Des prêtres qui réclament publiquement le départ de leur évêque, c'est l'incroyable situation du diocèse d'Avignon où les orientations pastorales de Mgr Cattenoz suscitent un rejet. Une crise emblématique où se heurtent deux visions du rôle de l'évêque et de l'avenir de l'Église.
LE SCANDALE éclate le 3 février. Lors du conseil presbytéral où sont réunis les 28 conseillers de l'archevêque, six curés doyens donnent leur démission pour protester contre les orientations pastorales de Mgr Jean-Pierre Cattenoz. Un membre du conseil épiscopal les rejoint le lendemain. Quatre jours plus tard, l'affaire s'étale dans les colonnes du quotidien local, Vaucluse matin. Sur le blog du journal, un déluge de commentaires : des prêtres et des laïcs se déchaînent contre leur archevêque, demandant son départ le plus vite possible .
D'après Vaucluse matin, qui revient sur le sujet le 8 et le 9 février, c'est Mgr Cattenoz qui a mis le feu aux poudres en annonçant que les paroisses devraient reverser une partie de leurs ressources au diocèse . Car l'opposition à Mgr Cattenoz n'a jamais désarmé depuis son arrivée. Depuis plusieurs mois, la communication devenait de plus en plus difficile entre l'archevêque et une partie de ses prêtres.
Pour Mgr Cattenoz, la priorité des priorités, c'est l'évangélisation. Je ne suis pas un préfet catholique d'un diocèse en perdition a-t-il l'habitude de dire. Dans un diocèse en panne de vocations, où les communautés religieuses vieillissent et disparaissent, le temps n'attend pas. L'archevêque appelle des communautés nouvelles, et attire des prêtres étrangers. Les nouveaux arrivants viennent du Brésil, d'Espagne, d'Afrique, de Pologne, mais aussi de France (Chemin néocatéchuménal, congrégation Saint Jean)... Sans prendre beaucoup de gants, il redessine la carte paroissiale du diocèse, déplace des prêtres, implante ces communautés (souvent dans des quartiers difficiles ou à l'abandon), leur confie même des paroisses.
Quelles priorités ?
Bousculé, une partie du clergé local rechigne. Officiellement, un majorité de prêtres se réjouit du sang frais qui arrive dans le diocèse, mais c'est le rythme imposé qui ne plaît pas : Ça fait deux ans qu'on lui demande d'arrêter, dit l'un des prêtres frondeur à Vaucluse matin. Nous n'avons pas le temps de les intégrer, d'apprendre à les connaître. Il n'y a plus de fraternité.
Plus de fraternité ? Le constat étonne quand l'hospitalité chrétienne devrait se déployer avec joie pour accueillir ceux et celles qui acceptent de tout quitter pour servir le Christ dans un pays lointain, au service de l'évangélisation. Sur le blog de Vaucluse matin, devenu le forum des opposants à l'archevêque, quelques voix tentent d'appeler à la raison. Un jeune prêtre explique : Le problème d'intégration avancé par certains prêtres n'est pas du tout fondé, car ces communautés s'intègrent relativement bien. Je les fréquente toutes, et je sais ce dont je parle. Le problème est ailleurs, car je le dis en toute franchise, certains prêtres ne supportent pas la ferveur et l'enthousiasme que créent ces communautés-là, au lieu de s'en réjouir pour l'édification de la communauté.
Mais le mal est profond. Un internaute écrit : Communautés nouvelles, partez s'il vous plaît. Nous n'avons pas besoin de vous. Vous êtes en train de détruire la fraternité dans notre diocèse où tout marchait très bien avant votre arrivée. La venue de ces communautés initialement voulue pour alléger le fardeau des prêtres diocésains et donner un nouvel élan missionnaire a donc été mal comprise ou mal acceptée.
Ce changement radical qui s'opérait dans le diocèse nécessitait sans doute une préparation, un accompagnement, un respect plus importants des prêtres et des laïcs en service. À en croire certaines réactions, Mgr Cattenoz n'aurait pas pris suffisamment le temps d'amener ses prêtres à une décision inéluctable mais qui demandait un peu de temps, d'écoute, de diplomatie et d'échanges de vue. C'est pourtant ce qui avait été proposé lors de rencontres importantes comme les forums nationaux Communion et Evangélisation (2006, 2008), mais délibérément boycottée par les démissionnaires. Urgence ou patience ? Mgr Cattenoz a tranché : ne pas attendre. Le résultat est là : sur 85 prêtres en activité, 28 séminaristes sont incardinés dans le diocèse (dont 8 Vauclusiens). Combien de diocèses peuvent en dire autant ? Mais les conséquences sont lourdes.
Une Église blessée
L'affaire est grave : cette division blesse l'Église et révèle les faiblesses de quelques catholiques, incapables de renouveler leur mode de penser et d'agir en communion avec d'autres chrétiens qui ne partagent pas leur sensibilité, certains préférant mettre en péril l'unité de leur communauté plutôt que de changer leurs habitudes.
Là où est l'évêque, là est l'Église disait saint Ignace d'Antioche. On ne critique pas un évêque comme on critique un sous-préfet. Que l'on soit ou non d'accord avec lui, que sa personnalité soit ou non difficile à supporter, il est le successeur des apôtres, institué pour être le médiateur de la grâce du Christ. Il est le principe visible et le fondement de l'unité dans son Église particulière. C'est à lui qu'est conférée la plénitude du sacerdoce, les prêtres n'étant que les coopérateurs de la mission de celui à qui est confiée la charge de rendre témoignage de l'Évangile de la grâce de Dieu (Lumen gentium, 21).
Le devoir d'un catholique est d'obéir. Si un désaccord survient avec l'évêque de son diocèse sur ce pour quoi il a autorité, il est légitime de débattre, mais il existe des instances de conseil et des procédures prévues pour cela. Mgr Cattenoz n'a jamais refusé de recevoir qui que ce soit (cf. son communiqué, ci-dessous). On objecte sa personnalité : Le problème du diocèse, c'est Mgr Cattenoz lui-même affirment publiquement les prêtres démissionnaires (La Croix, 18/02). On sait que dès sa nomination, Jean-Pierre Cattenoz s'est vu reproché d'être un religieux (il est membre de Notre-Dame de Vie). Lui-même prêtre du diocèse, il est connu pour être un esprit libre, déterminé, et sans doute peu maniable . D'emblée, on l'a jugé selon des critères plus psychologiques et politiques que spirituels : est-ce ainsi qu'un prêtre peut s'unir et coopérer à la plénitude du sacerdoce ?
Jeter sur la place publique son désaccord avec son évêque est une atteinte très grave à l'unité de l'Église et une source de scandale, surtout de la part de prêtres. Il est en effet illogique qu'un ministre de l'eucharistie célèbre le sacrement de l'unité par excellence sans une véritable communion avec l'évêque (cf. Ecclesia de eucharistia, 39). Certes un des prêtres démissionnaires affirme n'avoir pas voulu divulguer leur décision. On peut cependant s'étonner de la facilité avec laquelle l'information s'est répandue, et le retentissement qui lui a été donnée. Mais publique ou pas, la manœuvre est une provocation. Affirmer dans La Croix que la situation est bloquée trahit une volonté de déstabilisation peu spirituelle. Les mots employés évoquent davantage la rhétorique politique que le service du bien commun. C'est une fuite en avant irresponsable, indigne de prêtres de Jésus-Christ, quelle que soit les erreurs de leur pasteur. Bien des schismes sont nés ainsi, à commencer par le schisme lefebvriste. Une Église où le rapport de force ferait la loi, où les minorités agissantes dicteraient leur volonté, ne serait plus l'Église.
L'avenir de l'Église
Reste l'objet lui-même de la contestation. Il est significatif que la contestation ait éclaté sur des motifs financiers. Pour certains, c'était une manière de montrer que la critique portait plus sur la forme que sur le fond. Pour d'autres, c'est le fond qui gêne. L'argent parle. Toujours dans Vaucluse Matin, un curé assure que les communautés nouvelles, ça coûte énormément d'argent au diocèse, sans l'assurance de les voir rester . On explique aussi benoîtement dans La Croix que l'archevêque s'est mis dans une situation financière difficile : L'évêque, qui ne nous a jamais demandé notre avis, nous demande de boucher des trous qu'il a lui-même creusés. On est surpris par le manque de compréhension des priorités. Mgr Cattenoz a voulu une communauté religieuse par doyenné. Son but : une présence de prière au cœur des paroisses. Dans La Croix, un doyen s'étonne : Les carmélites brésiliennes perçoivent chacune 650 € par mois "au même titre qu'un prêtre diocésain alors qu'elles n'ont aucune activité définie". En dehors du fait que la plupart des prêtres ont d'autres ressources comme les honoraires de messe, pour ce prêtre, une carmélite, ça ne sert à rien.
Pas étonnant que le père évêque ait du mal à se faire comprendre. Le partage de la générosité des fidèles des paroisses, est d'usage dans la plupart des diocèses. Mais c'est souvent en s'intéressant de trop près aux budgets des paroisses pour harmoniser les efforts de tous que les économes diocésains rencontrent des blocages. Beaucoup d'évêques en ont fait l'amère expérience. En Avignon, le refus de certains curés de grandes paroisses du diocèse de partager leurs ressources s'explique par la volonté de ne pas suivre les orientations pastorales de l'évêque, de récuser sa conception de l'évangélisation, et au final de refuser son pouvoir propre dans un domaine qui est le sien.
Les souffrances invoquées contre le gouvernement de Mgr Cattenoz, et les griefs concernant son style propre, illustrent le choc de deux écoles : la pastorale de l'enfouissement et la dynamique de la nouvelle évangélisation. Dans un diocèse qui s'étiole, un jeune évêque renverse les perspectives. Priorité à l'annonce de Jésus-Christ, à la visibilité de l'Évangile. L'Église locale ne peut se contenter de survivre avec des fonctionnaires du culte, distribuant baptêmes et enterrements.
En réalité c'est le conservatisme, le refus de l'autre, le repli sur ses habitudes qui sont les obstacles à la nouvelle évangélisation et l'arrivée des communautés nouvelles. Nous, on est d'ici ! crie un père curé au journaliste de Vaucluse Matin*.
Rien de très nouveau. Combien de jeunes catholiques de la génération JMJ, nourris par la ferveur des communautés nouvelles et la radicalité joyeuse de leur message n'ont-ils pas entendu les reproches de prêtres formés par l'Action catholique, fidèles à leur vocation, mais touchés par l'amertume des églises qui se vident et meurtris par l'efficacité des nouveautés venues d'ailleurs ?
Partout, pour que la greffe prenne, il faut du temps et de l'attention, l'évêque envoyé par le Père pour gouverner sa famille (Lumen gentium, 28) ne peut l'oublier. Le style du gouvernement de Mgr Cattenoz pourra toujours faire débat, et faire religieusement débat, c'est ce qu'il dit et ce qu'il veut comme successeur des apôtres qui fait autorité. Là où est l'évêque, là est le Christ : Celui qui vous écoute, m'écoute ; celui qui vous rejette, me rejette et celui qui me rejette, rejette celui qui m'a envoyé (Luc 10,16).
*Et non de La Croix, comme écrit précédemment (Nda).
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