Ne nous laissons pas manipuler par les sondages sur l’euthanasie

Une lectrice versaillaise nous envoie cette analyse bien pensée sur le faux consensus de l'opinion autour de l'euthanasie.

 

"En consultant le site de Didier Baichère, député de Versailles favorable à l’euthanasie, je découvre un sondage réalisé par l’institut IPSOS en mars 2019 et intitulé « L’opinion à l’égard de l’euthanasie ».

Une analyse précise et détaillée de la présentation de ce sondage nous permet de dévoiler les techniques de manipulation mises en œuvre pour que l’opinion publique se déclare favorable à l’euthanasie.

Le sondage est réalisé pour atteindre un objectif qui n’est pas celui annoncé, à savoir connaître l’opinion des Français sur l’euthanasie, mais pour faire dire aux Français, à une énorme majorité de Français, qu’ils veulent l’euthanasie. Ceci afin de légitimer une proposition de loi censée « répondre » à la demande des Français, alors que l’on suscite cette « demande » chez les Français par l’instrumentalisation du sondage. Une technique de manipulation classique et bien rôdée.

Ce sondage est la 19ème rubrique d’un sondage de 22 rubriques intitulé « La situation des libertés publiques en France ». Il est réalisé par internet sur un échantillon représentatif de 1004 personnes âgée de 18 ans et plus. Mais pour un sondage sur l’euthanasie cet échantillon n’est pas représentatif contrairement à ce qui est affirmé. En effet, interroger des personnes en bonne santé sur ce qu’elle souhaitent en situation de maladie incurable et de grandes souffrances introduit un gros biais car lorsque je suis encore en bonne santé  je ne peux préjuger de ce que je déciderai quand je serai atteinte d’une affection grave et incurable ; dans cette situation, sans doute trouverai-je des ressources dont aujourd’hui je n’ai même pas idée. Une personne n’est pas une essence immuable, mais une entité en perpétuel développement.

Le sondage sur l’euthanasie est intitulé : « L’opinion à l’égard de l’euthanasie ». Il ne s’agit pas d’une opinion, ni des opinions mais de « L’opinion » : le mot placé en tête de phrase et l’emploi de l’article défini lui donne un caractère collectif. Pour le dire autrement : « voici ce que tous les Français pensent sur l’euthanasie » ou « voici la voie du bon sens, du progrès, du sens de l’histoire ». Le titre est là pour guider le lecteur, le mettre sur des rails. Dès lors, aller à l’encontre de l’opinion collective sera une démarche difficile et impossible pour la grande majorité des sondés.

« A propos de l’euthanasie, de laquelle des opinions suivantes vous sentez-vous le plus proche ? »

La question se veut délicate et consensuelle, « vous sentez-vous le plus proche », mais la tournure inversée la rend compliquée. De plus elle est peu visible et peu lisible car écrite en très petites lettres blanches sur fond gris clair. Pour cette raison le lecteur aura tendance à passer par-dessus la question pour aller directement du gros titre en lettres blanches sur fond bleu marine aux réponses du sondage beaucoup plus visibles. La question sert de caution car elle donne un air politiquement correct au sondage. Elle est inutile pour la compréhension du sondage qui se lit tout aussi bien sans la question. Et si on omet la question, l’opinion collective est encore renforcée par les réponses qui présentent une écrasante majorité en faveur de l’euthanasie.

Observons la première réponse :

 « Les Français devraient avoir la possibilité de disposer d’un droit à l’euthanasie quelles que soient leurs conditions de santé »

La phrase accumule les termes à connotation positive. La question pouvait être posée beaucoup plus simplement. Par exemple : « A-t-on besoin en France d’une loi sur l’euthanasie ? » Réponse : oui ou non.

  • Les Français : la personne sondée se sent directement et personnellement concernée, « englobée » dès le premier mot
  • Devraient avoir : l’emploi du conditionnel révèle l’affirmation implicite que les Français sont privés d’une chose qui leur est due et qu’il faut y remédier. Le flot des sondés est prêt à s’embarquer sans lire la suite.
  • La possibilité : la possibilité est une occasion favorable. On enfonce le clou.
  • De disposer : « bis repetita placent » « les choses répétées plaisent ». On a déjà le verbe avoir deux mots avant, on ajoute disposer, qui est un synonyme d’avoir
  • D’un droit : le mot sacré est placé. Qui a envie de s’insurger contre un droit ? contre un droit pour les Français ? Contre un droit que les Français devraient avoir ? Quand on demande à des personnes si elles sont d’accord pour accorder un nouveau droit, on a très peu de risque d’obtenir une réponse négative. Même une personne tentée de s’opposer à un nouveau droit y réfléchirait à deux fois et se sentirait un peu coupable, un peu honteuse, du mauvais côté en quelque sorte. Il faut être fort pour aller contre un droit. Il faut connaître son sujet et bien maîtriser les arguments. Or, d’après une analyse réalisée pour le Conseil Economique et Social, analyse citée par Didier Baichère, 96% des Français se sentent concernés par le sujet de la mort, pensent qu’il faut améliorer les conditions de fin de vie et .... ne connaissent pas la loi Leonetti ! Le risque est évidemment très faible que les sondés s’opposent. Les résultats du sondage le confirment.
  • Associer les mots « droit » et « euthanasie », c’est à dire parler d’un « droit à être tué », est un sophisme destiné à obtenir l’adhésion de la personne interrogée qui n’a ni le tps, ni la faculté de la réflexion, étant à la fois concernée mais peu documentée par le sujet. Si le mot « euthanasie » peut faire peur et rendre frileux, le mot « droit » l’enjolive, lui donne une connotation positive.

Une telle phraséologie empêche la personne sondée de penser par elle-même. Elle ne peut que susciter l’adhésion. La réponse s’impose, évidente : il faut dire oui à la possibilité de disposer, oui au droit pour les Français ! Quel que soit le sujet en question.

Intéressons-nous à la deuxième réponse :

« Le droit à l’euthanasie devrait être encadré et possible uniquement en cas de souffrances graves et incurables »

  • Cette fois le « droit à l’euthanasie » est dans la première partie de la phrase et présenté comme un acquis. On observe une gradation extrêmement significative entre la première et la deuxième réponse. La première réponse proposait de disposer d’un droit à l’euthanasie. La deuxième parle d’un droit déjà acquis. La phrase : « Le droit à l’euthanasie devrait être encadré » implique qu’il existe déjà une chose telle que le « droit à l’euthanasie » en France, ce qui est faux. Cela contribue à formater l’opinion du sondé, à lui faire croire que le « droit à l’euthanasie » existe et que ce droit a un caractère universel.
  • Doit être encadré : quand on veut inscrire dans la loi une transgression on annonce toujours qu’elle sera « encadrée ». Le mot rassure. Le sondé pense que le législateur posera les garde-fous nécessaires qui empêcheront toute dérive sordide. Effectivement on se doute bien qu’un droit à l’euthanasie peut mettre en grand danger des personnes vulnérables car il peut être utilisé par des personnes malveillantes qui voudraient faire partir plus vite une personne âgée et fortunée qui tarderait à mourir. Le mot « encadré » donne bonne conscience.
  • Et possible uniquement : « bis repetita placent », deuxième garde-fou. Il faut croire que le danger est bien réel dans l’esprit du manipulateur pour insister autant.
  • en cas de souffrances graves et incurables : ces mots « épouvantails » sont systématiquement utilisés pour promouvoir l’euthanasie. Car l’évocation de souffrances graves et incurables fait peur. Tous, nous redoutons de mourir dans la souffrance. Tous, nous redoutons la maladie incurable. On joue sur les émotions des sondés pour susciter le rejet de la vie lorsqu’elle est souffrante et sans espoir d’amélioration. A noter l’expression impropre : « souffrances [...] incurables » on ne parle pas de souffrances incurables mais d’une maladie incurable. Mais l’adjectif incurable doit toujours figurer dans la question sur l’euthanasie pour faire peur et emporter l’adhésion et c’est d’ailleurs cette réponse qui remporte 60% des sondages.

Intéressons-nous à la troisième réponse du sondage « Il ne devrait pas y avoir de droit à l’euthanasie en France » qui recueille, dans le meilleur cas, seulement 6% des sondages, sans surprise.

On constate :

  • Que la phrase commence par le pronom « il », impersonnel. Il ne s’agit plus des Français placés en début de phrase, mais de la France placée en fin de phrase. Le sondé ne s’identifie pas à un pronom impersonnel  ni à la France, il ne se sent pas concerné.
  • La phrase est au conditionnel et à la forme négative : c’est une contre-revendication. Rien à gagner ! L’impact des phrases négatives en dialectique est bien connu.
  • La phrase propose de « ne... pas y avoir de droit » : quelle personne « sensée » peut adhérer à une telle idée ? On doit évidemment refuser une telle proposition quand on est Français et qu’on milite par essence pour « le droit au droit ».

Cette phrase ne peut que susciter le rejet, en particulier de la part de personnes mal informées, c’est-à-dire la majorité comme on l’a vu. C’est le mistigri. Il faut dire « non » à la négation, « non » à l’absence de droit. Seules des personnes bien informées sur le sujet, et elles sont rares, auront l’audace de choisir cette option à contre-courant, auront la force de résister à la bataille sémantique qui occulte le réel pour arracher l’adhésion.

Il existe un autre biais dans ce sondage. A la question : « A propos de l’euthanasie de laquelle des opinions suivantes vous sentez-vous le plus proche ? » il y a trois réponses possibles dont deux sont favorables à l’euthanasie et une seule défavorable :

  • Les Français devraient avoir la possibilité de disposer d’un droit à l’euthanasie quelles que soient leur condition de santé
  • Les Français devraient avoir la possibilité de disposer d’un droit à l’euthanasie en cas de souffrances graves et incurables
  • Il ne devrait pas y avoir de droit à l’euthanasie en France.

Les deux réponses favorables à l’euthanasie sont longues et relativement difficiles à distinguer l’une de l’autre. La troisième option, défavorable à l’euthanasie est concise et facile à comprendre. Elle suscite immédiatement le rejet par la majorité, qui se répartira sur une des deux réponses favorables à l’euthanasie.

La répartition inégale des options de réponse, deux contre un, introduit nécessairement un biais dans les résultats du sondage, d’où le 96% en faveur de l’euthanasie. On peut se demander ce qu’aurait donné ce sondage en proposant une seule réponse favorable à l’euthanasie et une seule réponse défavorable, une répartition équitable des possibilités donc, et une phraséologie plus « comparable » :

  • Les Français devraient disposer d’un droit à l’euthanasie
  • Les Français devraient vivre leur vie jusqu’au bout et bénéficier de soins palliatifs

Les couleurs employées pour présenter les réponses sont symboliques et ne nécessitent pas d’explication :

  • Vert pour l’euthanasie
  • Rouge contre l’euthanasie

Voilà un téléguidage on ne peut plus clair : feu vert, je passe, feu rouge, je m’arrête. Simple et accessible à tous.

Cette mise en scène est une énième édition de ces sondages qui nous présentent chaque année le même choix truqué, plus ou moins bien camouflé d’ailleurs. Son expression la plus évidente donne ceci :

« Voulez-vous :

a) mourir dans la dignité

b) ou vivre dans d’atroces souffrances ? »

Conclusion du sondage : 96% des Français sont favorables à l’euthanasie. »

C’est, peu ou prou, ce que nous dit ce sondage de 2019. Edward Bernays* appellerait cela de la propagande. Et il s’y connaissait. Le sondage n’est pas réalisé pour nous faire connaître l’opinion des Français. Il est réalisé pour faire l’opinion, pour dicter aux Français une pensée qui vient « d’en haut », en leur donnant l’impression que c’est leur pensée libre, qu’ils ne sont pas manipulés. Et cela marche.

Notre pays est épuisé économiquement et moralement par les confinements et autres mesures « anti-covid » parce que l’on veut protéger la Vie à tout prix. Ce n’est pas souvent que nous avons entendu dire ces dernières années que la vie est un bien précieux mais depuis la crise covid la vie des personnes de plus de 85 ans est même plus précieuse que celle des étudiants sans professeur, des jeunes sans avenir, des travailleurs sans travail, des artistes sans scène, des entrepreneurs sans entreprise...

La vie est précieuse, donc. Et ‘en même temps’ : non. Car il existe des élus pour qui l’urgence, aussi indécente qu’obsessionnelle, est de légiférer sur l’euthanasie. Incohérence ? Ou cynisme ?

Or l’euthanasie n’est pas uniquement un sujet pour les personnes souffrantes ou en fin de vie. Elle est aussi, hélas, une tentation pour une jeunesse dont la vision de la vie est totalement désenchantée. Montrons-lui qu’elle a encore des choses incroyables à vivre, qu’il faut accepter et goûter la vie tant que c’est possible.

Anne Aulanier

*Edward Bernays, père de la propagande politique et industrielle en démocratie. S’étant inspiré des travaux de son oncle Sigmund Freud sur la psychanalyse, il avait compris qu’il fallait s’adresser aux représentations inconscientes des foules pour les manipuler. Il est l’inventeur des ‘torches de la liberté’ de 1928, destinées à convaincre les femmes que fumer était une émancipation alors que le but réel était d’augmenter les ventes de tabac. Il a présenté comme un progrès objectif ce qui est une manipulation de l’inconscient de l’individu qui est complice et acteur de la manipulation dont il est l’objet. Le manipulé agit en croyant être libre.