La démocratie a fait son œuvre dimanche dernier 24 novembre en Autriche, comme elle l'avait fait en France en mai et juin dernier. Elle chasse l'extrémisme et pourvu qu'il ait le choix, le peuple peut même éliminer les démagogues maladroits et convaincus de ne poursuivre que des buts personnels.
Le modèle démocratique, " le pire à l‘exception de tous les autres ", a fonctionné une fois de plus.
En dépit des prévisions pessimistes du Monde avant le week-end, qui évoquait le risque d'effondrement du parti conservateur à cause de sa mésalliance avec le parti de Jorge Haider — qui n'arrive pas à se remettre de ses dissensions internes après la démission de son leader —, l'électeur autrichien a fait un choix subtil : redonner le pouvoir aux conservateurs (avec 42,3 % des voix et 79 sièges de députés) dirigés par Wolfgang Schüssel en considérant qu'il avait été empêché par son allié de gouverner comme il l'entendait (le FPÖ étant ramené à un score de 10 % des voix (contre 26 % en 1999 et 19 sièges contre 52). Apparemment donc l'électeur réfléchit et l'électeur " statistique " (" le Souverain ") réfléchit bien.
L'alliance de la droite " classique " avec la droite " extrême ", nécessaire pour envisager une alternance après quarante-cinq ans de domination social-démocrate, n'a pas, malgré son échec relatif au gouvernement, nui à la droite classique ni fait d'elle un otage de l'extrémisme, mais l'a au contraire renforcée, à la fois dans ses principes et dans sa popularité. Elle n'y a pas perdu son âme et n'a pas été conduite à accepter de dérives inquiétantes. Le cataclysme annoncé par des médias hystériques et le sectarisme politique de l'Europe d'en haut n'a pas eu lieu.
Quoi qu'aucune situation politique ne soit véritablement semblable à une autre, on peut penser qu'il en serait aller de même hier en France si d'aventure le Front national avait réussi à (et au demeurant souhaité) participer au pouvoir au moyen d'une alliance politique similaire. Et, de cette façon, sans mettre la partie en danger, la droite française aurait pu reprendre le pouvoir dès 1988, si elle ne s'était elle-même effrayée et laissée gagner par les cris d'orfraie d'une gauche française toujours prête à relancer un comité de salut public, et à faire tomber préventivement quelques têtes.
Les élections autrichiennes (tout comme celles qui s'annoncent aux Pays-Bas) devraient permettre à tous ceux qui, sous prétexte de défense de la démocratie contre les dangers du populisme, croient que tous les coups sont permis et sont prêts en pratique à remettre bel et bien en cause les règles de fair play inhérentes à une authentique " démo-cratie ", de se rassurer (ou de cesser de faire semblant d'avoir peur). Elles les invitent ensuite à un examen de conscience et à retrouver un peu plus de confiance dans l'expression populaire. Et la foi du charbonnier pour un système de libre et équitable compétition politique pour les suffrages de l'électeur quelles que soient ses préférences personnelles.
La grande qualité de la démocratie sur le plan politique, comme celle du marché en économie, réside non pas dans le fait qu'elle fournirait une assurance vie contre l'erreur ou la démagogie, mais dans sa capacité d'autocorrection rapide et pacifique des inévitables erreurs d'appréciation. (On est pas tous les jours en 1933, dans une Allemagne revancharde dont les classes moyennes ont été ruinées par l'inflation d'après-guerre et la faillite du système bancaire.) C'est pour cette raison qu'il faut que chacun, s'il se prétend démocrate, soit prêt à accepter des résultats électoraux qui lui déplaisent, le déçoivent ou même l'inquiètent. La roue électorale tourne. La démocratie est un processus dynamique et expérimental d'actions et de réactions, d'essais et d'erreurs qu'il ne faut pas entraver si l'on veut qu'il porte ses fruits.
Plus on jouera le jeu démocratique au lieu de le fausser parce qu'on en craint les résultats circonstanciels et plus vite viendra la sanction et la correction populaire devant l'incompétence, l'arrivisme ou l'extrémisme. Car le mensonge ne résiste pas durablement à la lumière des débats, au grand air de la libre confrontation, et, a fortiori, à l'épreuve de l'expérience. Merci l'Autriche !
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