Au terme d’une campagne électorale trop longue et très décevante, à quelques jours du deuxième tour de scrutin, c’est maintenant que se joue l’avenir de la France pour les cinq prochaines années.
Tout en disant cela, ne tombons pas dans le travers trop répandu d’une dramatisation affolante : la France a une longue histoire au cours de laquelle elle a connu des vicissitudes infiniment plus dramatiques. Mais la fonction présidentielle revêt une importance qu’on ne peut occulter en raison de la dynamique qu’elle introduit dans la vie politique du pays.
Au cours des mois qui viennent de s’écouler, Liberté politique s’est efforcée d’apporter à ses lecteurs les éléments de réflexion et de détermination de leur choix, au moyen soit de la revue trimestrielle, soit du site internet. Reprenons, en forme de synthèse, les trois étapes de la démarche proposée en vue du vote, afin de nous efforcer d’agir de façon sage et cohérente.
Première étape : Éclairer sa conscience
Par conscience, il ne faut évidemment pas entendre le repli orgueilleux sur la subjectivité ; au contraire il s’agit de cette faculté de l’âme au fond de laquelle l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d’obéir, « cette voix qui ne cesse de le presser d’aimer et d’accomplir le bien et d’éviter le mal »[1], et qui le fait agir en conjuguant raison et liberté. C’est par sa conscience que l’homme exprime sa dignité de créature à l’image et ressemblance de Dieu.
Dans son premier mouvement, la conscience recherche les principes sur lesquels elle pourra appuyer la détermination concrète de son acte. En la matière qui nous intéresse ici, nous avons souvent eu l’occasion de nous référer aux principes (ou « valeurs ») « non négociables » qui précèdent la politique elle-même, en tant qu’ils sont inscrits dans la nature de l’homme et qu’ils sont au fondement même de toute société humaine. À ce titre, ils sont universels et objectifs, et ne relèvent pas du compromis. Par définition, un principe moral ou une valeur morale n’est ni un slogan ni un programme.
Certains les interprètent comme des impératifs catégoriques a priori, c'est-à-dire comme des absolus fonctionnant en tout ou rien. Cette forme de moralisme, qui manifeste sans doute un souci éthique, est cependant erronée en ce sens qu’elle confond le principe et l’acte moralement bon, et qu’elle réduit le second au premier. Comme les préceptes du Décalogue dont ils sont largement issus, les principes indiquent soit la limite à ne pas franchir (l’absolu du précepte négatif) soit l’orientation à prendre (la direction donnée par le précepte positif). Mais en tant que principes, ils ne sont que les « points de départ » de l’action juste ou bonne ; ils ne disent pas par eux-mêmes quel est le bien concret à faire qui, seul, confère un contenu positif à l’acte moral, y compris en politique.
Les principes n’enferment donc pas le jugement mais ils le balisent comme des repères, laissant à chacun la responsabilité de les traduire concrètement dans la diversité des situations et dans toute la mesure des capacités offertes, pour déterminer un « meilleur possible ».
Deuxième étape : Évaluer les exigences du bien commun
Le bien commun répond aux exigences du temps présent. L’organisation de la vie de notre nation et les décisions qui orientent sa destinée touchent un large éventail de questions importantes et complexes qui structurent la vie collective, où s’affrontent quantité d’opinions, parfois pour atteindre les mêmes objectifs, mais par des moyens différents. Il revient à chacun d’analyser les programmes des partis et des candidats par rapport à ces points-clés, au regard des exigences éthiques fondamentales de la raison politique et du bien commun de la société dans son ensemble. À chacun il revient aussi de les hiérarchiser en vue du vote.
Dans cette perspective du bien commun, on peut résumer les enjeux programmatiques de l’élection autour de trois grands thèmes :
- Autour de ce qu’on appelle les « questions de société » se dessinent des perspectives de destruction des fondements même du « vivre ensemble » si certaines propositions attentatoires, notamment à la vie, au mariage, ou à l’éducation des enfants, voient le jour parce que leur promoteur aura été élu.
- Face à la crise économique et des finances publiques, tous les pays occidentaux sont confrontés à la remise en cause de leur modèle de développement fondé sur l’endettement. On sait que la sortie de crise implique des mesures drastiques. Celles-ci, néanmoins, ne doivent s’affranchir ni de l’exigence de justice, ni d’une perspective d’avenir en vue de faire bénéficier le plus grand nombre des richesses produites tout en promouvant des modes de vie respectueux de la terre qui nous est confiée.
- Quant aux politiques publiques, à la place de la France dans le concert des nations, au besoin d’une refondation de la construction européenne, il est clair que le futur Président de la République aura à affronter de lourds défis à un moment critique où les risques de conflit intérieur et de guerre extérieure ne sont pas absents.
Troisième étape : Voter en prudence
Faire le bien concrètement requiert la vertu de prudence, au sens, non d’un esprit précautionneux et pusillanime, mais de l’attention aux circonstances permettant à une politique de produire tous ses fruits. « Grâce à la prudence, nous appliquons sans erreur les principes moraux aux cas particuliers ». La sagesse de l’action ne relève pas de la solution clé en main. La prudence nous dispose à discerner en toute circonstance notre véritable bien et à choisir les justes moyens de l’accomplir : elle « applique sans erreur les principes moraux aux cas particuliers ». Elle nous aide à « [surmonter] les doutes sur le bien à accomplir et le mal à éviter » [2].
Voter en prudence conduit ici chacun à poser deux questions pratiques :
- Quel candidat sera en mesure de réaliser effectivement les progrès les plus tangibles pour le bien commun ?
- Comment son vote orientera-t-il la vie politique de telle sorte que chacun, là où il est, dispose de plus de moyens pour faire le bien autour de lui dans le cadre de ses engagements et de ses responsabilités ?
Sur tous ces plans, les deux candidats ne sont pas équivalents. C’est évident, mais il faut le redire avec insistance : ils n’ont pas les mêmes positions, ni les mêmes orientations politiques, ni les mêmes capacités, ni n’offrent aux citoyens les mêmes perspectives et possibilités de bien agir au cours des cinq prochaines années. Soutenir le contraire n’est pas exact et il n’est pas honnête de les renvoyer dos-à-dos. En réalité le refus de choisir cache un choix implicite qui s’apparente soit à la politique du pire, soit à l’instrumentalisation du scrutin à d’autres fins, soit à une démission.
Qu’on le veuille ou non, l’un des deux candidats sera élu et occupera la fonction présidentielle. En élisant (ou en laissant élire par notre abstention) un Président de la République, nous votons (ou nous acceptons que d’autres votent à notre place et pour notre compte) pour un homme de chair et de sang qui détiendra un pouvoir considérable, à qui nous devrons le respect et l’obéissance dus au détenteur légitime de l’autorité politique.
C’est dans cette circonstance précise que nous aurons à poser concrètement un acte qui sera bon ou mauvais, que nous agirons bien ou mal.
Retrouvez tous les articles sur la présidentielle dans notre dossier spécial :
[1] Vatican 2 : constitution pastorale « Gaudium et spes », n° 16.
[2] Catéchisme de l’Église catholique, n° 1806.
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