Marine Le Pen a en effet raté complètement son débat, ce qui tranchait avec la bonne campagne de second tour entamée dès le lundi 24 avril. En fait, c'est davantage son comportement qui est en cause. Ces derniers mois, on avait pu constater que Marine Le Pen pouvait se montrer convaincante en matière économique devant des journalistes. Mais elle le faisait avec le ton adéquat. Ces sujets pointus nécessitent précisément du calme et de la pédagogie."
Mais d'adressait-elle aux journalistes, ou même, à son adversaire ? Il faut en effet prendre en compte le fait que bon nombre de Français ne comprennent rien en économie, sinon que la vie devient plus dure au quotidien, notamment au sein de ce que Christophe Guilluy appelle la France périphérique, et ces Français ne jugent pas un candidat sur l'équilibre du budget décrit dans le programme (et d'ailleurs ce n'est pas le sujet : on juge surtout sur la capacité d'un chef à prendre la bonne décision au bon moment).
Les médias, qu'ils soient français ou américains, fustigaient l'an passé les écarts de langage de Donald Trump face à Hillary Clinton, la candidate -là aussi- du système. Or, il s'agissait d'une véritable stratégie, gagnante aux Etats-Unis : Donald Trump n'a pas cherché à convaincre les businessmen de Wall Street, mais il a réussi à mobiliser des électeurs qui avaient voté pour le candidat d'extrême-gauche Bernie Sanders lors de la primaire démocrate perdue face à Clinton, ainsi que les abstentionnistes qui avaient perdu depuis longtemps le goût de la chose politique, chose réservée aux élites, aux gens qui comprennent les subtilités de la finance ou des relations internationales...
Ainsi, Marine Le Pen a-t-elle cherché, elle aussi, par son attitude, plutôt que par des arguments, à rallier les électeurs de Jean-Luc Mélenchon (et bon nombre à droite s'indignent de ses mesures économiques de gauche) ainsi que les électeurs qui ne se sont pas déplacés le 23 avril, ce populo qui en a "raz la casquette" de ne plus vivre en paix chez lui ou qui ne parvient pas à boucler ses fins de mois ?
A quoi servait-il à Marine Le Pen de dérouler des arguments précis et chiffrés dans la France de la téléréalité... Nous avons les élites que nous méritons. Avait-elle vraiment une chance de convaincre les catégories CSP+, qui préfèrent surveiller le cours de leurs actions en bourse plutôt que la réalité des quartiers perdus de la République ?
Elle a certainement échoué à faire craquer celui qui avait laissé entendre qu'il pourrait quitter le débat s'il servait de punching ball (était-ce même calculé afin de forcer Marine Le Pen à être sur le mode agressif ?). Il a très bien résisté et a su créer des écrans de fumée quand il le fallait, il a même su mentir. Elle a sans doute voulu montrer qu'elle est capable d'aller au charbon, ce qui fait que, unanimement, le débat a été perçu comme brutal et dur. Elle a voulu dissuader les indécis de voter pour l'héritier de François Hollande, le jouet de la haute finance et des puissants. C'est une stratégie et l'on verra très bientôt si elle aura été gagnante.
Source : Le Figaro