Source [genethique.org] Le professeur Jean-Marc Ayoubi, chef de service gynécologie, obstétrique, et médecine de la reproduction de l’hôpital Foch a été auditionné jeudi 14 novembre par la Délégation aux droits des femmes du Sénat. A l’origine de la première greffe d’utérus en France et exerçant à l’hôpital Foch de Suresnes où a été ouvert un centre d’AMP[1], il a été appelé à s’exprimer sur la PMA dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique.
Pour le praticien, l’infertilité est « un problème de santé publique ». A l’appui de cette affirmation, le fait qu’elle touche environ un couple sur 5. Le professeur Ayoubi déplore le manque d’information et de prévention sur cette question, comme l’avait d’ailleurs fait avant lui René Frydman (cf. Le Pr René Frydman auditionné sur la PMA : l’enjeu majeur est la recherche sur l’embryon). Ainsi, fort de trois constats : le recul de l’âge de la maternité (les femmes donnent naissance à leur premier enfant après 30 ans, il y a 20 ans c’était à 25 ans), la diminution de la fertilité de la femme près 30 ans (« ignorée par les patientes et certains professionnels »), et l’altération du spermogramme « en qualité et quantité », qu’il dit difficile à expliquer même s’il évoque de possibles facteurs environnementaux ou de stress, il regrette que l’information et la prévention soient laissées de côté par la loi. Par exemple, « le tabac diminue de moitié la fertilité ». Avant de se lancer dans une procédure de PMA, il juge utile de réfléchir d’abord à des mesures hygiéno-diététiques.
La PMA une réponse satisfaisante à l’infertilité ?
Malgré tout, pour répondre au problème de l’infertilité, et bien qu’elle ne le traite pas au sens médical du terme, la PMA est devenue « le quotidien dans un service de gynécologie » : 30 000 enfants par an naissent à l’issue d’un parcours d’AMP. Technique qui est loin de garantir un résultat. Selon Jean-Marc Ayoubi, la moitié des couples « va obtenir la naissance souhaitée »[2]. Et le professeur constate que « 20% des couples qui n’obtiennent pas de grossesse par AMP vont concevoir naturellement, après l’arrêt de tout traitement ». Ce qui peut légitimement questionner la pertinence du recours aux techniques de procréation. Est-ce qu’il ne serait pas préférable d’accompagner le cheminement des couples avant de les propulser dans un parcours contraignant et éprouvant ? (cf. La Naprotechnologie : une assistance médicale pour une procréation naturelle et NaProTechnologie : « favoriser l’efficacité de l’acte procréateur, sans pour autant se substituer à lui ») De les aider à découvrir une autre fécondité ?…
En recherches de solution pour améliorer sa pratique, Jean-Marc Ayoubi regrette que le diagnostic génétique de l’embryon pendant les tentatives de PMA « dans certaines indications » ait été « complètement laissé de côté » par la révision. Au cours des débats, un amendement visant à élargir le diagnostic pré-implantatoire a en effet été rejeté (cf. Extension du diagnostic préimplantatoire : pour Agnès Buzyn, « la décision éthique la plus difficile du projet de loi »). Mais quelles sont ces « indications » ? Il précise : « dans certaines indications d’échec d’implantation », évoquant le cas d’une patiente de 39 ans ayant subi plusieurs tentatives de PMA qui se sont soldées par 3 échecs dus à des « aberrations chromosomiques de l’embryon »[3] ou celui d’une femme qui a fait 3 grossesses par FIV[4] arrêtées à 7-8 semaines. Pour autant, aujourd’hui, contrairement à ce qu’avance le praticien, aucune étude scientifique ne confirme que l’échec d’une PMA soit dû à une aberration chromosomique. D’autant moins qu’à ce stade de développement les erreurs : faux positifs et faux négatifs, sont potentiellement nombreuses et il serait dangereux de sélectionner les embryons sur ces critères. On s'interroge : parle-t-on encore d’échec d’implantation ? En effet, à 7-8 semaines de grossesse, elle a eu lieu il y a longtemps…Faisant d’ailleurs allusion au diagnostic prénatal, Jean-Marc Ayoubi se justifie froidement : « De toutes façons, le diagnostic génétique on le fait en cas de grossesse à 12 semaines et s’il y a une anomalie on va proposer à la patiente de faire une interruption de grossesse. Pourquoi on le fait à 3 mois et pas avant l’implantation ? ». Le professeur justifie sa demande en utilisant l’ultime argument puisqu’il est compassionnel. Il s’agit d’« apporter un confort à ces patientes sans pour autant dériver vers un eugénisme ou une sélection génétique ». Pourtant, sélectionner des embryons à quelques jours ou à plusieurs mois relève de la même démarche. Quel que soit son stade de développement, l’embryon comme le fœtus, est un membre de l’espèce humaine à part entière. Il s’agit chaque fois de décider qui aura le droit de vivre sur la seule base d’un déterminisme chromosomique. Si le professeur, affirme « qu’en 30 ans de pratique il n’y a pas eu un seul cas de dépistage réalisé pour convenance personnelle », cet argument ne justifie rien. Que le dépistage concerne un ou dix mille embryons, une pratique de sélection qu’elle se pratique in vitro ou in utero et quel que soit le stade de développement opère un tri préjudiciable à l’embryon ou au fœtus qui, une fois dépisté, sera détruit. Dans le cas d’une PMA, il est d’autant plus grave qu’il intervient non plus sur un embryon mais sur l’ensemble de ceux qui ont été conçus dans le cadre du parcours de FIV et qu’il se situe à un stade de développement précoce, donnant l’illusion qu’on agit sur un simple « amas de cellules ». Les spécialistes « travaillent dans le cadre de la loi », ajoute le praticien, mais quand la loi est délétère, rien ne la justifie.
PMA : « Procréation Médiatiquement Assistée »
Passant au problème de la PMA pour toutes, il rappelle avoir signé un manifeste sur le sujet, manifeste en 4 points publié dans le journal le Monde en 2017 également pour la promotion du développement du don d’ovocytes, de l’analyse génétique de l’embryon surtout en PMA, et de l’autoconservation ovocytaire. Le professeur Ayoubi déplore néanmoins que seule la PMA fasse « le buzz » devenant ainsi la « Procréation Médiatiquement Assistée », alors que la PMA pour toutes va concerner « tout au plus 5000 femmes ». Sans doute, dans un premier temps. Mais en multipliant les conditions et les « indications » d’accès à la PMA, elle l’éloigne du critère médical pour la transformer en une alternative à la procréation naturelle bien plus profitable économiquement aux grandes firmes impliquées dans ce business que celle issue de la rencontre charnelle d’un homme et d’une femme, qui est, par essence, gratuite… Le corps humain est le nouveau marché en croissance, une façon, pas à pas, d’habituer à une externalisation de la gestation, une marche de plus vers un transhumanisme bon ton, dont on se plait à croire qu’il est encore en devenir.
Une situation « équilibrée » pour le don de sperme, et une pénurie d’ovocytes
Sur le don de gamètes, Jean-Marc Ayoubi détaille plusieurs chiffres. 5% des AMP sont réalisées avec au moins un don. Sa formulation suppose que certaines PMA sont pratiquées à partir d’un double don de gamètes, ce qui à ce jour est interdit par la loi. Il analyse la situation comme étant « équilibrée » pour le don de sperme, avec 300 donneurs par an sur le territoire qui satisfont 2000 demandes de couples dont l’infertilité est due à un problème masculin. Ce qui conduira la sénatrice Françoise Laborde à interroger sur le risque d’avoir un nombre important de « demi-frères » ou « demi-sœurs » avec « seulement » 300 donneurs… 200 à 250 naissances par an proviennent d’un don d’ovocytes réalisé en France. Il évoque une « pénurie d’ovocytes » qui amène les patientes à s’adresser à l’étranger : en Espagne, en Grèce, en Tchéquie. Sans préciser qu’il s’agit d’une procédure lourde et qui n’est pas sans risque pour les femmes (cf. Une campagne « opaque » sur les enjeux du don de gamètes (2/2)). Aujourd’hui, précise le professeur, 3000 à 4000 femmes ont recours à une PMA avec don d’ovocyte à l’étranger, que ce soit des femmes seules ou en couple, homosexuelles ou hétérosexuelles. Selon le praticien, 1000 à 1500 femmes font appel à la cryopréservation ovocytaire dans des centres étrangers, puisque cela n’est pas autorisé en France pour convenance personnelle.
Pourtant, quand on l’interroge sur le risque de pénurie, les réponses du professeur restent évasives : « On n’est pas sûrs »… « On espère que d’autres donneurs seront incités »… Même s’il craint que l’annonce de la levée de l’anonymat qu’il juge « exagérée » (car rien n’oblige les donneurs) ne les « refroidisse ». Plus inquiet sur la mise en application de la loi une fois votée, il refuse toutefois de se prononcer sur la pertinence de la levée de l’anonymat en tant que telle, jugeant que c’est un problème « sociétal et politique » qui ne relève pas de « la technique ou de l’expertise ».
De même sur la question de la filiation : c’est une « question assez difficile » qui « soulève beaucoup de questions », ou sur les conséquences sur l’enfant, le professeur reste vague : « Qui pourrait le dire ? » A propos de la dérive vers un « droit à l’enfant », à nouveau évasif, il reste dans le registre émotionnel, évoquant une « souffrance sincère » des personnes en désir d’enfant, ce que personne ne nie… Le professeur Ayoubi « ne veut pas faire de la politique » mais accepte de s’exprimer comme « citoyen », sur un registre très relativiste : « Personne n’a le monopole de la vérité ». Il élude donc ces questions, affirmant cependant : « Il ne faut pas utiliser la blouse blanche pour faire passer des idées qui n’ont rien à voir avec la médecine ». En effet… mais la PMA pour toutes qui était l’un des points du manifeste que Jean-Marc Ayoubi avait porté au moment des dernières élections présidentielles relève-t-elle de la médecine ? De l’avis de plusieurs membres de la délégation (comme également de députés qui se sont exprimés avant eux), non. Ils regrettent que le sujet soit mêlé aux avancées de la recherche dans la loi de bioéthique, reléguant dans l’ombre des sujets essentiels comme celui de la recherche sur l’embryon ou de l’utilisation de cellules souches.
De la PMA vers la GPA ?
Enfin, à propos du lien entre PMA et GPA[5], le professeur botte à nouveau en touche : « Ce n’est pas un sujet médical mais sociétal », avant de se coiffer tout de même de la casquette de « citoyen ». Il se dit attaché au principe d’égalité, mais souligne aussi que le droit n’est pas seulement du côté « des demandeurs », autrement dit des commanditaires potentiels de GPA. Il rappelle avoir signé le même manifeste que Sylviane Agacinski en 2009 (GPA : Manifeste pour la défense des plus vulnérables, cf. Le Pr René Frydman contre les mères porteuses), bien qu’il dise ne pas partager toutes ses positions.
Et de souligner : « la bioéthique est une notion particulièrement noble et complexe ». Les débats au Sénat seront-ils à la hauteur des enjeux ?
Pour aller plus loin :
Révision de la loi de bioéthique : fondements de la loi et enjeux anthropologiques
Sylviane Agacinski au Sénat : « La loi sur la PMA aidera et permettra d’arriver à la GPA »
Levée de l'anonymat : les donneurs de gamètes ne sont pas d'accord
Arte : « Les enfants du secret », l’anonymat des donneurs de sperme en question
Recherches sur les causes de l’infertilité : peu d’équipes impliquées en France
« PMA pour toutes » et filiation : l’impossible conciliation
[1] Fécondation In Vitro.
[2] Gestation Pour Autrui.
[3] Une aberration chromosomique est un nombre anormal de chromosomes (en plus ou en moins). Les trisomies 13, 18 et 21 en sont des exemples.
[4] Assistance médicale à la procréation, aussi appelée PMA.
[5] Au vu de l’ensemble des résultats des centres publiés par l’Agence de biomédecine.
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