Source [Causeur] Il ne s’écoule guère de semaine sans qu’une nouvelle initiative de la Mairie de Paris métamorphosée en bateau ivre ne suscite le rire, le désappointement et, il faut bien le dire, une forme d’inquiétude de type quasi-psychiatrique.
Après les naturistes du Bois de Vincennes, les moutons d’Ouessant sur le périphérique ou le remplacement souhaité des « père et mère » à l’état civil au profit des « parents 1 et 2 », entre autres joyeusetés sans cesse renouvelées, voici venue l’heure d’aller chanter et danser sur les tombes, avec l’opération « Printemps des cimetières » (sic) qui a fait son apparition à Paris ce 26 mai 2018.
Résonant quelque part entre le Printemps des poètes, Halloween, The Walking Dead et les Nuits blanches, parmi la myriade de fêtes imposées collectivement en toutes circonstances et sur tous sujets, l’idée, importée pour la première fois cette année en fanfares et trompettes dans la capitale, est désormais de valoriser le patrimoine à la fois culturel et écologique présent dans les nombreux cimetières de la ville à travers des animations diverses.
Le projet en lui-même n’est pas absurde, si l’on considère en effet la question sous un jour patrimonial, et de nombreux visiteurs se rendent déjà au Montmartre, au Père Lachaise ou au Montparnasse afin d’y suivre les allées conduisant aux dernières demeures célèbres ou anonymes qui en font le mystère. On comprend toutefois mal pourquoi les Journées du Patrimoine ne suffisent pas à héberger cette mise en valeur… patrimoniale quand bien même il faudrait, pour bien faire, les rebaptiser en Journées du Matrimoine. Il s’agit donc bien plutôt, on le voit, d’isoler le cimetière en tant qu’objet spécifique de curiosité festive et, ce faisant, d’en subvertir la représentation collective.
L’enjeu de ces remaniements symboliques constamment réinventés consiste à brouiller idéologiquement les repères traditionnels selon un logiciel subversif par ailleurs totalement éculé à force d’utilisation. C’est en quelque sorte devenu l’Oulipo de la subversion, selon des combinaisons qui semblent de plus en plus aléatoires et dénuées de sens.
Valoriser le vivant écologique qui s’y trouve constitue un autre aspect de l’argumentaire – et l’on attend avec impatience une animation festive sur l’activité rédemptrice et écologique des asticots -, alors qu’il est déjà parfaitement loisible à chacun de déambuler parmi les chats, les arbres et les herbes folles qui jalonnent ces lieux, d’aller, dans l’intimité de sa conscience, y méditer plus ou moins joyeusement sur la mort, la vie et le sens de cette dernière. Mais cela ne suffit manifestement pas. Ce qu’il faut, c’est danser, chanter, faire du bruit et, surtout, le faire collectivement.
On connaît l’immense et légitime fortune rencontrée par le concept d’homo festivus de Philippe Muray, et l’on ne peut que constater chaque jour l’immense fécondité de cette analyse dans son incarnation et sa quintessence parisiennes sous règne gauchiste, à l’extrême limite de la décomposition extatique du corps social.
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