Nouveau ministre de l'Education nationale, ancien professeur de philosophie, Luc Ferry est l'un des principaux partisans du triomphe de la philosophie du droit dans l'université française, et un fervent défenseur des thèses kantiennes.

Au côté d'Alain Renaut, il est à l'origine de la plupart des traductions françaises récentes de Kant. Ensemble, ils ont publié de nombreux ouvrages, dont la Pensée 68 (Gallimard, 1985) dans lequel ils s'opposent aux conceptions post-nietzschéennes ou néo-marxistes développées par Jacques Derrida, Michel Foucault et Pierre Bourdieu.

Fidèle à l'héritage kantien, Luc Ferry pense que seul le droit peut faire régner la paix entre les hommes et éloigner les croyances dogmatiques, génératrices de conflits violents et sanguinaires. Cependant, le manque de valeurs spirituelles et le mal-vivre de notre civilisation apparaissent constamment dans ses ouvrages. Dans l'Homme-Dieu ou le Sens de la vie (Poche, 1997), il plaide pour une spiritualité laïque. "Non seulement avons-nous besoin d'une morale, mais aussi de spiritualité. De spiritualité laïque". Pourquoi laïque? "Car, quand on est croyant, on n'a pas besoin de philosophie", tranche-t-il sans autre forme de procès. Le philosophe ne tombe-t-il pas à son tour dans le dogmatisme ?

Mais Luc Ferry est aussi l'ancien président du CNP (Conseil national des programmes) auprès du ministère de l'Éducation nationale. Il a eu ainsi l'occasion, récemment, d'exposer sa vision de l'évolution du travail scolaire et professionnel ces 30 dernières années. Ainsi, le 18 mars 2002 à Poitiers, à l'occasion des premières Assises régionales de la formation professionnelle, Luc Ferry a prononcé une conférence sur "la formation professionnelle: quels enjeux pour l'épanouissement personnel, le monde éducatif et l'entreprise ?".

Nous sommes sortis du conflit, dit-il, "entre deux visions radicalement opposées du travail et de l'éducation". La première voulait que "des lois transcendent les individus". À l'époque des "Hussards" de la République, cela se traduisait par "le travail accompli par l'élève pour atteindre les normes supérieures fixées par les programmes scolaires". Beaucoup plus tard, après mai 68, "une révolution" s'est opérée par rapport à "ce paradigme qui valorisait le travail". Il faut alors "être soi-même", ou plutôt "s'efforcer de devenir ce qu'on est". Il s'agit plus "de s'épanouir que de travailler". Dans le domaine éducatif, cela s'est traduit par un enseignement plaçant "l'élève au cœur du système". D'après Luc Ferry, nous sommes en train de sortir de ce nouveau modèle post-soixante-huitard.

Mais selon lui, le problème demeure entre l'enseignement général et l'enseignement professionnel. "Le collège unique n'a-t-il pas contribué à faire disparaître les voies technologiques d'excellence ?" s'interroge le philosophe. Si le choix de l'enseignement professionnel ne semble plus être un "choix par défaut", la question "reste posée : [...] dans quelle mesure, en effet, la structure de notre enseignement général" ne fait-elle pas apparaître celui-ci comme "la voie d'excellence" ? L'idée qui résulte "par contrecoup de la consécration du collège unique" est qu'"il n'y a aucune raison de choisir l'enseignement professionnel, sauf si l'on échoue". D'où son souhait affirmé de "casser le collège unique". Une bonne mesure, réclamée par la plupart des enseignants.

Damien Theillier est professeur de philosophie en classes terminales et en classes préparatoires.