[Source : Figaro Vox]
FIGAROVOX/TRIBUNE - Le second débat des primaires aura lieu ce jeudi. Pour Rémi Lefebvre et Eric Treille, celles-ci sont d'abord un élément de mobilisation médiatique pour les partis avant d'être un outil de sélection d'un candidat présidentiable.
En rassemblant devant le petit écran près de 5,6 millions de téléspectateurs, le premier débat de la primaire de la droite et du centre a clairement rencontré le succès. Il a même su dépasser en termes d'audimat l'échange inauguré par le PS en 2011, confirmant ainsi l'intérêt des Français pour la politique et leur curiosité pour cette nouvelle procédure de désignation.
L'arrivée de TF1 sur le marché de la diffusion des débats des primaires souligne également la suprématie du théâtre cathodique sur le monde clos des organisations partisanes. Grâce à la surexposition de ses candidats, le PS avait pu complètement déséquilibrer en sa faveur les temps d'antenne consacrés aux formations politiques - plus de 150 % du temps de parole par rapport à la majorité présidentielle -, éclipsant alors Nicolas Sarkozy et l'UMP de l'espace médiatique.
Pour réitérer ce captage de l'attention des téléspectateurs, le parti Les Républicains a sciemment érigé le précédent socialiste en modèle, consacrant ce qui est devenu en soi un nouveau «genre télévisuel» avec ses contraintes et ses règles d'exposition. Par mimétisme, il s'est ainsi calé sur la forme et le nombre des débats qui avaient été privilégiés en 2011. Il a également négocié l'ensemble des conditions du premier échange, du format des pupitres au positionnement des débatteurs sur le plateau, au risque de revenir à la «télévision de Brejnev» selon les mots utilisés par Jean-Pierre Elkabach pour commenter la primaire socialiste de 2006.
A l'image des cahiers des charges des candidats américains, ces exigences soulignent la spécificité d'un exercice destiné au grand public qui ne doit pas pour autant constituer un risque politique pour le parti organisateur. Ce contrôle très fort des conditions du premier débat synthétise en cela l'ambiguïté même de l'exercice des primaires. L'extension du domaine de la lutte électorale au-delà des seules sociétés partisanes représente plus qu'une solution procédurale télévisée choisie par des formations politiques en crise de leadership. Même s'il se déroule à ciel ouvert, le cadre d'investiture défini par LR est un mode de consultation privé qui ne relève que de sa liberté d'organisation.
Avec cette émission diffusée en prime time, le scrutin est sorti de la phase des observations à distance pour entrer dans celle de l'incarnation comparative. En osant la confrontation, les candidats n'ont cependant pas pris le risque de réellement s'affronter, même si des attaques très ciblées ont pu émailler le débat, notamment sur les questions judiciaires ou lors du propos introductif de Jean-François Copé. En choisissant en plein accord avec la direction de TF1 un format volontairement corseté à la seconde près, LR a souhaité avant tout se prémunir d'un double danger, soit produire comme EELV des échanges aseptisés à force d'autocontrôle, soit dévoiler au grand jour des divisions internes comme ce fut le cas en 2006 avec Ségolène Royal, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. Contrairement au système américain où les débats sont nombreux, souvent très rugueux et surtout étalés sur une longue période, le système des primaires à la française doit permettre de départager dans un temps très court des concurrents déjà passés par le filtre des parrainages sans trop abîmer celle ou celui qui représentera son parti à l'élection présidentielle. La tenue d'un débat sérieux, maîtrisant les lignes de clivage au risque de l'ennui, est alors le prix à payer pour éviter que n'éclatent les rivalités. Personne, ni même les outsiders, ne doit porter sur écran la responsabilité de la désunion, comme l'a bien montré l'engagement public de l'ensemble des postulants à soutenir sans équivoque le vainqueur de la compétition.
Il ne faut donc pas s'étonner que le premier débat n'ait pas troublé la hiérarchie établie depuis déjà de longs mois par les sondages. Alain Juppé reste plus que jamais en tête des enquêtes d'opinion devant Nicolas Sarkozy et le duo François Fillon, Bruno Le Maire. Il a même su montrer, au-delà des différences d'approche et de style personnel, une très forte convergence des offres programmatiques, notamment en matière économique et sur le rôle de l'Etat, soulignant ainsi que la primaire de la droite et du centre n'a pas usurpé son nom, comme ont pu le laisser croire les spéculations sur le possible vote stratège d'électeurs de gauche.
C'est une des grandes leçons à retenir des Etats-Unis. Les primaires ne désignent pas seulement un outil de sélection. Elles constituent également un élément puissant de rassemblement et de mobilisation avant l'ouverture officielle de l'élection présidentielle. Elles procurent aux partis organisateurs un «avantage communicationnel» sans commune mesure avec leurs moyens propres, à condition cependant que cette surexposition médiatique ne joue pas contre ses initiateurs et que les prochains débats s'inscrivent toujours dans la même stratégie de polissage des désaccords et d'évitement des incidents.