Euro : fin de partie remise

« Cette fois l'euro est sauvé, la crise grecque est terminée. » Un concert de satisfaction a salué, tant dans les sphères du pouvoir que dans la sphère médiatique, l'accord qui a été trouvé le 13 juillet à Bruxelles entre le gouvernement Tsipras et les instances européennes — et à travers elles, les grands pays, Allemagne en tête.

Étonnante illusion : comme si la diplomatie pouvait venir à bout du réel. N'est-ce pas Philippe Murray qui a dit un jour : « Le réel est reporté à une date ultérieure » ?

Il n'y a en effet aucune chance que cet accord résolve quoi que ce soit.

Passons sur le revirement étonnant d'Alexis Tsipras qui organise un référendum où le “non” au plan de rigueur de l'Europe est plébiscité avec plus de 62 % de voix et qui, immédiatement après, propose un plan presque aussi rigoureux.

Aide contre sacrifices

Ce plan a trois volets : les dettes de la Grèce doivent être étalées. Jusqu'où ? On ne sait pas encore, cela ne sera décidé qu'en octobre. La Grèce recevra de nouvelles facilités à hauteur de 53 milliards d'euros (remboursables), plus le déblocage de 25 milliards de crédits du plan Juncker (non remboursables). Elle doit en contrepartie faire voter sans délai un certain nombre de réformes : augmentation de la TVA, recul de l'âge de la retraite, lutte renforcée contre la fraude fiscale, etc.

Le volet réforme correspond-t-il à une vraie logique économique ? Appliquées immédiatement, ces mesures plomberont un peu plus l'activité, comme toutes celles que l'on inflige à la Grèce depuis quatre ans. Ne vaudrait-il pas mieux que ce pays consacre les ressources nouvelles à l'investissement et ne soit tenu de revenir à l'équilibre qu'au moment où la croissance, grâce à ces investissements, repartira. Quel pays a jamais restauré ses grands équilibres dans la récession ?

Moins que de considérations techniques, cette exigence de réformes ne s'inspire-t-elle pas plutôt du vieux moralisme protestant : aider les pauvres, soit mais seulement s'ils font des efforts pour s'en sortir. Quels efforts ? peu importe pourvu qu'ils en bavent !

Quoi qu'il en soit, pour redevenir solvable et donc rembourser un peu de ce qu'elle doit, la Grèce doit avoir des comptes extérieurs non seulement en équilibre mais excédentaires. Pour cela, elle doit exporter.

Pourquoi n'exporte-t-elle pas aujourd'hui, et même achète-t-elle des produits comme les olives ? Parce que ses coûts sont trop élevés. Pourquoi sont-ils trop élevés ? Parce qu'ils ont dérivé plus que dans les autres pays de la zone euro depuis quinze ans. Et quoi que prétendent certains experts, cela est irréversible.

Aucun espoir sans sortie de l'euro

La Grèce a-t-elle un espoir de devenir excédentaire en restant dans l'euro ? Aucun.

Seule une dévaluation et donc une sortie de l'euro qui diminuerait ses prix internationaux d'environ un tiers lui permettrait de reprendre pied sur les marchés.

C'est dire que l'accord qui a été trouvé, à supposer que tous les États l'approuvent, sera remis en cause dans quelques mois quand on s'apercevra que l'économie grecque (à ne pas confondre avec le budget de l'État grec) demeure déficitaire et qu'en conséquence, elle ne rembourse toujours rien.

On le lui a assez dit : cette sortie-dévaluation sera dure au peuple grec, du fait de l'augmentation des produits importés, mais elle lui permettra au bout de quelques mois de redémarrer. Sans sortie de l'euro, il y aura aussi des sacrifices mais pas d'espoir.

Nous pouvons supposer que les experts qui se sont réunis à Bruxelles savent tout cela. Ceux du FMI l'ont dit, presque en ces termes. Les uns et les autres ont quand même signé.

Les Allemands qui ont déjà beaucoup prêté à la Grèce et savent qu'ils ne récupéreront rien de leurs créances, réformes ou pas, ne voulaient pas s'engager davantage. Ils ont signé quand même. Bien plus que l'attitude plus flexible de François Hollande, c'est une pression aussi ferme que discrète des États-Unis qui a contraint Angela Merkel à accepter un accord, envers et contre une opinion allemande remontée contre les Grecs.

Quant à Tsipras, a-t-il dû lui aussi céder aux mêmes pressions (de quelle manière est-il tenu ?) ou joue-il double jeu pour grappiller encore quelques avantages avant une rupture définitive — qui verrait sans doute le retour de Yannis Varoufakis ? Les prochains jours nous le diront.

Le médiateur discret

On ne comprend rien à l'histoire de cette crise si on ne prend pas en compte, derrière la scène, le médiateur discret de Washington qui, pour des raisons géopolitiques autant qu'économiques, ne souhaite ni la rupture de la Grèce, ni l'éclatement de l'euro.

Cette donnée relativise tous ce qu'on a pu dire sur les tensions du « couple franco-allemand » (cela fait cinquante ans que les Allemands nous font savoir qu'ils n'aiment pas cette expression de “couple” mais la presse continue inlassablement de l'utiliser !).

Au dictionnaire des idées reçues : Merkel la dure contre Hollande le mou, Merkel, chancelière de fer, qui tient entre ses mains le destin de l'Europe et qui a imposé son diktat à la Grèce. Il est certes important de savoir que les choses sont vues de cette manière (et une fois de plus, notre piteux Hollande a le mauvais rôle !). Mais la réalité est tout autre.

Ce que l'Allemagne voulait imposer n'est rien d'autre qu'un principe de cohérence conforme aux traités qui ont fondé l'euro.

Ce que Tsipras a concédé, c'est ce qu'il ne tiendra de toutes les façons pas parce qu'il ne peut pas le tenir. Merkel a été contrainte à l'accord par Obama contre son opinion publique. La « victoire de l'Allemagne » est doublement illusoire : elle ne défendait pas d'abord ses intérêts mais la logique de l'euro ; cette logique, elle ne l'a imposée que sur le papier.

L’Union en danger

Mais pourquoi donc tant d'obstination de la part de l'Europe de Bruxelles, de la France et de l'Allemagne (et sans doute de l'Amérique) à trouver une solution à ce qui dès le départ était la quadrature du cercle ? Pourquoi tant de hargne vis-à-vis des Grecs et de tous ceux qui ont plus ou moins pris leur défense, au point d'anesthésier tout débat économique sérieux ?

Le Monde a vendu la mèche en titrant en grand : « L'Europe évite l'implosion en gardant la Grèce dans l'euro. » Nous avons bien lu : l'Europe et pas seulement l'euro. Bien que la Grèce ne représente que 2 % du PIB de la zone euro, son maintien dans cette zone conditionne la survie de l'euro. Mais par-delà l'euro, c'est toute la construction européenne qui semble devoir être remise en cause si la Grèce sortait et si, du fait de la Grèce, la zone euro éclatait.

Là encore le paradoxe est grand : comment de si petites causes peuvent-elles avoir de si grands effets ? Ce simple constat montre, s'il en était besoin, la fragilité de l'édifice européen. Cette fragilité réapparaitra qu'on le veuille ou non, jusqu'à la chute de ce qui s'avère de plus en plus n'être qu'un château de cartes.

Devant une telle perspective, les Européens, ont dit : « De grâce, encore une minute, Monsieur le bourreau. » Une minute ou quelques mois mais pas beaucoup plus.

 

Roland Hureaux

 

 

 

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