[Source : Nouvelles de France]
Dans son livre référence L’essence du politique (Dalloz, 2003), Julien Freund caractérise l’action politique autour de trois dimensions fondamentales : la relation du commandement et de l’obéissance, la relation du privé et du public, la relation de l’ami et de l’ennemi. Lorsqu’il s’agit des ennemis, il importe de nommer autant ceux à l’intérieur que ceux à l’extérieur du pays.
Nous allons examiner quels sont les ennemis désignés par monsieur Macron et nous chercherons à en déduire sa vision de l’homme et du monde.
Nous nous appuierons pour cela principalement sur deux textes : sa biographie Révolution publiée aux éditions XO en 2016, et sa Lettre ouverte aux LGBTI du 16 avril 2017 (https://en-marche.fr/article/lettre-ouverte-emmanuel-macron-lgbti).
1. Qui sont les ennemis de monsieur Macron ?
Examinons ses déclarations dans sa Lettre ouverte aux LBGTI pour les ennemis intérieurs :
· « Près de quatre ans après le déchaînement de réactions anti-LGBTI ayant entouré le vote de la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de même sexe … »
· « Si nous pensions qu’elle serait suffisante pour renvoyer les anti-LGBTI à un lointain souvenir, nous nous sommes collectivement trompés. »
· « Je mènerai une lutte intraitable contre la haine envers les LGBTI. »
· « Ce combat contre la haine envers les LGBTI aura pour fer de lance l’éducation. »
· « Ce combat contre la haine envers les LGBTI aura pour bouclier la justice. »
· « des combats subsistent, je suis décidé à les mener … »
· « Vous l’avez compris, ma priorité sera la lutte implacable contre les anti-LGBTI dans toutes leurs dimensions. »
Pour ce qui est des ennemis extérieurs, il les désigne dans un entretien accordé à Ouest France le 27/04/2017 :
· « Je veux que sur le non-respect des droits et des valeurs de l’Union européenne, des sanctions soient prises. Les traités le prévoient. On ne peut pas avoir une Europe qui débat de la décimale après la virgule et qui, lorsque vous avez un pays membre qui se comporte comme la Pologne ou la Hongrie, sur des sujets liés à l’université, aux réfugiés, à nos valeurs fondamentales, on décide de ne rien faire. »
Parmi les pays de l’Union Européenne, la Pologne pour ses positions sur l’avortement, et la Hongrie pour son refus d’une hospitalité inconditionnelle théorisée par Derrida, sont les deux adversaires désignés.
2. Une véritable déclaration de guerre
En désignant son ennemi – les anti-LGBTI – et en utilisant un vocabulaire de combat (fer, lance, bouclier, lutte), Emmanuel Macron vient de déclarer la guerre à son ennemi intérieur et à ses éventuels alliés extérieurs.
A ceux qui voudraient l’ignorer, écoutons l’analyse de Julien Freund de la lutte politique, de la dialectique entre l’ami et l’ennemi (propos rapporté par Pierre-André Taguieff dans son livre Julien Freund : au cœur du politique, éditions La Table Ronde, 2008): « Je crois que vous êtes en train de commettre une autre erreur, car vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitiés. Du moment qu’il veut que vous soyez son ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin. »
Les désigner anti-LGBTI est une façon négative et méprisante de cibler ceux qui défendent un ordre créationnel.
Il nous faut comprendre que ceux qui défendent la réalité d’une création, d’un ordre dans cette création, d’une loi, à la fois divine et créationnelle, qui marque les bornes stables de cet ordre, d’une chute liée au péché et d’une rédemption, sont au cœur des adversaires que comptent combattre Emmanuel Macron et les forces qui l’ont désigné comme leur chef ».
Il y a ceux qui sont en marche et les statiques, les fils de la nouvelle Révolution et les puritains.
Dans sa biographie, Emmanuel Macron nous livre :
· « Cette France, républicaine par nature, qui est la nôtre, a des ennemis. Les républicains ne peuvent jamais faire l’économie de les nommer. Ces ennemis si divers ont tous en commun d’être des rêveurs – mais des rêveurs parfois criminels –, des puritains, des utopistes du passé. Ils croient détenir une vérité sur la France. Ce n’est pas seulement un danger, c’est un contresens. La seule vérité qui soit française, c’est celle de notre effort collectif pour nous rendre libres, et meilleurs que nous sommes ; cet effort qui doit nous projeter dans l’avenir. Ces ennemis de la République prétendent l’enfermer dans une définition arbitraire et statique de ce qu’elle est et de ce qu’elle devrait être.». (Révolution, p. 50,51).
3. Le vocabulaire nietzschéen : « En marche »
« Seules les pensées qu’on a en marchant valent quelque chose » (Nietzsche, Crépuscule des idoles. Pensée 34).
Cette compréhension de la valeur du mouvement chez Nietzsche est à mettre en relation avec l’activité de la grande raison, cette « grande raison » qu’ont méprisée tous les « ennemis du corps », les adversaires de la vie, les « nihilistes », les métaphysiciens, les moralistes et leurs mensonges « sacerdotaux », les chrétiens et leur « métaphysique du bourreau », tous ceux qui ont contrarié la volonté de la vie du corps à la faveur de la « petite raison » et de la conscience – ressentiment du moi, tous les faibles.
Dans Ainsi parlait Zarathoustra, au célèbre chapitre Des contempteurs du corps, Nietzsche écrit : « C’est aux contempteurs du corps que je veux dire leur fait. Ils ne doivent pas changer de méthode d’enseignement, mais seulement dire adieu à leur propre corps — et ainsi devenir muets. Le corps est un grand système de raison, une multiplicité avec un seul sens, une guerre et une paix, un troupeau et un berger. Instrument de ton corps, telle est aussi ta petite raison que tu appelles esprit, mon frère, petit instrument et petit jouet de ta grande raison. Tu dis « moi » et tu es fier de ce mot. Mais ce qui est plus grand, c’est — ce à quoi tu ne veux pas croire — ton corps et son grand système de raison : il ne dit pas moi, mais il est moi. »
La marche devient l’expression de cette grande raison, de cette libération de Dionysos et de son projet conquérant et éducateur.
4. La posture nietzschéenne : « la France est une volonté »
La grande raison est volonté. Elle n’est pas une simple faculté de jugement, la petite raison, aiguillonnée par le ressentiment de la conscience. Elle n’est plus instrumentale pour accéder à la reconnaissance d’un ordre créationnel et de ses lois. Elle n’est même plus captive de la prison dans laquelle l’avait enfermée Kant par ses Critiques. Elle est volonté, créatrice de valeurs, de nouvelles possibilités de vie. Elle est une volonté de transmutation des valeurs.
· « Notre pays, pour faire face à ses défis, ne peut se tenir uni, réconcilié, que par une volonté. Une volonté qui donne un mouvement, dessine des frontières qui en même temps rassemblent et donnent un sens à ce qui nous dépasse. Oui, la France est une volonté ». (Révolution, p. 169).
5. Les conquêtes de Dionysos : PMA, GPA
Dans ce sens, Dionysos doit imposer sa force dans le lieu même de son lieu d’expression : le corps.
Il doit inaugurer par un rite initiatique – en l’occurrence ce sera un rite législatif – la valeur de sa propre existence. Il doit transmuter le corps pour en libérer toutes les potentialités de vie.
La révolution dionysiaque doit s’opérer :
· « Je suis favorable à une loi qui ouvrira la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires. »
· « Je m’engage à ce que les enfants issus de GPA nés à l’étranger voient leur filiation reconnue à l’état-civil français. »
Mais Dionysos veut du sang. Il aime la guerre et la force brutale. Il a le culte de la force.
Dans le Crépuscule des idoles, au chapitre des Flâneries inactuelles, Nietzsche nous dévoile une conséquence de la libération de Dionysos : l’euthanasie.
« Le malade est un parasite de la société. Arrivé à un certain état il est inconvenant de vivre plus longtemps. L’obstination à végéter lâchement, esclave des médecins et des pratiques médicales, après que l’on a perdu le sens de la vie, le droit à la vie, devrait entraîner, de la part de la Société, un mépris profond. … Créer une nouvelle responsabilité, celle du médecin, pour tous les cas où le plus haut intérêt de la vie, de la vie ascendante, exige que l’on écarte et que l’on refoule sans pitié la vie dégénérescente — par exemple en faveur du droit de vivre… Mourir fièrement lorsqu’il n’est plus possible de vivre fièrement. La mort choisie librement, la mort en temps voulu, avec lucidité et d’un cœur joyeux, accomplie au milieu d’enfants et de témoins, alors qu’un adieu réel est encore possible, alors que celui qui nous quitte existe encore et qu’il est véritablement capable d’évaluer ce qu’il a voulu, ce qu’il a atteint, de récapituler sa vie. — Tout cela en opposition avec la pitoyable comédie que joue le christianisme à l’heure de la mort. Jamais on ne pardonnera au christianisme d’avoir abusé de la faiblesse du mourant pour faire violence à sa conscience, d’avoir pris l’attitude du mourant comme prétexte à un jugement sur l’homme et son passé ! … » (§36. Morale pour médecins)
La marche dionysiaque devrait donc nous conduire au cœur de la culture de mort : l’euthanasie comme désir.
6. Plus d’argent pour plus de vie
« Je lancerai une initiative internationale afin de s’attaquer au problème de la GPA très peu payée et subie et lutter contre le trafic d’enfants et de femmes. »
L’argent devient le nouvel agent de sanctification de la GPA. La vie trouve un nouveau terrain d’expression par la puissance de l’argent, instrument de la distinction des forts et des faibles. Plus exactement, l’argent devient la mesure de la valeur de la vie et le moyen d’une nouvelle aristocratie des forts.
7. Conclusion
Avec Emmanuel Macron, la France inaugure une nouvelle étape de la Révolution, le passage du monde de Kant à celui de Nietzsche.
On sait que Nietzsche reprochait à Kant de ne pas avoir achevé la destruction de la métaphysique car il a maintenu – par ses trois Critiques – le statut de la raison comme instrument légiférant. C’est encore trop !
Avec Nietzsche, ce sont les forces les plus profondes – et non seulement la raison obscurcie par le péché – qui doivent prendre le pouvoir, les forces dionysiaques.
La France, plutôt que de se repentir de ses péchés et de son antichristianisme, de ses crimes de sang (avortement), de sa mentalité contraceptive, de son fanatisme socialiste, de sa culture pornographique, a confirmé par cette élection présidentielle son endurcissement spirituel.
Elle doit maintenant se tenir prête : « C’est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant. » (Hébreux 10.31)
Franck Jullié
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