Le Conseil constitutionnel a proclamé mercredi 24 avril les résultats définitifs du premier tour de l'élection présidentielle. Fin de parcours pour la gauche plurielle. Aléa étonnant du processus électoral et du " jeu " de la démocratie, 200.

000 voix ont manqué au Premier ministre pour être présent au second tour. Mais si 2 % des voix de Jacques Chirac s'étaient reporté sur un dix-septième candidat ou sur un concurrent plus convainquant, c'était le président de la République qui était hors-jeu. Pour hasardeuse qu'elle soit, l'hypothèse illustre la gravité de la crise qui secoue la vie politique française.

La crise, tout le monde en parle, mais bien malin qui peut prévoir la manière dont elle s'imposera demain aux esprits. Faute d'évidence, la vie continue. Au-delà des poussées de fièvre catégorielles qui agitent régulièrement le pays, les Français paraissaient davantage enclins à tendre le dos, espérant des jours meilleurs, râlant comme c'est l'usage, mais sans volonté de rupture : ventre plein n'a pas d'ennemis. Au pire, le vote protestataire ayant montré ses limites, restait l'abstention (28 % cette fois-ci). Mais à force de spéculer sur cette inertie confortable, le système s'est exposé lui-même à un terrible retour de bâton. Ce n'est pas Jean-Marie Le Pen qui a gagné, ce sont les forces politiques traditionnelles qui se sont effondrées. En sept ans, la droite parlementaire a perdu plus de 3,8 millions de voix ! Poussons le raisonnement, et dans cinq ans, les deux candidats qui s'affronteront seront les inusables proscrits, les sans-grade, les révoltés : le représentant du Front national et la porte-parole de Lutte ouvrière.

Les responsables politiques sauront-ils en tirer les leçons ? Rien n'indique une quelconque prise de conscience. Les bêlements moralistes entendus de toute part n'ont pour le moment qu'un seul effet : préserver les bonnes vieilles habitudes. Protéger les machines électorales. Neutraliser les concurrents. Endormir les badauds.

L'élection, cette " chance " de la démocratie, " ce bien le plus précieux " selon J. Chirac, n'est–elle pas devenue aujourd'hui une formidable machine à fuir la réalité ? Le choc des chiffres du scrutin sonne comme un révélateur, mais un révélateur bien pâle pour témoigner de la réalité française. Chiffres pour chiffres, ne les limitons donc pas aux seuls variables de l'affrontement électoral (les suffrages exprimés), mais à la démographie. Un Français qui vote blanc n'a-t-il rien à dire ? Un Français qui ne vote pas se disqualifie peut-être pour se plaindre, mais n'existe-il plus pour autant ? Les chiffres que nous indiquons distinguent donc bien le vote utile (suffrages exprimés) et le vote réel (en pourcentage de la population en âge de voter).

La réalité, c'est qu'après cinq ans de gouvernement avec les pleins pouvoirs, Lionel Jospin réunit sur son nom 10,10 % des Français en âge de voter. Jacques Chirac fait à peine mieux avec 12,41 % et Jean-Marie Le Pen 10,53 %. Quand donc une majorité politique élue assumera-t-elle son devoir de regarder la réalité en face ?

Élection présidentielle 2002 1er tour Suffrages obtenus En % des Français en âge de voter En % des inscrits En % des votants En % des suffrages exprimés J. Chirac 5 665 855 12,41% 13,75% 19,21% 19,88% J.-M. Le Pen 4 804 713 10,53% 11,66% 16,29% 16,86% L. Jospin 4 610 113 10,10% 11,19% 15,63% 16,18% F. Bayrou 1 949 170 4,27% 4,73% 6,61% 6,84% A. Laguiller 1 630 045 3,57% 3,96% 5,53% 5,72% J.-P. Chevènement 1 518 528 3,33% 3,69% 5,15% 5,33% N. Mamère 1 495 724 3,28% 3,63% 5,07% 5,25% O. Besancenot 1 210 562 2,65% 2,94% 4,10% 4,25% J. Saint-Josse 1 204 689 2,64% 2,92% 4,08% 4,23% A. Madelin 1 113 484 2,44% 2,70% 3,78% 3,91% R. Hue 960 480 2,10% 2,33% 3,26% 3,37% B. Mégret 667 026 1,46% 1,62% 2,26% 2,34% C. Taubira 660 447 1,45% 1,60% 2,24% 2,34% C. Lepage 535 837 1,17% 1,30% 1,82% 1,88% C. Boutin 339 112 0,74% 0,82% 1,15% 1,19% D. Gluckstein 132 868 0,29% 0,32% 0,45% 0,47%

Sources : Conseil constitutionnel, INED et Fondation de Service politique.

Abstentions : 11 698 352

Votants : 29 495 733

Blancs et nuls : 995 532

Exprimés : 28 498 471

 

Le corps électoral

Population totale (1) : 59 035 713

Population

en âge de voter (2) : 45 646 429

Inscrits sur les

Listes électorales : 41 194 689

(1)Au 1/1/02, source : Ined

(2)Agée de 18 ans révolus et plus.

Philippe Bourcier de Carbon, Liberté politique n° 11

" Le vieillissement de la démocratie "

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