Mgr Rey

« Peut-on être catho et écolo ? » Sous ce titre Mgr Rey vient de publier un petit ouvrage aux éditions Artège qui fait le point sur une question controversée. Il ne s’agit pas tant d’un livre que d’une lettre adressée, d’abord aux catholiques du diocèse de Toulon, mais aussi à tous les hommes de bonne volonté. Stanislas de Larminat qui collabore à notre site (1) nous en propose un résumé détaillé.

Mgr Rey voit, dans la crise écologique, un des « signes des temps » auxquels le concile voulait être attentif.  Il voit dans la Révélation  « de quoi participer  audacieusement à l’annonce d’un ‘’évangile écologique’’ ». Mais, à la fois, la « question écologique ne peut se réduire …à des questions techniques », et, en même temps, « l’écologie requiert un minimum de compétences techniques ».

Il faut donc poser quelques principes de réflexion « pour permettre un vrai discernement, à la lumière de la Parole de Dieu ».

Y-a-t-il une réticence des chrétiens à se prononcer dans ce domaine ?  « Comme si l’on attendait que l’Eglise corrobore seulement les diagnostics, confirme les analyses et encourage une certaine attitude ‘’éco-citoyenne’’ ».  Or, insiste Mgr Rey,  « si l’on veut bien  approfondir la question, sans se limiter à l’étude de sa position sur le réchauffement climatique, on est surpris par… une véritable nouveauté dans l’enseignement de l’Eglise qui ne se limite pas à un crédo mondial sur la manière de sauver la planète ».

Benoit XVI a en effet magistralement résumé sa position dans l’encyclique « caritas in veritate » à propos des relations entre l’homme et son environnement naturel.

Tout l’ouvrage de Mgr Rey revient à expliquer comment « la crise écologique que nous vivons vient, en dernière analyse, du fait que l’homme a perdu la juste place qui était la sienne dans une nature sortie bonne et ordonnée des mains de Dieu ».

La crise écologique

L’évêque de Toulon souligne que la crise écologique découle de crises en amont qui sont à la fois d’ordre métaphysique, anthropologique et moral. On ne voit plus que le monde est le fruit d’un acte créateur, ni que l’homme y a une place unique qui lui donne une responsabilité éthique vis-à-vis de la création pour participer au salut de ce monde. 

Un monde créé

Le monde a été conçu comme création sortie des mains de Dieu.Ne pas le reconnaître conduit à de graves erreurs de conceptions des rapports entre Dieu et le monde. De cette affirmation, il résulte plusieurs conséquences :

 

D’abord, « le monde n’est pas Dieu »

Il est distinct du créateur. Cela exclut toute forme de monisme : l'univers ne se limite pas à seule forme de substance et d'activité, conception que réfute Mgr Rey en  « excluant tout monisme ». En effet, la nature, en elle-même, a une vocation qui sera « récapitulée dans le Christ à la fin des temps ».

C’est pourquoi, il faut « retrouver la grammaire de la création ». La foi, loin d’entraver la raison, nous donne de « reconnaître le « logos »… qui se manifeste dans la nature ». En effet, dit Mgr Rey, « l’ordre propre de la création, son logos, est le reflet, en elle, du logos divin, de l’Esprit créateur ».  L’évêque de Toulon dénonce une forme de panthéisme païen des courants écologistes radicaux qui les mène à rendre un culte à une nature qui existerait sans l’homme et sans Dieu. Cela conduit à « l’exaltation de l’instinct, de l’émotion, de l’intuition et de l’irrationnel ! »

Il faut donc « retrouver le sens des mots » car le vocabulaire n’est pas neutre. L’évêque de Toulon va jusqu’à s’interroger : « Faut-il absolument adopter le nouveau langage ? ». Quelques  exemples éclairent le propos : « Il y a quelques nuances entre le ‘’sauvetage de la planète’’ et le ‘’respect de la création’’, entre le ‘’développement durable et le ‘’développement humain intégral’’ ». Faute de clarifier la sémantique, on risque de déifier la terre comme c’est le cas dans « la charte de la terre » promulguée à l’UNESCO en mars 2000.

La place unique de l’homme au sein de la création

 

La crise écologique découle aussi d’une crise anthropologique qui méconnaissait la nature profonde de l’homme. Négliger le fait que le monde soit à la fois fait pour l’homme et l’homme pour Dieu conduit à des attitudes destructrices face à la nature, à construire un monde inhumain, à croire, à tort, que le problème principal est démographique ou que la vie humaine n’est pas inviolable.

Le monde est fait pour l’homme : Il est un « écrin dans lequel Dieu a placé l’homme, créé à son image et à sa ressemblance ». Mgr Rey rappelle cette vision anthropocentrique de l’homme déjà énoncée lors du concile, dans Gaudium et spes : « Croyants et incroyants s’accordent sur le fait que tout doit être ordonné à l’homme, comme à son centre et à son sommet » (GS §12)

Mais le point de vue biblique est « surtout théocentrique »: l’homme est fait pour Dieu. Dieu a « créé l’homme ‘’capable de Lui’’, en vue de Lui », dit Mgr Rey.

Faute de comprendre ces deux visions anthropocentrique et théocentrique, l’homme ne s’aimera plus lui-même. Il en résultera des dérives du type de celles consistant à mépriser l’homme, à oublier sa dignité. Pour « oublier », on se perd dans l’idolâtrie de la nature, ou bien dans la recherche du bien être à tout prix, ou encore dans le « primat du corps », ou à l’inverse « l’éclipse du corps » telle qu’elle se manifeste par exemple dans la banalisation de la crémation. Tout cela conduit en fait à considérer l’homme comme un prédateur.

Dès lors, il y a des risques de logique inhumaine. Mgr Rey prend l’exemple de la reconnaissance de droits des animaux qui conduit à une écologie inhumaine au point que « la vie d’un nouveau né a moins de valeur… que la vie d’un cochon, d’un chien ou d’un chimpanzé ».

Dans la même perspective, on en arrive à lier les questions d’écologie et de démographie. « La surpopulation serait l’une des causes de la dégradation de l’environnement ». Mgr Rey dénonce ainsi que le FMI puisse en arriver à conditionner ses aides financières aux pays en difficulté à l’adoption de politiques de limitation des naissances. Il dénonce le rapport du Club de Rome appelant à « limiter le nombre des convives à la table de l’humanité ». Il dénonce l’ONU qui disait en 2009 que « la natalité galopante des pays en développement est un des principaux moteurs du réchauffement ».

En effet, « il y a de la place pour tous sur la terre » rappelle Benoit XVI dans Caritas in veritate (§50).

On en arrive ainsi à oublier « l’inviolabilité de la vie humaine ».C’est pourquoi Jean-Paul II a parlé de la nécessité d’une « écologie de l’homme », réaffirmant « la dignité de toute vie humaine, de la conception jusqu’à la mort naturelle ». C’est un thème récurent dans le magistère de Benoit XVI de développer le lien entre respect de l’environnement et respect de la vie. « Le pire danger qui menace notre environnement est l’avortement », dit Mgr Rey, ajoutant qu’il est significatif que les pays où l’on rencontre les pires catastrophes écologiques sont ceux qui ont le plus contrôlé les naissances : Russie (2 millions d’avortements/an) et la Chine (10 millions/an).

Une réflexion d'ordre 

L’oubli de « la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la création » est le résultat de notre déficit de vision métaphysique et anthropologique. Pour faire bon usage de la création, il faut également avoir une réflexion d’ordre moral.

 

« Suis-je le gardien de mon frère ? » Mgr Rey  reprend cette question biblique posée par Caïn après avoir tué Abel. Cela permet à l’évêque de Toulon de rappeler que l’homme aura à « transmettre [la terre] aux générations futures vis-à-vis desquelles il a donc une responsabilité ». Mgr Rey parle de « la seigneurie de l’homme » qui consiste à soumettre la terre, à la cultiver, mais aussi à la garder. « Une véritable solidarité intergénérationnelle doit exister ».

Or le point de départ de notre agir, dans la morale chrétienne, réside dans la création de « l’homme, image de Dieu ». A ce titre, nous avons « une responsabilité vis-à-vis de Dieu… [qui] engendre des devoirs à l’égard des autres ».  La domination accordée par le créateur à l’homme n’est donc pas un pouvoir absolu et « l’on ne peut parler de liberté d’user et d’abuser des choses comme on l’entend » (JP 2- Sollicitudo rei socialis §34). Mgr Rey renvoie dos à dos les conceptions du travail humain opposées : celle de « la logique économique libérale qui conduit à un certain productivisme et à une hyperconsommation …[et]… celle des écologistes radicaux qui prônent la ‘’fin du travail’’ pour se rapprocher d’un ‘’état stationnaire’’ ou même de ‘’décroissance’’ ».

Ce n’est qu’à ce stade de son raisonnement que Mgr Rey aborde les aspects techniques et scientifiques en parlant d’une forme d’« échec de l’idéologie du progrès qui imprègne nos mentalités depuis le XVIIIe siècle ». Cette idéologie nous  a fait croire que  le bonheur n’est plus attendu dans l’au-delà mais dans le monde. « Le développement des sciences et des techniques… devait conduire vers une sorte de paradis terrestre consacrant le ‘’règne de l’homme’’ ». Benoit XVI, dans Spe salvi, disait que « celui qui promet le monde meilleur qui durerait irrévocablement pour toujours fait une fausse promesse ; il ignore la liberté humaine » (§ 24). Or, c’est là que la crise écologique est une crise morale : A chaque génération, « la liberté doit se déterminer pour le bien, en puisant au trésor moral de l’humanité… La véritable difficulté réside, non pas tant des questions économiques ou industrielles, que dans le cœur de l’homme ».

La seule voie pour sortir de cette crise morale est de redonner un primat  à une ‘’Ecologie de l’homme’’. Dans cette perspective, « la famille, première structure fondamentale, est la principale réalité au service d’une véritable écologie humaine ».  Alors, on vérifiera que Benoit XVI a raison en disant : « Quand l’écologie humaine  est respectée dans la société, l’écologie proprement dite en tire aussi avantage » (Caritas in veritate §51). Pour illustrer ce lien, Mgr Rey évoque certains exemples d’inversion de logiques écologiques : « on combat les OGM sans trouver à redire lorsqu’il s’agit d’organismes humains génétiquement modifiés », on se mobilise « contre la pollution par les nitrates des grands réservoirs d’eau souterraine, mais on ne donne que peu d’écho à la pollution des rivières ou de la mer par des résidus médicamenteux, notamment de pilules contraceptives ».

Tout cela résulte d’une forme de dictature du relativisme. Il n’y a pas seulement un lien entre écologie environnementale et écologie humaine, mais également avec l’écologie spirituelle. Benoit XVI parle de la « pollution  atmosphérique qui empoisonne l’environnement, de même qu’il existe une pollution du cœur qui étouffe la vie spirituelle » (Homélie de pentecôte 2009)

Perspective de salut 

Cette crise de l’écologie spirituelle se traduit par une perte du sens de l’histoire. On oublie que « le monde lui-même sera sauvé », et que Dieu intervient dans une « histoire sainte ».

 

La rédemption est en cours : il suffit d’entendre que « la création gémit ». Oui, « la terre, si souvent abusée, semble souffrir ». C’est le péché qui a bouleversé l’harmonie de la création tout entière.  La création « se sentira libérée lorsque viendront des créatures, des hommes qui sont des fils de Dieu et qui la traiteront en partant de Dieu » (Benoit XVI, discours 6.8.2008).

Le monde participe aux conséquences du péché, mais également à la promesse divine de rédemption. C’est ce qui donne « une espérance pour la terre ». En s’incarnant, le Christ « est venu redonner à la création, au cosmos, sa beauté et sa dignité ». En Lui, « le ciel et la terre se sont rencontrés dans un ‘’admirable échange’’ ». C’est une grande espérance qui traverse toute l’Histoire Sainte avec les prophètes qui « annoncent une ‘’terre nouvelle’’ et des ‘’cieux nouveaux’’ ».

Le Christ vient ainsi nous redonner  « le sens du temps ».  Toute l’histoire s’articule autour de Sa mort et de Sa résurrection, au point que la création entière s’en est émue : « le ciel s’obscurcit et la terre tremble lors de sa passion ». C’est un bouleversement cosmique « où l’univers est orienté vers le Père… Désormais l’histoire est tendue vers Son retour glorieux où tout doit être récapitulé en Lui ».  Le catéchisme résume cette réalité : « Le mystère du Christ est la lumière décisive sur le mystère de la création… Dès le commencement, Dieu avait en vue la gloire de la nouvelle création dans le Christ » (CEC 280-281).

Célébrer le sabbat redonne son sens au temps. C’est reconnaître Dieu comme créateur et célébrer l’Alliance avec Lui. Retrouver le sens du dimanche n’est pas sans importance pour la question écologique.

Un carême pour la terre

Mgr Rey part donc de cette analyse de la crise écologique. Une saine vision métaphysique et anthropologique permettra à l’homme de reconnaître la responsabilité morale qui lui incombe. Pour cela, il ne fera pas l’économie d’une conversion non seulement de ses mœurs, mais d’abord de celle des cœurs.  A cette fin, l’Eglise nous invite à trois attitudes fondamentales pour sortir de nos égoïsmes et de l’esclavage de nos passions : la prière,  la pénitence et le partage. Il s’agit là d’un véritable « carême pour la terre ».

La prière

Nous devons d’abord nous réhabituer à remercier le Seigneur par « la louange ».  La splendeur de la création manifeste la Gloire de Dieu. « Devant le spectacle éblouissant de la nature, son harmonie et sa paix, nous pouvons laisser monter en nos cœurs un chant de reconnaissance et d’amour ».

La prière de louange trouve son point culminant dans l’adoration et « l’Eucharistie ». C’est le lieu « de l’adoration en esprit et en vérité ».  Dieu en se rendant présent sous l’apparence d’un peu de pain, montre que l’eucharistie est un « acte central de transformation qui est seul en mesure de renouveler vraiment le monde » (Benoit XVI- Marienfield 21.8.2005).

La pénitence

 

Face à la restriction des biens de la terre, « ascèse et sobriété » nous aideront dans l’exercice de la vertu de tempérance. « Pourquoi ne pas retrouver le sens du jeûne ou de la simple frugalité ?»,  interroge Mgr Rey. « Il ne suffit pas d’acheter les produits qui ont un « label » attestant leur impact faible sur l’environnement, mais bien de réformer complètement la course effrénée à la consommation ». Pour cela, il est indispensable d’apprendre la maitrise de ses instincts.

En appelant à un « retour à la terre », Mgr Rey ne parle pas d’une « fuite au Larzac », mais d’une plus grande estime qu’il faut avoir pour le travail. Il appelle à un retour au réel : « La dignité de l’homme ne lui vient pas de son statut de consommateur, mais de son être, à l’image de Dieu, capable de continuer l’œuvre de la création par son travail ».

Le partage

 

Mgr Rey évoque l’activité économique, rappelant, sans les condamner, qu’elle ne doit pas se réduire aux seuls « échanges marchands ». Mais il rappelle que « le principe de la gratuité et la logique du don devraient y trouver leur places. Ils se trouvent inscrits dans le ‘’grand livre de la nature’’ ». L’homme doit réapprendre la grammaire de la création qui repose sur cette règle originelle de la gratuité et du don. « Une véritable écologie… passe par une solidarité renouvelée et un partage authentique ».  Mgr Rey prend l’exemple du domaine énergétique dans lequel cette solidarité est importante. Il faut à la fois mettre en place une redistribution planétaire des ressources afin que les pays qui n’en n’ont pas puissent y accéder. Mais, ajoute Mgr Rey, « ne fixons cependant pas de limites à la créativité humaine et à son audace. Les hommes ont une capacité d’invention indéfinie et indéfinissable. En matière d’énergie, on dit que le pétrole va s’épuiser ; cela est probable. Mais d’une part, les hommes n’ont pas toujours connu le pétrole… et, d’autre part, l’homme a prouvé qu’il était capable de découvrir et d’exploiter de nouvelles sources d’énergie ».

Mgr Rey donne un autre exemple de solidarité indispensable, celui consistant à « ne jamais s’habituer au drame de la faim… Ce fléau persistant montre bien qu’il convient de convertir le modèle de développement  global et promouvoir un développement humain intégral dans la charité et la vérité, la justice et la solidarité »

L'inclination la plus profonde de l'homme

Dans sa conclusion, Mgr Rey déplore les accents inhumains de l’écologisme radical, mais veut « reconnaître qu’il est le fruit d’une soif inassouvie ».  Il pense que  « cette quête de communion et d’harmonie reflète l’inclination la plus profonde de l’homme ». Si la crise écologique est préoccupante, elle constitue peut-être aussi une chance à saisir  « pour que l’humanité sente qu’elle partage une communauté de vie et de destin ».

Les chrétiens doivent être signes de cette exigence au service de la solidarité chrétienne et témoins que « seul l’amour de l’autre peut constituer la base de la vie sociale, économique et politique ».

Pour construire cette ‘’civilisation de l’amour’’, Mgr Rey insiste en disant que « la spécificité de l’évangile écologique est l’eucharistie ». Elle nous laisse, à la fois,  « entrevoir l’aube du monde  nouveau et reconnaître en toute personne, spécialement les plus pauvres, le visage de Jésus ; elle rend capable d’accueillir dans la création, un don de Dieu et d’en rendre grâce continuellement ».

 

Stanislas de Larminat est ingénieur agronome. Il a travaillé en Afrique – au Mali – à mener des enquêtes agronomiques dans les zones les plus pauvres et reculées du Sahel. Il a ensuite travaillé dans les services agronomiques d’une importante entreprise agro-alimentaire, au contact de ceux qui cherchent aujourd’hui à pratiquer une « agriculture écologiquement intensive ». Il a publié en avril 2011 aux éditions Salvator « Les contrevérités de l’écologisme ». Son blog : http://web.stan.free.fr/

 

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