[Source : Aleteia]
Au cours de la prière œcuménique pour la paix, le Saint-Père a appelé les nouvelles générations à "ne pas se laisser absorber par la force trompeuse de la vengeance".
« S’engager à poser les bases d’un avenir qui ne se laisse pas absorber par la force trompeuse de la vengeance. » Paroles prononcées place de la République, haut-lieu symbolique de la transformation radicale d’Erevan cité régionale en Erevan la grande métropole. Dans les années 1940 et jusqu’en 1992, on l’appelait la place Lénine, du nom de l’immense statue du leader soviétique qui s’y trouvait, avant qu’elle ne soit démolie à la fin de l’ère soviétique. Et c’est là que s’est tenu samedi soir le dernier rendez-vous de la deuxième journée du Pape en Arménie, annoncé également comme un des temps forts de sa visite : une rencontre œcuménique et de prière pour la paix avec le catholicos Karekin II.
Karekin II
Dans ses salutations, Karekin II a rappelé l’époque où « tout le monde est passé dans le troisième millénaire avec l’espoir que ce passage marque le début d’une nouvelle cohabitation et solidarité entre les nations ». Or, aujourd’hui « chaque journée apporte toujours son lot de nouvelles inquiétantes, révélant une hausse inquiétante des activités de guerre et des actes terroristes, d’indicibles souffrances humaines, et de pertes irréparables. En divers endroits du monde, tant de monde – enfants, adolescents, femmes et personnes âgées – continuent d’être les victimes d’armes mortelles et de violences brutales, ou forcés à prendre le chemin de la fuite, et devenir des réfugiés ».
Karekin II a ensuite évoqué la terrible époque du génocide arménien, déplorant encore une fois que la nation soit encore aujourd’hui à la merci d’une « situation de guerre non déclarée » qui les oblige à devoir protéger la paix à l’intérieur de ses frontières, en en payant un lourd tribut, et le droit des habitants du Nagorny-Karabakh « à vivre en liberté dans leur berceau maternel ». Face aux « aspirations pacifiques de notre peuple – a ajouté le Catholicos – l’Azerbaïdjan a répondu en avril dernier par des opérations militaires, violant les accords de cessez-le-feu » entre Erevan et Bakou. « Des villages arméniens ont été bombardés et détruits, des soldats chargés de veiller sur la paix ainsi que de jeunes enfants tués ou blessés, alors que des civiles pacifiques et désarmés ont été torturés. »
Le Catholicos a ensuite rappelé la liste des nouveaux pays à avoir « condamné le génocide arménien, parmi lesquels l’Allemagne, une ancienne alliée de la Turquie pendant la Première Guerre mondiale ». Il a souhaité que la Turquie sache « montrer suffisamment de courage pour affronter son Histoire, mettre fin à l’embargo illégal sur l’Arménie et arrêter de soutenir les provocations militaires de l’Azerbaïdjan ».
Pape François
Puis le Pape a pris la parole à son tour, réaffirmant sa gratitude à Dieu pour les liens de « réelle et profonde unité » qui unissent l’Église catholique et l’Église apostolique arménienne : « Le fait de nous retrouver n’est pas un échange d’idées, c’est un échange de dons (…). Nous regardons vraiment avec confiance vers le jour où, avec l’aide de Dieu, nous serons unis à l’autel du sacrifice du Christ, dans la plénitude de la communion eucharistique. Vers ce but tant désiré ».
Le courage d’un amour humble
Le Saint-Père n’a pas manqué encore une fois d’évoquer la mémoire de « tous les martyrs qui ont scellé par le sang la foi commune dans le Christ » et celle de tant d’autres témoins du long chemin parcouru derrière de grands maîtres. Un des Pères importants fut le saint Catholicos Nersès Shnorhali, qui « nourrissait un amour extraordinaire pour son peuple et ses traditions », et que l’on savait « porté vers les autres Églises, inlassable dans sa recherche d’unité », a-t-il rappelé, réaffirmant par la même occasion que cette unité, à laquelle aspirent les Églises, n’est pas « un avantage stratégique à rechercher pour servir un intérêt commun, mais ce que Jésus nous demande (…) pour réaliser notre mission : donner au monde, avec cohérence, l’Évangile ». Et pour cela, comme dit Nersès, « la bonne volonté d’une personne dans l’Église ne suffit pas (…) il faut la prière de tous (…) c’est indispensable ! ».
Le Saint-Père s’est alors attardé sur l’importance de l’amour charitable, lui seul capable « d’assainir la mémoire et guérir les blessures du passé « , lui seul capable « d’effacer les préjugés » et de faire comprendre et « reconnaître » que « s’ouvrir à son frère rend meilleur », au niveau même des convictions personnelles. Demandant un réel effort commun : « Avoir le courage de laisser tomber les convictions rigides et les intérêts particuliers, au nom de l’amour qui s’abaisse et se donne, au nom d’un amour humble ».
Petite piqûre de rappel du Saint-Père, en cette année jubilaire : « Ce ne sont ni les calculs ni les avantages, mais l’amour humble et généreux qui attire la miséricorde du Père ». Cet « amour humble » est « l’huile bénie de la vie chrétienne (…) qui guérit, fortifie et sanctifie », écrivait saint Nersès, dont les chrétiens, « eux aussi souvent repliés sur eux-mêmes et sur leurs propres intérêts » ont besoin pour « adoucir la dureté » de leurs cœurs.
Que de guerres !
« Que d’obstacles entravent le chemin de la paix, et que de tragiques conséquences à ces guerres ! », a poursuivi le Pape. De citer en particulier : toutes les populations « contraintes à tout abandonner au Moyen-Orient, où beaucoup de nos frères et sœurs souffrent violence et persécution, à cause de la haine et de conflits toujours fomentés par le fléau de la prolifération et du commerce des armes, par la tentation de recourir à la force et par le manque de respect envers la personne humaine, spécialement envers les faibles, envers les pauvres et ceux qui ne demandent qu’une vie digne ».
Devoir de mémoire
Comment ne pas faire un parallèle avec tous ces massacres subis il y a cent ans par les Arméniens ? « Je n’arrive pas à ne pas penser aux épreuves terribles dont votre peuple a fait l’expérience : à peine un siècle s’est-il écoulé depuis le ‘‘Grand Mal’’ qui s’est abattu sur vous ! » Cette « effroyable et folle extermination », a commenté le Pape, « ce tragique mystère d’iniquité que votre peuple a vécu dans sa chair, demeure imprimé dans la mémoire et brûle dans le cœur. Je veux réaffirmer que vos souffrances nous appartiennent ; le rappeler n’est pas seulement opportun, c’est un devoir : qu’elles soient un avertissement en tout temps, pour que le monde ne retombe plus jamais dans la spirale de pareilles horreurs ! » .
Mais le Pape a aussi exhorté à faire en sorte que « cette mémoire, imprégnée d’amour « , soit capable « d’emprunter des sentiers nouveaux et surprenants, où les trames de haine se transforment en projets de réconciliation ». S’engager à poser les bases d’un avenir qui « ne se laisse pas absorber par la force trompeuse de la vengeance, fera du bien à tous », a-t-il garanti. D’un avenir où, a-t-il insisté, « on ne se lasse jamais de créer les conditions pour la paix : un travail digne pour tous, le soin de ceux qui sont le plus dans le besoin et la lutte sans trêve contre la corruption, qui doit être extirpée ».
Et de… réconciliation
Le Pape a alors invité les jeunes Arméniens à devenir de vrais artisans de paix – « non des notaires du status quo, mais des promoteurs actifs d’une culture de la rencontre et de la réconciliation », a-t-il dit – avant d’exprimer son souhait le plus cher : que le peuple arménien et le peuple turc reprennent « le chemin de la réconciliation » et que « revienne la paix au Nagorny Karabakh ».
Enfin, un dernier mot à tous les Arméniens de la diaspora : qu’ils soient « des messagers de ce désir de communion » dans tous les pays où ils sont présents, conscients que « le monde entier a besoin de leur annonce, de leur présence et du « plus pur » des témoignages de leur Histoire.
Andrea Tornielli
Article publié par Vatican Insider traduit et adapté par Isabelle Cousturié.