matériel informatique, transports routiers, services aux entreprises (SSII), sous-traitance de l'équipement (les grands donneurs d'ordre répercutent sur leurs fournisseurs la contrainte de réduire leurs coûts, sous la pression de la concurrence internationale), recentrage de l'activité de grands groupes étrangers qui se défont de certaines unités en France pour améliorer leurs comptes...
Croissance 2002 : un profil en cloche !
- Finalement, tout se passe comme si les entreprises étaient dans une phase d'entrée plus que de sortie de crise: taux d'utilisation des capacités élevé au regard de l'activité, structures de financement défavorables, accès difficile sinon impossible aux capitaux extérieurs (crise boursière; crédit crunsh?), dette privée élevée, finances publiques sous surveillance...
De ce fait, on ne peut escompter plus qu'un sursaut technique d'ici la rentrée, qui se dégonflera ensuite. Un rapide survol sectoriel suffit pour s'en convaincre: amélioration sans euphorie dans le papier carton, baisse ralentie dans l'intérim, pas d'accélération dans la chimie, recul dans le Bâtiment et les Travaux publics, quasi stagnation dans les services informatiques, recul dans les activités de transports (transports industriels et messagerie) et de logistique, nouvelle contraction dans le textile, reprise compromise dans l'automobile, stagnation dans la sidérurgie... Ce ne sont pas les échos d'une franche reprise...
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