À Lourdes, la Femme de l’Apocalypse, la nouvelle Eve, n’a dévoilé son nom qu’à la seizième apparition, le 25 mars 1858, après que Bernadette le lui eût demandé trois fois. L’histoire montre qu’il a fallu aussi du temps à l’Église catholique avant de proclamer le dogme de l’Immaculée Conception : dix-neuf siècles après l’Incarnation du Christ… comme un cadeau qu’on attend longtemps et qui n’en a que plus de valeur parce qu’il vient à point nommé.
D’autant que, quatre ans après, la Vierge vint en personne se présenter comme telle à Lourdes, événement qui – miraculeusement - va très vite faire le tour du monde, si bien que l’Immaculée Conception va étendre son manteau sur la terre entière.
Il n’est pas anodin que cette annonce se soit passée au milieu du XIXe siècle, en plein essor scientifique rendu possible par l’affirmation judéo-chrétienne d’un Dieu unique qui avait désacralisé le monde matériel en Occident. Mais en reléguant le fait religieux dans le domaine de l’archaïsme ou de la superstition, une science triomphaliste allait de plus en plus s’opposer aux racines chrétiennes de l’Europe.
Aussi ne peut-on douter que l’Immaculée Conception est un message du Ciel pour notre temps, et ne peut-on être surpris que le Saint-Père ait voulu venir à nouveau en pèlerinage à Lourdes rappeler son importance.
Marie, en devenant la mère de Dieu par la grâce de sa conception immaculée, est Mère de la Vie, en plénitude.
Ce qui se vit à Lourdes éclaire et développe ce mystère.
Notons d’abord que la Vierge ne s’est pas seulement déclarée Immaculée mais Immaculée Conception, et ce, le jour de l’Annonciation. Le Père Maximilien Kolbe, venu à Lourdes le 17 février 1941, peu de temps avant l’offrande de sa mort, disait en substance : " On ne peut pas être sa propre conception. Le 25 mars, c’est Jésus qui est conçu ! Si Marie est immaculée dans sa conception, ce n’est pas pour elle-même mais c’est pour que puisse passer à travers elle, conçu par la puissance de l’Esprit, ce Fils donné au monde, le Verbe de Vie. "
Conçue sans péché, la Vierge Marie nous invite tous à reconnaître notre péché, à nous en repentir, dans un monde où le sens même du péché a largement disparu, où l’on veut bâtir un humanisme sans Dieu qui conduit à ce que la vie soit bafouée.
Ses paroles sont claires, limpides : "Pénitence, priez pour les pécheurs, venez boire à la source et vous y laver." Tout le monde peut comprendre qu’il s’agit de puiser une nouvelle vie purifiée du péché. Et la promesse de Marie à Bernadette est pour tous : Je ne vous promets pas le bonheur du monde -– dans l’esprit de ce monde voué à la mort et au péché -- mais de l’autre, - celui de l’Esprit de Dieu, qu’il est possible de vivre ici et maintenant, dans l’Église, communauté de pécheurs rachetés par le Christ, appelés à pardonner et à être pardonnés.
Miracles et guérisons
Et puis, très vite, trois jours après la découverte de la source à la neuvième apparition, les miracles vont fleurir à Lourdes. On peut se demander pourquoi. La Vierge n’en a pas dit mot. Mais il semble que la simplicité tout évangélique du message suffise à expliquer ces guérisons semblables à celles qu’opérait Jésus pour appuyer son enseignement partout où il rencontrait assez de foi.
Si des guérisons nombreuses et ininterrompues s’opèrent ici, elles sont justement la manifestation de foi d’un peuple de toutes les nations venu en pèlerinage en ce lieu sacré marqué par la présence de Marie. Cette communauté de foi, d’espérance, de prière et de charité en actes, concrètement vécue sous une forme visible, constitue le mystère de l’Église, sacrement du salut, Corps du Christ en lui-même guérissant.
Il est à noter qu’il ne s’agit pas de manifestations prodigieuses mais simplement de guérisons miraculeuses préternaturelles (1) , vécues dans la discrétion, comme des signes patents de la victoire de la vie sur la mort. Comme le disait excellemment mon prédécesseur, le Dr Vallet, dans le premier numéro de l’AMIL en février 1928 : " Dans l’histoire de toute guérison surnaturelle qui se produit en la Cité bénie des Apparitions, deux faits ont une valeur d’égale portée : d’abord la chute irrésistible vers la mort d’un organisme irrémissiblement condamné par la science humaine, puis, à partir d’un instant donné, son prodigieux rebondissement vers la vie. "
Oui, les miracles de guérison rendent la vie, cette Vie, capable de guérir la création blessée.
Ils sont la préfiguration de cette humanité nouvelle à l’image de Marie, totalement préservée du péché qui défigure la vie. Ils signent que Jésus est maître de la vie, rappellent que la vie est l’apanage de Dieu.
Certes, les premiers qui espèrent une guérison sont les malades et handicapés. Notre premier devoir de bien portants et de croyants est de les accueillir, dignement, comme nos frères et sœurs en Christ, comme les envoyés du Seigneur, comme le Seigneur lui-même. Si notre regard sur eux est différent de celui qu’ils trouvent ailleurs, n’est-ce pas d’abord dû à la présence de Marie, la Toute Pure ? Oh combien il est difficile aujourd’hui de garder la pureté du regard ! La Vierge corrige, transforme, purifie notre regard. Nous ne pouvons plus nous détourner, nous trouvons la force de regarder en face la souffrance, de l’accepter, non comme une bonne chose -– la maladie est un mal -– mais comme une réalité de notre monde fini marqué par le péché, contre laquelle nous avons à lutter sans l’occulter ou la dénier.
Bien sûr, tout le monde ne guérit pas à Lourdes, et il m’est souvent objecté que Bernadette n’a pas guéri… C’est vrai, elle est morte à 35 ans après une vie d’épreuves. " Mon emploi c’est d’être malade " avouait-elle. Pourtant, sur son lit de douleur, elle se disait " plus heureuse qu’une reine sur son trône ". N’était-elle pas guérie au plus profond de son être ? Son corps, conservé en attente de la résurrection, pourrait bien en être le signe.
Aussi, comme dans l’Évangile, les guérisons physiques, les seules visibles, me semblent avoir d’abord pour objectif de nous faire prendre conscience d’autres guérisons, invisibles celles-là, plus fondamentales, plus nécessaires encore.
Nous avons d’abord tous à guérir du péché, parce que nous sommes nés pécheurs, blessés dans nos propres forces naturelles, éloignés de Dieu. Comme le rappelait S.S. Jean-Paul II lors de son pèlerinage ici même il y a 21 ans : " La Vierge, Notre-Dame de Lourdes (…) rappelait [à Bernadette] la grâce de sa propre conception immaculée, qui avait fait d’elle le signe avant-coureur de l’humanité rachetée par le Christ, la préservant du péché originel, c’est-à-dire de cette séparation d’avec Dieu qui atteint tous les hommes à leur naissance et qui laisse dans leur cœur une tendance au soupçon, à la méfiance, à la désobéissance, à la révolte, à la rupture avec ce Dieu qui n’a jamais cessé de les aimer. "
De cette blessure initiale, nous allons toute notre vie essayer de nous en sortir. Soit par la crispation, la révolte, l’accusation, soit en voulant agir par nous-mêmes, tout diriger, tout résoudre, avec nos moyens, nos propres forces, nos prétentions, nos calculs. Finalement toujours centrés sur nous-mêmes, au lieu d’entrer dans un mystère d’impuissance, d’abandon, de faiblesse, par la douceur, l’acceptation, la confiance…
Qui peut le mieux nous introduire dans ce chemin de sainteté sinon Marie, Tabernacle du Dieu vivant, pleinement habitée par l’Esprit ? Par son cœur immaculé, elle est cette présence de douceur qui nous apprivoise à ce retournement du cœur, nous introduisant dans cette vie d’union à Dieu où l’Esprit peut habiter notre cœur profond pour une vie nouvelle.
N’est-ce pas la guérison essentielle, celle dont nous avons vraiment tous besoin ?
Et puis, une guérison apparaît aujourd’hui primordiale, celle d’une société auto-suffisante ne se donnant aucune limite, spécialement en médecine, à l’origine de ce que le Saint Père a appelé une culture de mort.
Nous les professionnels de santé, influencés –- infectés faudrait-il dire… -- par ce culte de toute-puissance, sommes les premiers à en souffrir.
L’Immaculée Conception, indemne de tout mal, peut développer en nous une culture de vie, nous inspirant les moyens de lutter dans notre pratique quotidienne non seulement contre la maladie et la mort, mais aussi contre les forces du mal sous toutes leurs formes.
Les guérisons miraculeuses, qui sont des modèles, les icônes de la guérison, nous font prendre conscience de la dimension spirituelle inhérente à la nature humaine. Soigner les corps doit passer parfois par une ouverture à ce qu’il y a de plus profond dans l’homme et qui le constitue : son âme, l’âme spirituelle qui le fait être à l’image de Dieu et capable de Dieu.
Et, nous-mêmes, soignants, nous n’avons d’autre voie que de nous configurer au Christ en acceptant l’œuvre kénotique de la Croix qui, seule, conduit à la vie, condition pour être vraiment ses serviteurs.
En cette fête de l’Assomption 2004, notre bien-aimé pape, aujourd’hui âgé, souffrant, handicapé, revient à Lourdes reprendre aussi des forces pour poursuivre jusqu’au bout la mission que le Seigneur lui a confiée. Nous formons le vœu que sa prière à la Grotte de Massabielle, malade au milieu des malades, soit pour lui un réconfort, croyant que son exemple redonnera courage et espérance aux nombreux pèlerins qui prieront avec lui sur place ou sur les ondes.
*Patrick Theillier est directeur du Bureau médical des sanctuaires de Lourdes.
> Pour en savoir plus, lire et commander avec notre partenaire Amazon.fr, de Patrick Theillier, Et si on parlait des miracles, (Presses de la renaissance, mai 2004).
>
>