Comme on pouvait s’y attendre [1], les législatives ont amplifié le mouvement de bascule de la présidentielle, et donné à la gauche une large majorité. Avec celle-ci, on peut penser qu’elle appliquera, plus ou moins, son programme. Plus ou moins seulement. Sur le plan économique, la réalité en effet rattrape le gouvernement très vite : alors que le candidat Hollande avait largement assis le remboursement de nos dettes publiques sur l’impôt, nous voyons déjà le premier ministre concocter une série de mesures importantes d’économies de dépenses, en contradiction avec les promesses du candidat. Même si la surtaxation des entreprises est certaine, le traitement de la crise sera déjà plus « sarkozien » et moins « hollandais » que prévu.
Sur le plan des réformes sociétales [2], nullement nécessaires, mais destinées uniquement à contenter un « quarteron » de protestataires lobbystiques et activistes, il n’est pas certain non plus que ce sera fait. Rien ne dit en effet que lorsque viendra la date prévue pour leur mise en œuvre [3], les Français y soient encore aussi favorables qu’on veut bien le leur faire dire, et qu’elles n’apparaissent pas comme un « gadget pour bobos » bien inutile, alors qu’eux-mêmes ont tant de difficultés à éduquer leurs enfants, à se loger ou à trouver, et même à conserver leur travail. « Faut-il vraiment qu’on passe du temps à repeindre les cabines de 1ère classe, alors que le Titanic coule ? », risquent-ils de se dire. Sensible comme l’est le nouveau Président aux vents de l’opinion (à ce titre, il est certainement plus démagogique qu’idéologique), il reste une chance, très petite il est vrai, qu’elles passent aux oubliettes, renvoyées à des jours meilleurs par notre nouveau « boulanger » [4].
Mais la partie qui se joue en réalité est bien plus importante, et le clivage n’est pas gauche/droite. L’enjeu, en fait, c’est le réalisme. Nous pensons encore que nous pouvons maintenir notre modèle social, et éviter une recrudescence importante de la pauvreté. Nous ne voyons pas que nous n’avons simplement plus d’argent pour « faire du social », ni non plus, d’ailleurs, du culturel. Nous pensons que nous pouvons encore disposer de la richesse des entreprises, pour payer nos autres dettes, ou nous partager leurs profits pour plus de justice, alors qu’elles sont aujourd’hui en situation de survie absolue, et que tout, absolument tout, doit être orienté vers la compétitivité, travailler plus et mieux en gagnant moins si nécessaire, afin de sauver ce qui peut l’être. Nous pensons qu’il est possible de faire des cadeaux idéologiques aux protestataires lobbystiques, sans voir que cela n’apportera pas « plus de fraternité », comme le prétendent les groupuscules ultra-minoritaires qui les exigent, mais au contraire coupera un peu plus le peuple de ses élites. Nous pensons qu’on peut continuer à ouvrir grand la porte aux étrangers, alors que nous détruisons tout simplement nos valeurs de civilisation, notre identité et notre force collective. Nous pensons, enfin, que nous pouvons critiquer la terre entière sans nous fustiger ni nous faire violence chacun individuellement, nous passer, en haut et en bas de la hiérarchie sociale, d’un sursaut de force morale, d’engagement et de vertu, continuer à choisir nos humeurs, nos égoïsmes et notre confort comme autrefois, alors que nous sommes cernés de toutes parts par les difficultés et la mondialisation.
Car nous sommes en guerre. Il suffit de mettre le nez hors de nos frontières pour le voir. Par-delà la réussite ou l’échec de tel ou tel modèle, ce qui frappe, partout, en Asie, mais aussi en Afrique, au Moyen Orient, en Amérique du sud, et même en Europe, c’est la rage de vaincre, le « fighting spirit ». Nombreux sont les peuples et les nations qui ont pris la mesure de la situation : la fin de l’ordre de l’après-guerre, et la chute des vieux « parrains », captateurs de la richesse et du pouvoir, que nous sommes. Une nouvelle ouverture, une nouvelle donne, un nouvel ordre politique et économique i se met en place. Dans cette perspective, ils veulent sortir de la trappe à pauvreté et à dépendance, dans laquelle ils sont enfermés depuis leur création. Ils ont compris que cette crise est une chance pour accéder aux premières places, en nous bousculant s’il le faut, et mettent les bouchées doubles. D’où une recrudescence, partout dans le monde, de l’esprit de compétition. La Chine en est le symbole, bien sûr, mais toute la planète est à l’avenant.
Nous en convaincre, l’intégrer, nous en imprégner totalement, en tirer toutes les conséquences dans nos comportements, c’est cela la priorité. Et le vrai clivage n’est pas entre gauche et droite, mais entre ceux qui l’ont compris, opinions, leaders ou hommes politiques, et qui sont prêts à changer profondément leurs habitudes, et ceux qui refusent de voir, qui rêvent et pensent qu’on peut, pour un peu de temps encore, continuer à penser et à vivre comme autrefois. « Encore une minute, monsieur le bourreau », disait ironiquement Raymond Barre, pour se moquer, déjà à l’époque, de la réticence des Français au changement. Aujourd’hui, la hache tombe déjà. Quel est notre état d’esprit ?
Face à cette situation, les chrétiens, évidemment, ont un rôle de premier plan à jouer. C’est bien de refondation dont il s’agit. Approfondissement de la réflexion et de l’analyse, puisqu’il est nécessaire de comprendre pour vouloir, nouvel appel au réalisme, au courage et à la vertu, à la force personnelle et collective, nouvel engagement, dans l’esprit de la Doctrine Sociale de l’Eglise, Liberté Politique s’engage avec conviction dans cette voie.
François Martin
[1] Mais il fallait vouloir le contraire, au moins pour limiter la casse.
[2] Homoparentalité, euthanasie active, etc…
[3] Au début 2013, probablement.
[4] « Le boulanger », c’est le surnom que les ivoiriens donnaient à Laurent Gbagbo, car il avait une habileté sans pareille pour « promener » son monde et le « rouler dans la farine »… On remarquera qu’à jouer ce jeu, c’est lui qui s’est finalement englué dans son pétrin…
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