Le calendrier de la révision de la loi de bioéthique s'accélère. Le projet de loi du gouvernement devrait être examiné en commission durant la deuxième quinzaine de janvier, l'examen en première lecture à l'Assemblée nationale étant prévu à partir du 8 février (cf. notre dossier). Au cœur des prochaines discussions, le futur statut de la recherche sur l'embryon dont on commence à percevoir les aggravations qui y seront apportées.

Le 1er décembre dernier avait en effet lieu la première réunion de la commission parlementaire spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique (cf. nos premières Notes bleues adressées aux membres de la commission) [1]. La teneur des échanges qui se sont déroulés lors de la table ronde consacrée aux recherches sur l'embryon, et singulièrement les propos inédits de son rapporteur Jean Leonetti (UMP), ont dévoilé un dispositif que personne n'avait prévu.
Les problèmes éthiques et législatifs posés par l'utilisation des cellules souches embryonnaires humaines découlent de l'origine de ces cellules issues de la destruction d'embryons humains vivants in vitro. La loi relative à la bioéthique de 2004 a reconduit le principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon tel qu'il avait été formulé dans la précédente législation de 1994. L'article L. 2151-5 du Code de la santé publique rappelle ainsi que la recherche sur l'embryon est interdite .
Toutefois, le législateur a accepté pour une période expérimentale limitée à cinq ans de déroger à l'interdit qu'il prononce à la condition que les recherches sur l'embryon et les cellules embryonnaires permettent des progrès thérapeutiques majeurs et ne puissent être poursuivies par une méthode alternative d'efficacité comparable . Il s'agissait en quelque sorte d'ouvrir une fenêtre à la recherche scientifique sous réserve que d'autres techniques ne présentent pas un bénéfice équivalent, étant implicitement visées les recherches sur les cellules souches non embryonnaires ne soulevant quant à elles aucun problème éthique [2].
En l'état du droit, la période dérogatoire court à compter de la publication en Conseil d'État du décret du 6 février 2006 et s'achèvera donc le 6 février prochain. L'Agence de la biomédecine ne pourra donc plus instruire les dossiers de demande d'autorisation de projets de recherche au-delà de cette date.
Au terme du moratoire, il était attendu que la France tirerait les leçons de ce dispositif provisoire et, au regard des résultats obtenue, proroge ou non ce régime expérimental. Nous avions compris, même si nous n'avions pas souscrit à cette solution, que la mise en place d'un système limité dans le temps était voué à devenir obsolète dès qu'une alternative à la recherche sur l'embryon se présenterait. Or, nous nous trouvons aujourd'hui exactement dans la situation imaginée par le législateur en 2004.
Des conditions dépassées
Sur le plan scientifique en effet, les progrès enregistrés par la communauté internationale dans le champ des cellules souches adultes, en particulier les cellules mésenchymateuses issues de la moelle osseuse et du cordon, avec déjà des applications cliniques chez l'homme ont ouvert de nouveaux horizons extrêmement prometteurs pour développer des biothérapies cellulaires innovantes.
La découverte des cellules souches induites (iPS), saluée par de nombreuses personnalités comme une révolution scientifique majeure de la biologie contemporaine, rendent plus que jamais inutiles les travaux cognitifs sur l'embryon. Présentant les mêmes propriétés en terme de pluripotence que les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), les iPS sont désormais la voie royale pour modéliser les pathologies et faire du criblage moléculaire. La technique de Yamanaka a d'ailleurs ouvert la voie depuis quelques mois à un nouveau concept : la transdifférenciation cellulaire dont l'exemple le plus marquant est la transmutation récente chez l'homme de cellules cutanées en cellules sanguines sans passer par l'étape des cellules souches [3].
Ceci pose la question de la légitimité des autorisations accordées par l'Agence de la biomédecine et du pouvoir accordé à cet établissement unique en Europe. Comme l'a fait remarquer Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, est-il cohérent de continuer à accepter que la France autorise des recherches sacrifiant des embryons humains pour un objectif qui pourrait être atteint, plus efficacement, par d'autres méthodes ?
Malgré une accumulation de faits scientifiques plaidant massivement pour revenir à la solution de 1994 et donc à une position éthique plus rigoureuse refusant l'instrumentalisation de l'être humain au début de sa vie, la quasi-totalité des responsables politiques opte aujourd'hui pour la fuite en avant en défendant la pérennisation de la recherche sur l'embryon.
Vider le principe de sa substance
Le projet de loi du gouvernement prévoit ainsi d'instaurer un régime d'interdiction avec dérogation sans limite dans le temps. Même s'il est exact de noter qu'autoriser une recherche comme dérogation à une interdiction de principe permet de marquer encore le caractère exceptionnel de cette recherche au point de vue moral et de souligner la portée symbolique de l'interdit, supprimer le moratoire comme le recommande le gouvernement ne peut qu'aboutir à vider le principe de sa substance. Déroger à titre définitif à un interdit a-t-il un sens sur le plan éthique ? N'est-ce pas porter irrémédiablement atteinte au respect de l'être humain dès le commencement de sa vie (art. 16 du Code civil) et considérablement affaiblir le principe de dignité qui aurait dû rester la pierre miliaire de notre droit ?
La juriste Aude Mirkovic, maître de conférences en droit public à l'Université d'Evry, se dit surprise que le gouvernement persiste et signe quant à la possibilité d'utiliser des embryons humains pour la recherche, tandis de l'Union européenne vient de manifester la ferme volonté de tout faire pour protéger les embryons animaux. En effet, la directive européenne du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux pour la recherche fixe aux États européens comme objectif le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives [en promouvant] la mise au point d'approches alternatives , le texte visant aussi bien les animaux nés que ceux sous les formes embryonnaires et fœtales [4] ! Dramatique inversion de nos repères moraux...
Par ailleurs, le projet de loi préconise de supprimer le critère réservant les autorisations de recherche aux seules activités scientifiques orientées vers un objectif thérapeutique. L'exigence de finalité thérapeutique y est remplacée par celle de finalité médicale , beaucoup moins contraignante puisqu'elle permettrait de valider des projets de recherche fondamentale, n'excluant en définitive que les expérimentations relevant de la cosmétologie.
En clair, la simple substitution des termes ouvre la porte à des pratiques de recherche pharmaceutique sur l'embryon tel le criblage moléculaire. Or, comme le rappelle encore Aude Mirkovic, le législateur en 2004 n'avait accepté que soient accordées des dérogations à l'interdit de la recherche sur l'embryon qu'à la condition que les chercheurs se situent dans une perspective d'application thérapeutique, et uniquement dans cette perspective, excluant les travaux de recherche fondamentale et pharmaceutique. Comment accepter de détruire un être humain à son premier stade de développement uniquement pour améliorer les connaissances scientifiques ou optimiser la recherche pharmaceutique alors que les cellules iPS sont beaucoup plus pertinentes à ces fins ?
Enfin, le texte du gouvernement reformule le critère de méthode alternative d'efficacité comparable en le remplaçant par celui d'impossibilité, en l'état actuel des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons . Difficile ici de percer l'intention sous-jacente à cette nouvelle rédaction. Au moins garde-t-on l'idée qu'il est préférable sur le plan moral de recourir à une recherche ne détruisant pas un embryon lorsque cela est possible.
La surenchère du rapporteur
Malgré les aggravations qu'il entérine et que nous ne saurions accepter, ce projet de loi risque bientôt de nous apparaître comme beaucoup moins transgressif que celui porté par le rapporteur de la commission parlementaire spéciale, entré en guerre contre ce texte. Jean Leonetti, on le sait depuis la publication il y a un an du rapport de la mission d'information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique dont il était déjà la cheville ouvrière, veut gommer purement et simplement le critère d'absence d'alternative d'efficacité comparable [5].
Ce critère suppose l'exercice d'une veille éthique et scientifique portant sur l'état des connaissances en matière de cellules souches qui n'a jamais été véritablement mis en œuvre. L'existence avérée d'une méthode de recherche ne recourant pas à l'embryon et pouvant conduire à des résultats similaires rendait théoriquement inadmissible une recherche utilisant l'embryon ou les cellules embryonnaires.
C'est justement le non respect de cette condition d'interprétation stricte que la Fondation Jérôme Lejeune fait valoir pour attaquer en justice l'Agence de la biomédecine. Supprimer tout critère comparatif entre les différentes voies de recherche revient à bâillonner par avance ceux qui argumentent avec raison la priorité à emprunter des voies éthiques pour faire progresser la médecine régénératrice, tant sur les plan cognitif que clinique. En préconisant de faire passer à la trappe toute exigence de comparaison, Jean Leonetti libéralise de facto la recherche sur l'embryon quand bien même il existerait une procédure alternative équivalente ne soulevant aucune objection éthique.
Abattre les derniers garde-fous
Ce n'est pas tout. La proposition inédite qu'il a suggérée lors de la table ronde du 1er décembre est emblématique de sa volonté d'abattre les derniers garde-fous. Dans son article 23, le gouvernement prévoit non plus de maintenir l'interdit de la recherche sur l'embryon de manière générale mais sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires . On s'aperçoit aujourd'hui que la précision rédactionnelle du projet de loi était peut-être salutaire. En effet, le rapporteur de la commission n'accepte pas cette perspective : lui voudrait libéraliser la recherche sur les cellules souches embryonnaires en ne gardant l'interdit de principe que dans le cas de la recherche sur l'embryon proprement dit (Compte-rendu, p. 7 et p. 26). Il fait ainsi coup double.
Premièrement, il donne satisfaction aux chercheurs et aux industriels pharmaceutiques qui pourront importer, cultiver, étudier les milliers de lignées de cellules souches embryonnaires disponibles dans le monde. Plus besoin de dérogations accordées par l'Agence de la biomédecine, il suffira que les CSEh proviennent d'un laboratoire référencé pour que l'autorisation de recherche soit de droit. Les deux plus grandes voix françaises en faveur de la libéralisation de la recherche sur les CSEh, les professeurs Philippe Menasché et Marc Peschanski – seuls scientifiques invités à la table ronde soit dit en passant, ce qui en dit long sur l'objectivité des propos qui s'y sont tenus, aucun contradicteur n'étant présent ce jour-là –, ont été particulièrement séduits par cette idée (p. 27). Le président de la commission Alain Claeys (PS), visiblement enchanté, s'est lui aussi déclaré extrêmement favorable à cette évolution (p. 27).
Deuxièmement, en maintenant l'interdit avec dérogations uniquement sur l'embryon humain in toto, Jean Leonetti en profite pour y inclure ceux qui seraient destinés à naître, légitimant indirectement la création d'embryons à visée de recherche pour améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation. Ce serait l'un des derniers verrous éthiques à sauter dont personne n'avait jusqu'ici oser remettre en cause le bien fondé. Il confirme donc sans le moindre doute les propos polémiques qu'il avait tenus récemment dans le Journal du dimanche.
En gardant l'interdit de principe à la recherche sur l'embryon proprement dit, le député Leonetti pense nous faire croire que la morale est sauve. Il ne s'agira plus en fait que d'un interdit de façade et d'une coquille d'autant plus vide que la recherche sur les CSEh serait par ailleurs libéralisée. Or le processus de dérivation des cellules souches embryonnaires résultant directement de la lyse d'un embryon humain vivant, l'ensemble de la recherche est répréhensible sans qu'aucune des étapes ne puisse être séparée sur le plan éthique.
C'est bien pour cela que le législateur en 2004 n'a pas souhaité dissocier artificiellement la recherche sur l'embryon proprement dit de celle menée sur les cellules qui en sont issues. Si l'origine des tissus humains et le moyen dont ils ont été obtenus n'ont aucune importance morale pour Jean Leonetti, son raisonnement transposé à la médecine de greffe conduirait ipso facto à légitimer l'importation d'organes prélevés sur les prisonniers politiques chinois ou les populations pauvres des pays émergents.
Le tour de passe-passe est particulièrement machiavélique. Le monsieur bioéthique de l'Assemblée nationale entend-il abuser ses collègues de la majorité sur lesquels il a un ascendant indéniable, voire amener certains parlementaires de l'opposition à le soutenir contre le projet du gouvernement de sa propre famille politique ? Quoi qu'il en soit, la voie qu'il propose ne peut que conduire à affaiblir gravement le respect de la vie dans notre pays.
À cela, nous répondrons avec les paroles sans appel du pape Benoît XVI :

La recherche sur l'embryon, quels que soient les résultats d'utilité thérapeutique, ne se place pas véritablement au service de l'humanité. Elle passe en effet par la suppression de vies humaines qui ont une égale dignité par rapport aux autres personnes humaines et aux chercheurs eux-mêmes. L'histoire elle-même a condamné par le passé et condamnera à l'avenir un tel type de science, non seulement parce qu'elle est privée de la lumière de Dieu, mais également parce qu'elle est privée d'humanité.

 

[1] Compte-rendu de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, mercredi 1er décembre 2010, séance de 14 heures, Compte-rendu n. 02.
[2] Bertrand Mathieu, La Bioéthique, Dalloz, Coll. Connaissance du droit, 2010.
[3] Jean-Yves Nau, Le sang à fleur de peau , Slate.fr, novembre 2010.
[4] Directive 2010/63/UE du parlement européen et du conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux à des fins scientifiques.
[5] Jean Leonetti (dir), Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine , Rapport n. 2235, tome 1, janvier 2010, p. 319-320.
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