Source [Le salon Beige] Tribune parue dans LeFigaroVox le 14 décembre, par Gregor Puppinck que vous trouverez ci-dessous.
L’intention première du gouvernement était d’interdire totalement l’instruction à domicile. La Constitution y faisant obstacle, il essaie maintenant de supprimer cette liberté en la réduisant au statut d’exception au principe nouveau de la scolarisation obligatoire, et en la soumettant à un régime d’autorisation préalable. Il s’agit bien de la suppression d’une liberté, car une exception n’est pas une liberté.
Blanquer prétend, à l’appui de son projet, que la Convention européenne des droits de l’homme ne garantit pas le droit des parents de faire « l’école à la maison ». C’est beaucoup trop simpliste. Pour le comprendre, il faut se poser la question ainsi : « Des parents contraints d’arrêter l’instruction en famille en septembre prochain ont-ils une chance de gagner à la CEDH contre la France ? » La réponse est oui, car la nouvelle loi française leur aurait retiré une liberté qui entre dans le champ d’application de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces parents auraient de véritables chances de gagner, sauf si l’administration démontre que leurs enfants ne sont pas convenablement instruits ni sociabilisés.
Il est vrai que dans quelques affaires la Cour européenne a validé l’obligation de scolariser des enfants allemands instruits jusqu’alors à domicile. Mais c’est justement la preuve que l’instruction à domicile est couverte par la Convention européenne, sinon la Cour se serait déclarée incompétente. Or, dans les affaires dont elle a été saisie, la Cour a constaté à chaque fois qu’il s’agissait de situations familiales problématiques, refusant les inspections ou caractérisées par des croyances irrationnelles et une tendance associable. La Cour ne s’est jamais prononcée sur le cas d’une famille équilibrée et bien intégrée socialement, comme l’immense majorité des familles françaises concernées par cette pratique. Si ces familles équilibrées sont interdites d’instruction à domicile à la prochaine rentrée scolaire, il est fort probable que nombre d’entre elles se réunissent alors pour saisir la CEDH. Le Gouvernement, pour se justifier, devra prouver que cette atteinte à leur liberté est nécessaire – non seulement en raison de la menace islamiste – mais aussi de la situation particulière de chacune de ces familles.
L’autre argument de M. Blanquer suivant lequel le gouvernement manquerait de moyens pour assurer l’inspection des familles est aussi très faible.
Blanquer invoque l’exemple de l’Allemagne, qui interdit l’instruction à domicile, pour justifier son choix. Mais là encore, c’est mal comprendre les droits de l’homme, car la France et l’Allemagne ne sont pas dans la même situation.
Certes, la Convention européenne n’oblige pas les États à légaliser l’instruction à domicile ; mais ce constat ne confère pas aux Etats la faculté de supprimer cette liberté lorsqu’ils l’ont déjà reconnue dans leur droit national. Ainsi, lorsqu’un pays comme l’Allemagne interdit l’instruction à domicile depuis 1938 (avant d’adhérer à la CEDH), la Cour européenne estime que ce choix relève de sa marge d’appréciation, à défaut de consensus contraire au sein des Etats membres. En revanche, lorsqu’un pays autorise l’instruction à domicile, comme c’est le cas de la plupart des pays européens, il doit alors garantir cette liberté dans le respect de la Convention. Il en résulte que les éventuelles restrictions portées par l’État à l’exercice de cette liberté doivent respecter toute la Convention, notamment les dispositions relatives à la non-discrimination, à la liberté de conscience et de religion et au respect de la vie privée et familiale ; et ces restrictions sont soumises au contrôle de la Cour européenne. La Cour peut alors censurer toute restriction qui ne poursuivrait pas un but légitime, et qui ne serait pas nécessaire, c’est-à-dire proportionnée à ce but. Or, toute suppression générale d’un droit existant est par principe disproportionnée. En cela, il est possible de parler d’un « effet cliquet » des droits de l’homme, suivant lequel un État ne peut abroger un droit ou une liberté qu’il a librement reconnu dès lors qu’ils entrent dans le champ de la Convention, alors même que celle-ci ne contient pas l’obligation explicite de les reconnaître. Ce même principe est invoqué par exemple contre ceux qui voudraient mettre en cause l’abolition de la peine de mort.
La France et l’Allemagne ne sont donc pas dans la même situation. La France est plus avancée que l’Allemagne dans le respect de la liberté d’enseignement, et il est vain d’invoquer une loi, adoptée qui plus est par le régime nazi, pour justifier un recul de la liberté en France.
Il est utile de comparer la situation dans les autres pays européens. Sur les 47 pays membres du Conseil de l’Europe, 5 seulement interdisent strictement toute instruction en dehors d’établissements scolaires. Il s’agit de l’Allemagne, l’Arménie, Chypre, la Macédoine du Nord et la Turquie. Il y a donc un large consensus en Europe en faveur de cette liberté.
Comme la France actuellement, la majorité relative des pays européens soumet l’instruction en famille à une simple obligation de déclaration et de contrôle régulier des connaissances (Autriche, Belgique, Danemark, Estonie, Finlande, Géorgie, Irlande, Kosovo, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Moldavie, Monténégro, Norvège, Royaume-Uni, Russie, Slovénie et Ukraine). Dans certains pays, la déclaration et les contrôles sont même facultatifs.
D’autres pays imposent des restrictions supplémentaires. Il peut s’agir de l’obligation pour les parents de justifier de leur capacité à enseigner (Islande, Italie, Liechtenstein, Malte, Portugal, République tchèque et Serbie), ou de l’obligation de suivre le programme scolaire gouvernemental à distance (la Biélorussie et la Bulgarie). D’autres pays demandent aux parents de justifier leur choix en invoquant des motifs prévus par la loi. C’est le cas de l’Albanie, la Biélorussie et la Croatie.
D’autres encore soumettent l’instruction en famille à un régime d’autorisation préalable. C’est le régime le plus sévère. Il s’agit de la Grèce, la Hongrie, les Pays-Bas, la Roumanie, la Slovaquie, et la Suède. Le choix du gouvernement français se rattache à cette dernière catégorie, minoritaire et anti-libérale.
Dans la confusion du débat actuel, il est utile de se remémorer l’intention des rédacteurs de la Déclaration universelle puis de la Convention européenne des droits de l’homme. En 1948, ceux-ci faisaient confiance aux familles et se méfiaient de l’État. C’est l’inverse de la situation actuelle. Ils estimaient que les familles sont les bastions de la liberté face au risque constant de dérive totalitaire de l’étatisme. C’est la raison pour laquelle la Déclaration universelle proclame que « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. ». Cette priorité est l’expression de l’antériorité et de la supériorité du droit des parents sur ceux de la société. Le rédacteur de cette disposition, le libanais Charles Malik, « a souligné la nécessité d’exclure la possibilité de situations dans lesquelles les dictateurs ont le pouvoir d’empêcher les parents d’éduquer leurs enfants comme ils le souhaitent. Le contrôle de l’éducation ne peut pas être laissé entièrement à la discrétion de l’État ».
On trouve aussi des citations éloquentes des rédacteurs de la Convention dans les travaux préparatoires qui illustrent leur intention de protéger les droits naturels des parents. Ainsi, le français Pierre-Henri Teitgen, qui fut Ministre de la justice puis juge à la CEDH, déclara : il faut « garantir le droit des parents en matière d’éducation et d’enseignement contre la menace de nationalisation, d’étatisation, d’accaparement, de réquisition de la jeunesse par l’État, et ce, qu’ils aient des convictions religieuses ou simplement les convictions philosophiques de l’humanisme traditionnel ». Le député britannique Sir Maxwell Fyfe, qui participa à la conception des procès de Nuremberg, déclara quant à lui que la reconnaissance des droits des parents « a pour objet de parer à ce terrible danger du totalitarisme » qui conduit à rendre « impossible aux parents d’élever leurs enfants dans leurs convictions religieuses et philosophiques ».
C’est par respect pour les droits des parents que la Convention européenne et les textes des Nations Unies garantissent « le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement [de leurs enfants] conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ». Or, le projet de loi prévoit exactement l’inverse, à savoir que les parents ne peuvent pas invoquer leurs « convictions politiques, philosophiques ou religieuses » pour justifier leur demande d’instruire leurs enfants à domicile. C’est une contradiction flagrante de la lettre et de l’esprit des droits de l’homme. Cela montre, une fois encore, tout le mépris du gouvernement pour les religions.
Il faut aussi tenir compte de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (de 2000) qui garantit aussi « le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques » mais aussi « pédagogiques ». C’est là une ouverture importante qui rappelle que la liberté éducative est aussi au service de la qualité de l’instruction. Le plus souvent, l’instruction à domicile est choisie pour un motif pédagogique. À cet égard, le Gouvernement devrait s’interroger sur les motifs qui poussent de plus en plus de parents à choisir l’enseignement à domicile. Pour Jules Ferry, c’est l’excellence des écoles publiques qui devait inciter les parents à choisir la scolarisation. L’école doit mériter la confiance des parents.
Certes, l’islamisme fait peser sur la France un danger véritablement totalitaire, plus menaçant peut-être que celui de l’étatisme. Il est en cela légitime et nécessaire d’en préserver les enfants. Il convient toutefois de se souvenir des leçons de nos prédécesseurs, et de ne pas sacrifier la liberté des « justes ». Comme le disait le représentant de la Belgique lors de la ratification de l’article garantissant les droits éducatifs des parents, « l’enfant appartient à sa famille avant d’appartenir à l’État ».
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